Driss Ouazar, Spécialiste et Expert dans le domaine de l’eau
-La gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) est au cœur de la stratégie nationale. Comment le Maroc concrétise-t-il cette approche dans la mise en œuvre de ses différents chantiers hydriques ?
La Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) constitue au Maroc, depuis la Loi 36-15 relative à l’eau, le cadre conceptuel et opérationnel structurant de l’action publique au Maroc pour faire face à la rareté de l’eau, au changement climatique, à la hausse de la demande. et à la dégradation de la qualité Cette approche se traduit par une planification territoriale pilotée par les 12 Agences de Bassin Hydraulique, qui élaborent les PDAIRE, gèrent les risques et coordonnent les usages. La GIRE offre un modèle de gestion à la fois systémique, participatif et orienté résultats.
La mise en œuvre de la GIRE s’appuie sur la diversification du mix hydrique : Eaux conventionnelles et non conventionnelles; développement des barrages et interconnexions entre bassins, essor du dessalement pour sécuriser l’alimentation des zones littorales, et montée en puissance de la réutilisation des eaux usées pour l’irrigation, l’industrie et la recharge des nappes. La gestion durable des aquifères s’organise autour de contrats de nappe associant régulation, télémétrie et participation des usagers.
L’efficience de l’eau est renforcée dans l’agriculture (goutte-à-goutte, modernisation des réseaux, digitalisation) et pour l’alimentation en eau potable (réduction des pertes, sectorisation, gestion intelligente de la pression). La GIRE inclut aussi la protection des écosystèmes et la lutte contre la pollution.
Récemment, le Maroc intègre l’innovation et la digitalisation (données hydriques, modélisation, IA) pour améliorer la prévision et la décision, notamment pour l’agriculture de précision. La GIRE se concrétise ainsi comme un cadre opérationnel structurant, garantissant résilience, équité et durabilité des ressources en eau.
-L’interconnexion des bassins est l’un des chantiers structurants du Royaume. Comment décririez-vous son état d’avancement et ses premiers effets attendus sur le terrain ?
L’interconnexion des bassins figure parmi les chantiers hydriques les plus stratégiques du Maroc, visant à améliorer la résilience du pays face au stress hydrique sans cesse croissant. Plusieurs projets majeurs déjà opérationnels ou en cours. L’interconnexion Sebou–Bouregreg, permet de transférer l’eau excédentaire du nord vers la région de Rabat–Casablanca, lourdement déficitaire. D’autres chantiers suivent, notamment l’interconnexion entre les systèmes du nord et du centre, ainsi que les études pour relier à terme les bassins du Loukkos, Sebou, Bouregreg et Oum Er-Rabia dans une logique de corridor hydrique national.
Ces interconnexions reposent sur des infrastructures fort importantes : conduites de grande capacité, stations de pompage, tunnels hydrauliques et dispositifs de contrôle numérique. Leur mise en service progressive permettra de sécuriser l’approvisionnement en eau potable des grands pôles urbains (Casablanca, Rabat, El Jadida, Safi), réduisant leur dépendance aux barrages en déficit. L’eau excédentaire des bassins humides permet aussi de mieux valoriser et de lisser les années hydrologiques en transférant l’eau là où elle est la plus nécessaire.
Sur le plan environnemental, les interconnexions contribuent à réduire la pression sur les nappes surexploitées, notamment dans les zones littorales ou il y a même un risque de salinisation et pertes de sole suite aux possibilités d’intrusion d’eau salée de l’océan. Elles limitent aussi les risques de pénurie en période de sécheresse prolongée en diversifiant les sources d’alimentation. Enfin, elles s’intègrent pleinement dans l’approche GIRE, en assurant une gestion plus solidaire et plus équilibrée entre territoires.
-L’état d’avancement est significatif et les premiers impacts attendus concernent la sécurisation de l’eau potable, la réduction du stress sur les aquifères, et une meilleure résilience du pays face aux aléas climatiques.
-La réutilisation des eaux usées a été mise en avant dans le dernier discours royal. Comment ce chantier évolue-t-il et quelles perspectives ouvre-t-il pour les prochaines années ?
La réutilisation des eaux usées traitées occupe désormais une place centrale dans la stratégie hydrique nationale, renforcée récemment par les orientations du discours royal. Ce chantier connaît désormais une accélération importante: le Maroc dispose d’un parc de plus de 160 stations d’épuration, dont un nombre croissant est conçu ou adapté pour permettre la réutilisation directe ou indirecte. Plusieurs villes (Marrakech, Oujda, Agadir, Casablanca, Rabat) irriguent déjà leurs espaces verts ou alimentent des usages industriels grâce aux eaux réutilisées. L’État encourage la montée de ces stations, le passage aux traitements avancés et la création de réseaux séparatifs dédiés .
