Le Maroc ne peut affronter les défis de demain sans comprendre précisément d’où il part. Et lorsqu’on remonte le fil de la ressource en eau, un constat s’impose : le pays doit gérer un capital hydrique qui se réduit depuis plusieurs décennies et qui devient plus difficile à mobiliser. Selon un rapport, intitulé «Eau et climat : Le Maroc à la croisée des chemins ?», publié en juin 2025 par l’Institut Marocain d’Intelligence Stratégique (IMIS), notre pays dispose aujourd’hui d’environ 22 milliards de m³ d’eau renouvelable par an, dont 18 milliards provenant des eaux de surface et 4 milliards des nappes. La répartition reste très inégale : plus de la moitié de ces ressources se trouvent toujours dans le Nord et le Centre. Depuis les années 1960, la quantité d’eau disponible par habitant a chuté de manière spectaculaire : 2.500 m³/an en 1960, 1.000 m³/an dans les années 2000, puis autour de 620–650 m³/an entre 2019 et 2022. Cette courbe descendante place désormais le Maroc dans la catégorie des pays en rareté hydrique. À cette diminution structurelle s’ajoute la demande nationale, estimée à plus de 16 milliards de m³/an, dont près de 89% consommés par l’agriculture.
Un climat irrégulier
Le changement climatique complique encore la gestion de ce capital hydrique. L’ensemble des rapports disponibles sur le sujet pointe une variabilité pluviométrique accrue, avec des saisons plus courtes et une alternance marquée entre épisodes pluvieux et longues séquences sèches, ce qui perturbe la recharge régulière des barrages et des nappes. Cette tendance s’accompagne d’un autre signal préoccupant : la baisse progressive des chutes de neige dans le Haut et Moyen Atlas, confirmée par les données de la Direction Générale de la Météorologie (DGM). Selon ces relevés, le cumul annuel de neige mesuré à la station d’Ifrane n’a jamais dépassé 200 cm depuis la saison 1978-1979, alors même que le record historique atteignait 497 cm en 1973-1974. La DGM souligne également que les superficies enneigées et le nombre de jours d’enneigement sont en recul par rapport aux décennies passées, réduisant le rôle essentiel de ce stock naturel qui, au printemps et en été, alimentait cours d’eau, lacs et nappes alors que les pluies s’étaient déjà arrêtées.
Barrages et nappes
La situation des retenues de surface illustre clairement la fragilité de ce capital hydrique. Au 24 novembre 2025, les barrages du Royaume affichaient un taux de remplissage national de 31,2%, soit 5.229 millions de m³ stockés, selon les données communiquées par le ministère de l’Équipement et de l’Eau. Les disparités entre bassins demeurent importantes : certains ont légèrement profité des dernières pluies, tandis que d’autres restent durablement déficitaires. Cette faiblesse des apports accroît mécaniquement la pression sur les nappes, qui jouent un rôle vital dans l’alimentation du pays. Elles assurent en effet plus de 90% de l’approvisionnement en eau potable en milieu rural et près de 40% de l’irrigation nationale. Or, ces aquifères montrent des signes de pollution (voir interview) et d’essoufflement : la surexploitation chronique entraîne des baisses piézométriques, un déficit de recharge dans plusieurs bassins et, dans les zones littorales, un risque réel d’intrusion saline. Sur les 130 nappes identifiées au Maroc, nombre d’entre elles voient désormais leur renouvellement compromis, limitant fortement la marge de manœuvre des gestionnaires de bassin.
Cercle vicieux à vertueux ?
À ces contraintes s’ajoutent des dynamiques internes qui accentuent la tension sur les ressources disponibles. La croissance démographique, l’urbanisation rapide, l’élévation du niveau de vie et l’évolution des modèles de production exercent une pression continue sur les volumes mobilisés chaque année. Les projections compilées par l'Institut Royal des Études Stratégiques (IRES), dans un rapport publié en 2022, indiquent que la demande totale en eau pourrait atteindre près de 18,7 milliards de m³/an à l’horizon 2050, avec une part agricole toujours largement dominante autour de 89%. Les besoins urbains connaissent également une progression régulière, portée par l’extension des villes, la concentration des activités économiques et l’essor des usages touristiques ou industriels. Cette trajectoire se heurte à un contexte où chaque litre devient plus difficile à capter, à stocker ou à transférer, et où la variabilité climatique rend les saisons moins prévisibles. C’est un cercle hydrique fragile, où chaque tension en alimente une autre, mais dont le Maroc connaît désormais chaque maillon. Le reste dépendra de la capacité de tous (institutions, territoires et usagers) à renforcer, pas à pas, chacun des points de ce système pour en inverser la trajectoire.
