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Souveraineté alimentaire : Le Maroc mange-t-il encore ce qu’il produit ?


Rédigé par L'Opinion Jeudi 30 Octobre 2025

Alors que les crises mondiales questionnent la capacité des nations à nourrir leurs populations, le Maroc voit sa souveraineté alimentaire mise à l’épreuve. Dans son rapport « Food Sovereignty in Morocco », le Moroccan Institute for Policy Analysis (MIPA) interroge un modèle agricole qui, malgré ses performances à l’export, dépend toujours largement des importations pour subvenir aux besoins essentiels.



Selon le groupe de chercheurs du Moroccan Institute for Policy Analysis (MIPA), le Maroc importe aujourd’hui près de 40 % de ses besoins alimentaires essentiels, notamment en céréales, sucre, huiles et légumineuses. Le blé, pilier de la consommation du Royaume, en est l’exemple le plus marquant. En effet, près de 70 % du blé tendre consommé provient de l’étranger, principalement de France, d’Ukraine et de Russie. Cette dépendance structurelle expose le pays aux fluctuations des prix internationaux et aux perturbations géopolitiques, comme le montre la guerre en Ukraine.

Le rapport souligne que malgré les ambitions du Plan Maroc Vert et de Génération Green 2020-2030, les politiques agricoles ont privilégié les cultures d’exportation à haute valeur ajoutée (fruits rouges, agrumes, tomates), au détriment des cultures vivrières locales, accentuant ainsi la vulnérabilité du marché intérieur. En 2022, les produits agricoles d’exportation ont généré plus de 68 milliards de dirhams de recettes, mais sans améliorer de façon significative l’autosuffisance alimentaire du pays.

Le MIPA pointe également la surexploitation des ressources en eau, devenue un frein majeur à la souveraineté alimentaire. A cet égard, l’agriculture absorbe près de 85 % des ressources hydriques nationales, dans un contexte marqué par la sécheresse récurrente et la baisse continue des précipitations. Les zones de production intensives, comme le Haouz, le Souss et le Tadla, sont désormais confrontées à un déficit hydrique chronique.

L’étude note, qu’entre 2000 et 2020, le volume moyen annuel des ressources en eau renouvelables est passé de 22 à 17 milliards de m³, soit une baisse de près de 23 %. Cette raréfaction menace directement la production agricole nationale et la sécurité alimentaire, en particulier dans les zones rurales où l’agriculture représente jusqu’à 70 % des emplois.
 
Un modèle agricole vulnérable
 
Sur le plan socio-économique, le document du MIPA met en avant les disparités croissantes entre grandes exploitations et petits agriculteurs. Ces derniers, qui représentent plus de 80 % du tissu agricole, disposent de moins de cinq hectares et peinent à accéder au financement, à la technologie et à la formation. À l’inverse, les grands producteurs, souvent tournés vers l’exportation, bénéficient d’incitations fiscales et de subventions ciblées.

Le MIPA estime, en outre, que cette dualisation du système agricole aggrave les inégalités rurales et fragilise la résilience alimentaire. Près de 70 % des exploitations familiales dépendent encore des précipitations, sans infrastructures d’irrigation modernes, ce qui les rend particulièrement vulnérables aux chocs climatiques.

Par ailleurs, l’enquête critique la logique productiviste du Plan Maroc Vert, qui a certes permis une croissance agricole moyenne de 5 % par an entre 2008 et 2018, mais sans générer une autonomie alimentaire durable. Les performances à l’exportation ont souvent été obtenues au prix d’une pression accrue sur les ressources naturelles.

Toujours d’après le MIPA, la question de la souveraineté alimentaire ne peut être réduite à celle de la production, mais doit intégrer la disponibilité, l’accessibilité et la durabilité des denrées. Ainsi, la dépendance aux importations de céréales et d’huiles rend le pays vulnérable à des facteurs extérieurs échappant à son contrôle.

Pour une souveraineté alimentaire inclusive et durable
 
Les experts du MIPA plaident pour une reconceptualisation du modèle agricole marocain autour de la souveraineté alimentaire. Celle-ci, définie comme « le droit des peuples à produire et consommer localement des aliments sains, suffisants et culturellement appropriés », suppose un rééquilibrage profond des politiques publiques.

Le think tank propose d’orienter les subventions et les investissements publics vers les filières stratégiques (céréales, légumineuses, oléagineux) plutôt que vers les productions d’exportation. Il appelle aussi à favoriser la diversification agricole et à encourager la transformation locale pour réduire la dépendance aux intrants et aux importations alimentaires.

Une telle réorientation permettrait de renforcer la résilience des petits agriculteurs, tout en garantissant des revenus stables et des circuits courts profitables à l’économie locale.
 
Un enjeu de gouvernance
 
Pour le MIPA, la réussite d’une telle transition exige une coordination institutionnelle renforcée. Le rapport déplore ainsi la dispersion des responsabilités entre plusieurs ministères – Agriculture, Intérieur, Commerce, Eau – et recommande la création d’un Conseil national de la souveraineté alimentaire, chargé d’assurer la cohérence et le suivi des politiques sectorielles.

Le think tank insiste également sur l’importance d’une approche territorialisée, adaptée aux spécificités régionales. Les régions du Sud et de l’Oriental, plus exposées à la sécheresse, nécessitent des plans de gestion intégrée de l’eau et des programmes d’agroécologie adaptés à leurs conditions climatiques.Le rapport conclut que la souveraineté alimentaire dépasse la seule dimension agricole : elle touche à la stabilité sociale, à la sécurité nationale et à la dignité économique.

Autrement dit, dans un contexte mondial marqué par les tensions géopolitiques et la dérégulation des marchés, le Maroc ne peut dépendre durablement de l’extérieur pour nourrir sa population. In fine, pour le MIPA, l’heure est venue d’adopter une vision holistique, fondée sur la durabilité écologique, l’équité sociale et l’autonomie économique, afin que la souveraineté alimentaire devienne un pilier stratégique du modèle de développement du Royaume.







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