L’évolution du chantier s’inscrit aussi dans une logique de gestion intégrée : La réutilisation des eaux usées traitées contribue à réduire la pression sur les eaux superficielles et souterraines, en particulier dans les régions en stress hydrique. Elle offre une ressource pérenne et régulière, indépendante de la variabilité climatique. Certains programmes visent aussi la recharge artificielle des nappes, l’irrigation contrôlée des périmètres agricoles périurbains et l’alimentation de certains processus industriels.
Les perspectives sont ambitieuses pour les prochaines années. Le Maroc prévoit d’augmenter significativement les volumes réutilisés, de généraliser les projets de réutilisation des eaux usées traitées dans les grandes agglomérations, et de déployer des partenariats public–privé (PPP) pour accélérer la modernisation des stations. L’intégration de solutions digitales (télémesure, contrôle en temps réel) et l’adoption de normes de qualité renforcées permettront d’élargir les usages possibles. La réutilisation des eaux usées traitées deviendra ainsi un pilier essentiel du mix hydrique national, capable d’accroître la résilience du pays, de sécuriser les activités économiques et de soutenir la transition vers une gestion circulaire de l’eau à l’instar de Singapore.
-La valorisation des eaux pluviales est un axe souvent évoqué dans les stratégies d’adaptation. Quels efforts actuels ou envisagés permettent de mieux capter et utiliser ces ressources ?
La valorisation des eaux pluviales prend une place de plus en plus grandissante dans la stratégie d’adaptation du Maroc face à la raréfaction de l’eau et à l’augmentation des épisodes pluvieux extrêmes. L’objectif est de transformer cette ressource souvent perdue par ruissellement en un apport utile pour l’agriculture, les villes/villages et la recharge des nappes.
Les efforts actuels portent d’abord sur le développement d’ouvrages de captage: barrages colinéaires, bassins d’orage, lacs colinéaires et infrastructures de rétention permettant de stocker l’eau pour l’irrigation, l’abreuvement du bétail ainsi que l’atténuation des crues. Ces systèmes sont planifiés par les Agences de Bassin Hydraulique qui identifient les zones où le ruissellement peut être valorisé.
En milieu urbain, plusieurs villes déploient des solutions de gestion intégrée : noues végétalisées, surfaces perméables, bassins d’infiltration et réseaux séparatifs destinés à récupérer les eaux de pluie pour l’arrosage, le nettoyage ou certains usages non potables. Les grands projets intègrent désormais des dispositifs de rétention intelligents capables de réguler les débits en temps réel.
La recharge artificielle des nappes constitue également un axe clé, avec des techniques d’infiltration dirigée testées dans des régions comme le Haouz, le Souss ou le Tensift, afin de transformer les eaux de pluie en ressources souterraines durables.
Pour les prochaines années, les perspectives incluent la généralisation des systèmes de récupération dans les nouveaux lotissements et bâtiments publics, la modernisation des réseaux pluviaux, et l’utilisation accrue de solutions basées sur la nature. Ces efforts permettront de réduire la pression sur les ressources conventionnelles tout en renforçant la résilience hydrique du pays.
-Les écosystèmes d’eau douce jouent un rôle central dans la régulation hydrique. Quelles actions sont engagées ou renforcées pour mieux protéger ces milieux sensibles ?
Les écosystèmes d’eau douce à savoir les rivières, les lacs, les zones humides, les nappes phréatiques, assurent des fonctions vitales : régulation des débits, recharge des aquifères, filtration naturelle de l’eau, maintien de la biodiversité et atténuation des impacts climatiques. Face aux pressions croissantes (pollution, surexploitation, artificialisation des berges, fragmentation des cours d’eau, changement climatique), plusieurs actions sont aujourd’hui engagées ou renforcées pour mieux protéger ces milieux sensibles.
La première priorité concerne la restauration écologique des habitats aquatiques. Elle inclut la renaturation des berges, la remise en continuité des cours d’eau par l’effacement ou l’aménagement de barrages, ainsi que la réhabilitation des zones humides pour améliorer le stockage naturel de l’eau et la résilience face aux crues et sécheresses. Parallèlement, la réduction des pressions polluantes est intensifiée pour l’amélioration des stations d’épuration, le contrôle des rejets industriels, la diminution des pesticides, le traitement des eaux usées agricoles et urbaines, et la lutte contre les microplastiques (PFAS).
Un autre axe majeur vise la gestion durable de la ressource : quotas et suivis renforcés des prélèvements, promotion d’usages économes, optimisation des réseaux d’eau potable et de l’irrigation, et intégration du changement climatique dans la planification hydrologique. Les autorités locales développent également une approche de gestion intégrée par bassin versant, favorisant la coordination entre acteurs (agriculteurs, collectivités, industriels, ONG) pour équilibrer la protection écologique et les divers usages économiques.