Un climat irrégulier
Le changement climatique complique encore la gestion de ce capital hydrique. L’ensemble des rapports disponibles sur le sujet pointe une variabilité pluviométrique accrue, avec des saisons plus courtes et une alternance marquée entre épisodes pluvieux et longues séquences sèches, ce qui perturbe la recharge régulière des barrages et des nappes. Cette tendance s’accompagne d’un autre signal préoccupant : la baisse progressive des chutes de neige dans le Haut et Moyen Atlas, confirmée par les données de la Direction Générale de la Météorologie (DGM). Selon ces relevés, le cumul annuel de neige mesuré à la station d’Ifrane n’a jamais dépassé 200 cm depuis la saison 1978-1979, alors même que le record historique atteignait 497 cm en 1973-1974. La DGM souligne également que les superficies enneigées et le nombre de jours d’enneigement sont en recul par rapport aux décennies passées, réduisant le rôle essentiel de ce stock naturel qui, au printemps et en été, alimentait cours d’eau, lacs et nappes alors que les pluies s’étaient déjà arrêtées.
Barrages et nappes
La situation des retenues de surface illustre clairement la fragilité de ce capital hydrique. Au 24 novembre 2025, les barrages du Royaume affichaient un taux de remplissage national de 31,2%, soit 5.229 millions de m³ stockés, selon les données communiquées par le ministère de l’Équipement et de l’Eau. Les disparités entre bassins demeurent importantes : certains ont légèrement profité des dernières pluies, tandis que d’autres restent durablement déficitaires. Cette faiblesse des apports accroît mécaniquement la pression sur les nappes, qui jouent un rôle vital dans l’alimentation du pays. Elles assurent en effet plus de 90% de l’approvisionnement en eau potable en milieu rural et près de 40% de l’irrigation nationale. Or, ces aquifères montrent des signes de pollution (voir interview) et d’essoufflement : la surexploitation chronique entraîne des baisses piézométriques, un déficit de recharge dans plusieurs bassins et, dans les zones littorales, un risque réel d’intrusion saline. Sur les 130 nappes identifiées au Maroc, nombre d’entre elles voient désormais leur renouvellement compromis, limitant fortement la marge de manœuvre des gestionnaires de bassin.
Cercle vicieux à vertueux ?
À ces contraintes s’ajoutent des dynamiques internes qui accentuent la tension sur les ressources disponibles. La croissance démographique, l’urbanisation rapide, l’élévation du niveau de vie et l’évolution des modèles de production exercent une pression continue sur les volumes mobilisés chaque année. Les projections compilées par l'Institut Royal des Études Stratégiques (IRES), dans un rapport publié en 2022, indiquent que la demande totale en eau pourrait atteindre près de 18,7 milliards de m³/an à l’horizon 2050, avec une part agricole toujours largement dominante autour de 89%. Les besoins urbains connaissent également une progression régulière, portée par l’extension des villes, la concentration des activités économiques et l’essor des usages touristiques ou industriels. Cette trajectoire se heurte à un contexte où chaque litre devient plus difficile à capter, à stocker ou à transférer, et où la variabilité climatique rend les saisons moins prévisibles. C’est un cercle hydrique fragile, où chaque tension en alimente une autre, mais dont le Maroc connaît désormais chaque maillon. Le reste dépendra de la capacité de tous (institutions, territoires et usagers) à renforcer, pas à pas, chacun des points de ce système pour en inverser la trajectoire.
3 questions à Laila Mandi, experte dans le domaine de l’eau : « L’enjeu est de combiner les outils techniques avec des politiques publiques ambitieuses »
Professeure universitaire, membre de l’Académie de l’Eau de France et anciennement directrice du Centre National d’Études et de Recherche sur l’Eau et l’Énergie, Laila Mandi répond à nos questions.
- Quels facteurs expliquent aujourd’hui la dégradation de la qualité des nappes phréatiques au Maroc ?
- Les nappes phréatiques marocaines subissent une pression croissante liée d’abord à l’agriculture intensive (plus de 720.000 tonnes d’engrais et 15.000 tonnes de produits phytosanitaires chaque année), dont une partie s’infiltre dans les sols. Les zones irriguées comme Tadla, Doukkala, Chaouia ou Souss-Massa sont particulièrement touchées, avec des dépassements de la norme OMS de 50 mg/l et jusqu’à 80 mg/l à Maâmora. À cette pression agricole s’ajoutent les rejets domestiques (900 millions de m³ d’eaux usées par an, encore insuffisamment traitées en zones rurales) et les pollutions industrielles concentrées dans certains bassins (Sebou, Bouregreg, Oum Rabia). D’autres sources de pollutions comme les décharges sauvages, les carrières et les accidents impliquant des produits dangereux aggravent la situation, tandis que surexploitation et salinisation favorisent l’intrusion marine dans les aquifères côtiers.