Enfin, la surveillance environnementale progresse grâce à l’apport des données satellitaires, à la télémétrie, à l’ADN environnemental (matériel génétique libéré par les organismes dans leur milieu (eau, sol, air, etc.) qui permet d'identifier les espèces présentes en analysant des échantillons de ces milieux), et à l’intelligence artificielle, permettant un suivi plus réactif de la qualité des milieux. Des programmes de sensibilisation et de participation citoyenne complètent ces efforts, renforçant la vigilance et l’appropriation collective des enjeux.
Ensemble, ces actions constituent un socle essentiel pour préserver la fonctionnalité des écosystèmes d’eau douce et garantir, dans un contexte de raréfaction hydrique, la sécurité hydrique et écologique des territoires.
-La lutte contre la pollution de l’eau reste un enjeu majeur. Quels efforts sont actuellement déployés pour améliorer la qualité des ressources dans les différents bassins ?
La lutte contre la pollution de l’eau constitue un enjeu critique pour la santé humaine, les écosystèmes et la sécurité hydrique. Dans les différents bassins, plusieurs efforts sont aujourd’hui intensifiés afin d’améliorer durablement la qualité des ressources. La priorité concerne le renforcement du traitement des eaux usées, avec la modernisation des stations d’épuration, l’extension des réseaux d’assainissement, et l’adoption de technologies plus performantes pour réduire les charges organiques, azotées, phosphorées et les micropolluants.
Les Agences de bassin multiplient également les actions de contrôle des sources de pollution : surveillance accrue des rejets industriels, réduction progressive des pesticides et engrais chimiques, promotion de l’agroécologie, gestion des effluents agricoles, et lutte contre les déchets plastiques qui contaminent les cours d’eau. Dans les zones urbaines, les efforts portent sur l’amélioration du drainage pluvial, la gestion des eaux de ruissellement et la limitation des déversements d’eaux unitaires lors des épisodes pluvieux.
La gestion intégrée par bassin versant permet de coordonner usages et pressions : identification des zones à risques, programmes de dépollution ciblés, restauration des zones tampons naturelles (zones humides, ripisylves), et réhabilitation des milieux dégradés pour renforcer la capacité d’auto-épuration. Par ailleurs, la surveillance environnementale est renforcée grâce aux réseaux de mesure en temps réel, aux analyses automatisées et aux outils numériques d’aide à la décision.
Enfin, des programmes de sensibilisation, de contrôle réglementaire et d’incitation économique encouragent les acteurs locaux à adopter de meilleures pratiques. Ces efforts visent à réduire les contaminations diffuses et ponctuelles, à améliorer la qualité de l’eau dans chaque bassin et à renforcer la résilience des territoires face aux pressions croissantes.
-La surexploitation des ressources souterraines est un sujet crucial. Quelles actions sont menées pour mieux contrôler les forages et encourager une utilisation plus durable des nappes ?
La surexploitation des nappes phréatiques (continentales et côtières) constitue un enjeu majeur au Maroc, en particulier dans les zones semi-arides et arides, où les prélèvements dépassent souvent le renouvellement naturel. Pour y remédier, plusieurs actions sont déployées afin de mieux contrôler les forages et encourager une gestion durable des aquifères.
Les autorités mettent en place un cadre réglementaire renforcé, incluant l’autorisation préalable des forages, la définition de quotas et la surveillance stricte des usages agricoles, industriels et urbains. La télémétrie et le suivi en temps réel permettent de contrôler les niveaux d’extraction et de détecter les prélèvements non autorisés. Les contrats de nappes, expérimentés dans des bassins comme le Souss, le Haouz ou Tadla, instaurent une gouvernance participative, associant les agriculteurs, les collectivités et les agences de bassin, avec des objectifs chiffrés de réduction de prélèvements et d’économie d’eau.
Parallèlement, des programmes d’optimisation de l’irrigation (goutte-à-goutte, réseaux modernisés, digitalisation) réduisent la pression sur les nappes tout en maintenant la productivité agricole. Des mesures d’incitation économique et de sensibilisation encouragent l’usage rationnel et la valorisation des ressources renouvelables. Enfin, la recharge artificielle des aquifères à partir de retenues, des eaux pluviales ou des eaux réutilisées est progressivement développée pour restaurer les niveaux des nappes.
Ces initiatives combinées visent à instaurer un équilibre durable entre prélèvements et renouvellement, garantissant la pérennité des ressources souterraines et la résilience des territoires face au stress hydrique et au changement climatique.
-Le secteur connaît une montée en puissance des solutions innovantes. Quelles avancées récentes vous semblent particulièrement encourageantes ?
Le secteur de l’eau au Maroc connaît en effet une montée en puissance des solutions innovantes, renforçant l’efficacité, la durabilité et la résilience de la gestion des ressources. Parmi les avancées les plus encourageantes, la digitalisation et la télémesure jouent un rôle central : les réseaux d’adduction et de distribution sont désormais équipés de capteurs intelligents permettant de suivre en temps réel les niveaux des nappes, les débits des barrages, la qualité de l’eau et les fuites dans les systèmes urbains et agricoles.
L’intelligence artificielle et la modélisation hydrologique facilitent l’anticipation des sécheresses, des crues et des besoins sectoriels, améliorant la planification et la prise de décision. Dans l’agriculture, la généralisation des systèmes d’irrigation goutte-à-goutte pilotés numériquement, ainsi que l’agriculture de précision optimisent l’usage de l’eau tout en augmentant la productivité. Le dessalement solaire et le traitement avancé des eaux usées offrent de nouvelles ressources pour les zones littorales et les activités industrielles, réduisant la pression sur les eaux continentales.
Par ailleurs, des solutions fondées sur la nature, comme la restauration de zones humides et la recharge artificielle des nappes, sont intégrées dans une approche systémique et territoriale. L’innovation se combine avec la participation des acteurs locaux, la formation et la sensibilisation, pour garantir une adoption efficace et durable. Ces progrès technologiques et organisationnels positionnent le Maroc comme un acteur pionnier dans la modernisation de la gestion intégrée des ressources en eau et ouvrent de nouvelles perspectives pour sécuriser l’alimentation en eau et renforcer la résilience face au changement climatique.
-La coordination entre les acteurs institutionnels est souvent citée comme un point fort. Comment cette coordination s’est-elle renforcée ces dernières années ?
La coordination entre les acteurs institutionnels constitue un point fort de la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) au Maroc et s’est significativement renforcée ces dernières années. Le pays a développé un cadre institutionnel structuré, où les ministères, les Agences de Bassin Hydraulique (ABH), les collectivités locales et les opérateurs publics et privés collaborent de manière systématique. Les Conseils de bassin jouent un rôle central en réunissant les différents usagers de l’eau (agriculture, industrie, collectivités, environnement) pour définir des objectifs communs, prioriser les investissements et résoudre les divers conflits.
Des protocoles de coordination et des plans d’action intégrés ont été mis en place pour harmoniser les interventions sur les bassins, éviter les doublons et maximiser l’efficacité des projets hydriques. La digitalisation et le partage de données en temps réel entre agences et acteurs permettent désormais un suivi plus transparent et une réactivité accrue face aux crises de catastrophe liées à la sécheresse et aux inondations).
Par ailleurs, le renforcement des partenariats public–privé (PPP) et des collaborations avec les universités et centres de recherche contribue à enrichir les décisions techniques et à intégrer l’innovation dans la gestion quotidienne. La montée en compétence des acteurs locaux, combinée à la mise en place d’instances de concertation régulières, a consolidé la gouvernance multi-niveaux, amélioré la cohérence des actions sur le terrain et favorisé une approche solidaire et efficace de la gestion de l’eau au niveau national.
-La version finale du Plan National de l’Eau est très attendue. Quelles grandes orientations souhaitez-vous mettre en avant à ce stade ?
La version finale du Plan National de l’Eau (PNE) est très attendue, car elle constitue la feuille de route stratégique pour sécuriser l’eau au Maroc face aux défis climatiques, démographiques et économiques. Plusieurs grandes orientations apparaissent essentielles à savoir la sécurisation de l’approvisionnement en eau potable et agricole par la mobilisation et la diversification des ressources, incluant les barrages, les interconnexions de bassins, le dessalement et la réutilisation des eaux usées.
Le PNE devrait accentuer la gestion durable et la protection des ressources souterraines, avec le contrôle des forages, la réduction de la surexploitation et le développement de la recharge artificielle des nappes. La valorisation des eaux pluviales et la lutte contre la pollution figurent également parmi les axes prioritaires, en renforçant la récupération locale, les infrastructures de traitement et la qualité environnementale des bassins.
Parallèlement, le PNE doit encourager l’efficacité et l’innovation dans tous les usages : modernisation de l’irrigation, digitalisation des réseaux urbains, intelligence artificielle pour la prévision et le suivi des ressources. Enfin, la gouvernance intégrée et la concertation multi-acteurs doivent rester au cœur du PNE, avec un renforcement des Conseils de bassin, des partenariats public–privé (PPP) et de la participation citoyenne. Ces orientations visent à assurer une gestion résiliente, équitable et durable de l’eau, positionnant le Maroc comme un acteur proactif dans le contexte de rareté hydrique et de changement climatique.
La Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) constitue au Maroc, depuis la Loi 36-15 relative à l’eau, le cadre conceptuel et opérationnel structurant de l’action publique au Maroc pour faire face à la rareté de l’eau, au changement climatique, à la hausse de la demande. et à la dégradation de la qualité Cette approche se traduit par une planification territoriale pilotée par les 12 Agences de Bassin Hydraulique, qui élaborent les PDAIRE, gèrent les risques et coordonnent les usages. La GIRE offre un modèle de gestion à la fois systémique, participatif et orienté résultats.
La mise en œuvre de la GIRE s’appuie sur la diversification du mix hydrique : Eaux conventionnelles et non conventionnelles; développement des barrages et interconnexions entre bassins, essor du dessalement pour sécuriser l’alimentation des zones littorales, et montée en puissance de la réutilisation des eaux usées pour l’irrigation, l’industrie et la recharge des nappes. La gestion durable des aquifères s’organise autour de contrats de nappe associant régulation, télémétrie et participation des usagers.
L’efficience de l’eau est renforcée dans l’agriculture (goutte-à-goutte, modernisation des réseaux, digitalisation) et pour l’alimentation en eau potable (réduction des pertes, sectorisation, gestion intelligente de la pression). La GIRE inclut aussi la protection des écosystèmes et la lutte contre la pollution.
Récemment, le Maroc intègre l’innovation et la digitalisation (données hydriques, modélisation, IA) pour améliorer la prévision et la décision, notamment pour l’agriculture de précision. La GIRE se concrétise ainsi comme un cadre opérationnel structurant, garantissant résilience, équité et durabilité des ressources en eau.
-L’interconnexion des bassins est l’un des chantiers structurants du Royaume. Comment décririez-vous son état d’avancement et ses premiers effets attendus sur le terrain ?
L’interconnexion des bassins figure parmi les chantiers hydriques les plus stratégiques du Maroc, visant à améliorer la résilience du pays face au stress hydrique sans cesse croissant. Plusieurs projets majeurs déjà opérationnels ou en cours. L’interconnexion Sebou–Bouregreg, permet de transférer l’eau excédentaire du nord vers la région de Rabat–Casablanca, lourdement déficitaire. D’autres chantiers suivent, notamment l’interconnexion entre les systèmes du nord et du centre, ainsi que les études pour relier à terme les bassins du Loukkos, Sebou, Bouregreg et Oum Er-Rabia dans une logique de corridor hydrique national.
Ces interconnexions reposent sur des infrastructures fort importantes : conduites de grande capacité, stations de pompage, tunnels hydrauliques et dispositifs de contrôle numérique. Leur mise en service progressive permettra de sécuriser l’approvisionnement en eau potable des grands pôles urbains (Casablanca, Rabat, El Jadida, Safi), réduisant leur dépendance aux barrages en déficit. L’eau excédentaire des bassins humides permet aussi de mieux valoriser et de lisser les années hydrologiques en transférant l’eau là où elle est la plus nécessaire.
Sur le plan environnemental, les interconnexions contribuent à réduire la pression sur les nappes surexploitées, notamment dans les zones littorales ou il y a même un risque de salinisation et pertes de sole suite aux possibilités d’intrusion d’eau salée de l’océan. Elles limitent aussi les risques de pénurie en période de sécheresse prolongée en diversifiant les sources d’alimentation. Enfin, elles s’intègrent pleinement dans l’approche GIRE, en assurant une gestion plus solidaire et plus équilibrée entre territoires.
-L’état d’avancement est significatif et les premiers impacts attendus concernent la sécurisation de l’eau potable, la réduction du stress sur les aquifères, et une meilleure résilience du pays face aux aléas climatiques.
-La réutilisation des eaux usées a été mise en avant dans le dernier discours royal. Comment ce chantier évolue-t-il et quelles perspectives ouvre-t-il pour les prochaines années ?
La réutilisation des eaux usées traitées occupe désormais une place centrale dans la stratégie hydrique nationale, renforcée récemment par les orientations du discours royal. Ce chantier connaît désormais une accélération importante: le Maroc dispose d’un parc de plus de 160 stations d’épuration, dont un nombre croissant est conçu ou adapté pour permettre la réutilisation directe ou indirecte. Plusieurs villes (Marrakech, Oujda, Agadir, Casablanca, Rabat) irriguent déjà leurs espaces verts ou alimentent des usages industriels grâce aux eaux réutilisées. L’État encourage la montée de ces stations, le passage aux traitements avancés et la création de réseaux séparatifs dédiés .