- Parmi les solutions possibles, laquelle vous semble aujourd’hui la plus pertinente pour limiter la dégradation de la qualité des nappes ?
- Aucune solution unique n’existe : il faut combiner plusieurs leviers. En agriculture, optimiser la fertilisation grâce à l’agriculture de précision, des bandes tampons végétalisées et un recours mieux contrôlé aux amendements organiques. En assainissement, renforcer le traitement et la réutilisation des eaux usées, notamment en zone rurale, tout en accompagnant et en contrôlant le secteur industriel via des mécanismes comme le FODEP. La science joue un rôle central : analyses isotopiques pour distinguer les sources de pollution, bioremédiation et phytoremédiation pour traiter certains sites. L’enjeu est de combiner les outils techniques avec des politiques publiques ambitieuses.
- Comment les résultats de ce type d’études nationales qui cartographient l’état des nappes, peuvent-ils être utilisés pour sensibiliser les acteurs et orienter les politiques hydriques ?
- Ces études rendent visible la dégradation silencieuse des nappes et transforment les données scientifiques en cartes ou indicateurs concrets qui parlent aux agriculteurs, élus et citoyens. Elles offrent aux autorités une base solide pour délimiter les zones vulnérables, fixer des règles plus strictes et intégrer la protection des nappes dans l’aménagement du territoire, tout en mesurant l’efficacité des politiques dans le temps. Mais au-delà de la réglementation, il est crucial de créer des observatoires locaux associant chercheurs, gestionnaires, élus, usagers et société civile pour suivre la qualité des nappes, alerter en cas de dépassement et impliquer directement les communautés dans la gestion de leur ressource.
Pollution des nappes : Quand les aquifères racontent l’envers du décor hydrique
Une étude nationale sur les eaux souterraines marocaines, publiée en août 2025 dans le «Journal of Hydrology : Regional Studies», dresse un panorama préoccupant. Les chercheurs y analysent un large ensemble de points de prélèvement couvrant plusieurs bassins, et montrent que de nombreuses nappes présentent des niveaux élevés de nitrates, en particulier dans les zones agricoles les plus intensives. L’étude observe aussi des signes de salinisation et de minéralisation croissante dans plusieurs régions, liés à la surexploitation et aux intrusions d’eau salée dans certaines zones côtières. Les auteurs soulignent que la qualité de l’eau varie fortement selon les territoires, avec des nappes encore préservées et d’autres déjà classées comme dégradées. En croisant données chimiques, usages des sols et dynamiques agricoles, ils mettent en évidence une tendance nationale : l’accumulation progressive de polluants dans les aquifères superficiels, un phénomène susceptible d’affecter durablement la disponibilité de l’eau souterraine si aucune mesure de protection n’est mise en place.
Eau potable : Un accès généralisé, mais encore inégal selon les territoires
Malgré la raréfaction des ressources et la pression croissante sur les infrastructures, le pays a réussi en quelques décennies à hisser ses taux de desserte en eau potable à des niveaux parmi les plus élevés de la région. Selon les données de l’Office National de l’Électricité et de l’Eau potable (ONEE), l’approvisionnement urbain atteint aujourd’hui 100%, tandis que la couverture rurale avoisine 98%. Ce progrès résulte d’un effort continu, engagé dès les années 1990 et poursuivi depuis, pour étendre les réseaux, sécuriser les captages et diversifier les sources dans les zones peu desservies. Dans de nombreuses provinces rurales, l’arrivée régulière de l’eau a profondément modifié les conditions de vie : recul des maladies hydriques, allègement de la charge domestique pour les ménages, accès facilité aux services sociaux et amélioration de la résilience face aux épisodes de sécheresse. Mais derrière ces taux élevés, les défis restent réels. La continuité du service varie selon les régions, la pression sur les nappes fragilise plusieurs points d’alimentation, et les communes rurales les plus isolées dépendent encore de ressources sensibles à la saisonnalité. Dans les grandes villes, la croissance démographique et l’urbanisation rapide obligent à mobiliser des volumes toujours plus importants, parfois acheminés sur de longues distances. À l’avenir, la garantie d’un accès sûr et durable reposera sur la modernisation des réseaux, la réduction des pertes, ainsi que la diversification des sources d’approvisionnement en eau.











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