L’évolution du chantier s’inscrit aussi dans une logique de gestion intégrée : La réutilisation des eaux usées traitées contribue à réduire la pression sur les eaux superficielles et souterraines, en particulier dans les régions en stress hydrique. Elle offre une ressource pérenne et régulière, indépendante de la variabilité climatique. Certains programmes visent aussi la recharge artificielle des nappes, l’irrigation contrôlée des périmètres agricoles périurbains et l’alimentation de certains processus industriels.
Les perspectives sont ambitieuses pour les prochaines années. Le Maroc prévoit d’augmenter significativement les volumes réutilisés, de généraliser les projets de réutilisation des eaux usées traitées dans les grandes agglomérations, et de déployer des partenariats public–privé (PPP) pour accélérer la modernisation des stations. L’intégration de solutions digitales (télémesure, contrôle en temps réel) et l’adoption de normes de qualité renforcées permettront d’élargir les usages possibles. La réutilisation des eaux usées traitées deviendra ainsi un pilier essentiel du mix hydrique national, capable d’accroître la résilience du pays, de sécuriser les activités économiques et de soutenir la transition vers une gestion circulaire de l’eau à l’instar de Singapore.
-La valorisation des eaux pluviales est un axe souvent évoqué dans les stratégies d’adaptation. Quels efforts actuels ou envisagés permettent de mieux capter et utiliser ces ressources ?
La valorisation des eaux pluviales prend une place de plus en plus grandissante dans la stratégie d’adaptation du Maroc face à la raréfaction de l’eau et à l’augmentation des épisodes pluvieux extrêmes. L’objectif est de transformer cette ressource souvent perdue par ruissellement en un apport utile pour l’agriculture, les villes/villages et la recharge des nappes.
Les efforts actuels portent d’abord sur le développement d’ouvrages de captage: barrages colinéaires, bassins d’orage, lacs colinéaires et infrastructures de rétention permettant de stocker l’eau pour l’irrigation, l’abreuvement du bétail ainsi que l’atténuation des crues. Ces systèmes sont planifiés par les Agences de Bassin Hydraulique qui identifient les zones où le ruissellement peut être valorisé.
En milieu urbain, plusieurs villes déploient des solutions de gestion intégrée : noues végétalisées, surfaces perméables, bassins d’infiltration et réseaux séparatifs destinés à récupérer les eaux de pluie pour l’arrosage, le nettoyage ou certains usages non potables. Les grands projets intègrent désormais des dispositifs de rétention intelligents capables de réguler les débits en temps réel.
La recharge artificielle des nappes constitue également un axe clé, avec des techniques d’infiltration dirigée testées dans des régions comme le Haouz, le Souss ou le Tensift, afin de transformer les eaux de pluie en ressources souterraines durables.
Pour les prochaines années, les perspectives incluent la généralisation des systèmes de récupération dans les nouveaux lotissements et bâtiments publics, la modernisation des réseaux pluviaux, et l’utilisation accrue de solutions basées sur la nature. Ces efforts permettront de réduire la pression sur les ressources conventionnelles tout en renforçant la résilience hydrique du pays.
-Les écosystèmes d’eau douce jouent un rôle central dans la régulation hydrique. Quelles actions sont engagées ou renforcées pour mieux protéger ces milieux sensibles ?
Les écosystèmes d’eau douce à savoir les rivières, les lacs, les zones humides, les nappes phréatiques, assurent des fonctions vitales : régulation des débits, recharge des aquifères, filtration naturelle de l’eau, maintien de la biodiversité et atténuation des impacts climatiques. Face aux pressions croissantes (pollution, surexploitation, artificialisation des berges, fragmentation des cours d’eau, changement climatique), plusieurs actions sont aujourd’hui engagées ou renforcées pour mieux protéger ces milieux sensibles.
La première priorité concerne la restauration écologique des habitats aquatiques. Elle inclut la renaturation des berges, la remise en continuité des cours d’eau par l’effacement ou l’aménagement de barrages, ainsi que la réhabilitation des zones humides pour améliorer le stockage naturel de l’eau et la résilience face aux crues et sécheresses. Parallèlement, la réduction des pressions polluantes est intensifiée pour l’amélioration des stations d’épuration, le contrôle des rejets industriels, la diminution des pesticides, le traitement des eaux usées agricoles et urbaines, et la lutte contre les microplastiques (PFAS).
Un autre axe majeur vise la gestion durable de la ressource : quotas et suivis renforcés des prélèvements, promotion d’usages économes, optimisation des réseaux d’eau potable et de l’irrigation, et intégration du changement climatique dans la planification hydrologique. Les autorités locales développent également une approche de gestion intégrée par bassin versant, favorisant la coordination entre acteurs (agriculteurs, collectivités, industriels, ONG) pour équilibrer la protection écologique et les divers usages économiques.
Enfin, la surveillance environnementale progresse grâce à l’apport des données satellitaires, à la télémétrie, à l’ADN environnemental (matériel génétique libéré par les organismes dans leur milieu (eau, sol, air, etc.) qui permet d'identifier les espèces présentes en analysant des échantillons de ces milieux), et à l’intelligence artificielle, permettant un suivi plus réactif de la qualité des milieux. Des programmes de sensibilisation et de participation citoyenne complètent ces efforts, renforçant la vigilance et l’appropriation collective des enjeux.
Ensemble, ces actions constituent un socle essentiel pour préserver la fonctionnalité des écosystèmes d’eau douce et garantir, dans un contexte de raréfaction hydrique, la sécurité hydrique et écologique des territoires.
-La lutte contre la pollution de l’eau reste un enjeu majeur. Quels efforts sont actuellement déployés pour améliorer la qualité des ressources dans les différents bassins ?
La lutte contre la pollution de l’eau constitue un enjeu critique pour la santé humaine, les écosystèmes et la sécurité hydrique. Dans les différents bassins, plusieurs efforts sont aujourd’hui intensifiés afin d’améliorer durablement la qualité des ressources. La priorité concerne le renforcement du traitement des eaux usées, avec la modernisation des stations d’épuration, l’extension des réseaux d’assainissement, et l’adoption de technologies plus performantes pour réduire les charges organiques, azotées, phosphorées et les micropolluants.
Les Agences de bassin multiplient également les actions de contrôle des sources de pollution : surveillance accrue des rejets industriels, réduction progressive des pesticides et engrais chimiques, promotion de l’agroécologie, gestion des effluents agricoles, et lutte contre les déchets plastiques qui contaminent les cours d’eau. Dans les zones urbaines, les efforts portent sur l’amélioration du drainage pluvial, la gestion des eaux de ruissellement et la limitation des déversements d’eaux unitaires lors des épisodes pluvieux.
La gestion intégrée par bassin versant permet de coordonner usages et pressions : identification des zones à risques, programmes de dépollution ciblés, restauration des zones tampons naturelles (zones humides, ripisylves), et réhabilitation des milieux dégradés pour renforcer la capacité d’auto-épuration. Par ailleurs, la surveillance environnementale est renforcée grâce aux réseaux de mesure en temps réel, aux analyses automatisées et aux outils numériques d’aide à la décision.
Enfin, des programmes de sensibilisation, de contrôle réglementaire et d’incitation économique encouragent les acteurs locaux à adopter de meilleures pratiques. Ces efforts visent à réduire les contaminations diffuses et ponctuelles, à améliorer la qualité de l’eau dans chaque bassin et à renforcer la résilience des territoires face aux pressions croissantes.
-La surexploitation des ressources souterraines est un sujet crucial. Quelles actions sont menées pour mieux contrôler les forages et encourager une utilisation plus durable des nappes ?
La surexploitation des nappes phréatiques (continentales et côtières) constitue un enjeu majeur au Maroc, en particulier dans les zones semi-arides et arides, où les prélèvements dépassent souvent le renouvellement naturel. Pour y remédier, plusieurs actions sont déployées afin de mieux contrôler les forages et encourager une gestion durable des aquifères.
Les autorités mettent en place un cadre réglementaire renforcé, incluant l’autorisation préalable des forages, la définition de quotas et la surveillance stricte des usages agricoles, industriels et urbains. La télémétrie et le suivi en temps réel permettent de contrôler les niveaux d’extraction et de détecter les prélèvements non autorisés. Les contrats de nappes, expérimentés dans des bassins comme le Souss, le Haouz ou Tadla, instaurent une gouvernance participative, associant les agriculteurs, les collectivités et les agences de bassin, avec des objectifs chiffrés de réduction de prélèvements et d’économie d’eau.
Parallèlement, des programmes d’optimisation de l’irrigation (goutte-à-goutte, réseaux modernisés, digitalisation) réduisent la pression sur les nappes tout en maintenant la productivité agricole. Des mesures d’incitation économique et de sensibilisation encouragent l’usage rationnel et la valorisation des ressources renouvelables. Enfin, la recharge artificielle des aquifères à partir de retenues, des eaux pluviales ou des eaux réutilisées est progressivement développée pour restaurer les niveaux des nappes.
Ces initiatives combinées visent à instaurer un équilibre durable entre prélèvements et renouvellement, garantissant la pérennité des ressources souterraines et la résilience des territoires face au stress hydrique et au changement climatique.
-Le secteur connaît une montée en puissance des solutions innovantes. Quelles avancées récentes vous semblent particulièrement encourageantes ?
Le secteur de l’eau au Maroc connaît en effet une montée en puissance des solutions innovantes, renforçant l’efficacité, la durabilité et la résilience de la gestion des ressources. Parmi les avancées les plus encourageantes, la digitalisation et la télémesure jouent un rôle central : les réseaux d’adduction et de distribution sont désormais équipés de capteurs intelligents permettant de suivre en temps réel les niveaux des nappes, les débits des barrages, la qualité de l’eau et les fuites dans les systèmes urbains et agricoles.
L’intelligence artificielle et la modélisation hydrologique facilitent l’anticipation des sécheresses, des crues et des besoins sectoriels, améliorant la planification et la prise de décision. Dans l’agriculture, la généralisation des systèmes d’irrigation goutte-à-goutte pilotés numériquement, ainsi que l’agriculture de précision optimisent l’usage de l’eau tout en augmentant la productivité. Le dessalement solaire et le traitement avancé des eaux usées offrent de nouvelles ressources pour les zones littorales et les activités industrielles, réduisant la pression sur les eaux continentales.
Par ailleurs, des solutions fondées sur la nature, comme la restauration de zones humides et la recharge artificielle des nappes, sont intégrées dans une approche systémique et territoriale. L’innovation se combine avec la participation des acteurs locaux, la formation et la sensibilisation, pour garantir une adoption efficace et durable. Ces progrès technologiques et organisationnels positionnent le Maroc comme un acteur pionnier dans la modernisation de la gestion intégrée des ressources en eau et ouvrent de nouvelles perspectives pour sécuriser l’alimentation en eau et renforcer la résilience face au changement climatique.
-La coordination entre les acteurs institutionnels est souvent citée comme un point fort. Comment cette coordination s’est-elle renforcée ces dernières années ?
La coordination entre les acteurs institutionnels constitue un point fort de la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) au Maroc et s’est significativement renforcée ces dernières années. Le pays a développé un cadre institutionnel structuré, où les ministères, les Agences de Bassin Hydraulique (ABH), les collectivités locales et les opérateurs publics et privés collaborent de manière systématique. Les Conseils de bassin jouent un rôle central en réunissant les différents usagers de l’eau (agriculture, industrie, collectivités, environnement) pour définir des objectifs communs, prioriser les investissements et résoudre les divers conflits.
Des protocoles de coordination et des plans d’action intégrés ont été mis en place pour harmoniser les interventions sur les bassins, éviter les doublons et maximiser l’efficacité des projets hydriques. La digitalisation et le partage de données en temps réel entre agences et acteurs permettent désormais un suivi plus transparent et une réactivité accrue face aux crises de catastrophe liées à la sécheresse et aux inondations).
Par ailleurs, le renforcement des partenariats public–privé (PPP) et des collaborations avec les universités et centres de recherche contribue à enrichir les décisions techniques et à intégrer l’innovation dans la gestion quotidienne. La montée en compétence des acteurs locaux, combinée à la mise en place d’instances de concertation régulières, a consolidé la gouvernance multi-niveaux, amélioré la cohérence des actions sur le terrain et favorisé une approche solidaire et efficace de la gestion de l’eau au niveau national.
-La version finale du Plan National de l’Eau est très attendue. Quelles grandes orientations souhaitez-vous mettre en avant à ce stade ?
La version finale du Plan National de l’Eau (PNE) est très attendue, car elle constitue la feuille de route stratégique pour sécuriser l’eau au Maroc face aux défis climatiques, démographiques et économiques. Plusieurs grandes orientations apparaissent essentielles à savoir la sécurisation de l’approvisionnement en eau potable et agricole par la mobilisation et la diversification des ressources, incluant les barrages, les interconnexions de bassins, le dessalement et la réutilisation des eaux usées.
Le PNE devrait accentuer la gestion durable et la protection des ressources souterraines, avec le contrôle des forages, la réduction de la surexploitation et le développement de la recharge artificielle des nappes. La valorisation des eaux pluviales et la lutte contre la pollution figurent également parmi les axes prioritaires, en renforçant la récupération locale, les infrastructures de traitement et la qualité environnementale des bassins.
Parallèlement, le PNE doit encourager l’efficacité et l’innovation dans tous les usages : modernisation de l’irrigation, digitalisation des réseaux urbains, intelligence artificielle pour la prévision et le suivi des ressources. Enfin, la gouvernance intégrée et la concertation multi-acteurs doivent rester au cœur du PNE, avec un renforcement des Conseils de bassin, des partenariats public–privé (PPP) et de la participation citoyenne. Ces orientations visent à assurer une gestion résiliente, équitable et durable de l’eau, positionnant le Maroc comme un acteur proactif dans le contexte de rareté hydrique et de changement climatique.




















