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Culture

Camus délocalisé : L’Algérie ferme sa porte à L’Étranger qui trouve refuge à Tanger


Rédigé par Hichem Aboud le Mardi 28 Octobre 2025

Sélectionné pour la compétition officielle du Lion d’Or à la 82ᵉ Mostra de Venise, le nouveau film adapté de L’Étranger d’Albert Camus a pris ses quartiers de tournage en avril 2025… à Tanger.




Restituer l’atmosphère d’Alger des années 1930 sans poser une caméra en Algérie, pays même du récit, représente un paradoxe autant artistique que politique. Depuis Alger, aucune autorisation n’a été délivrée. Depuis Rabat, un feu vert discret et efficace a permis au réalisateur François Ozon de reconstituer le décor colonial à l’abri de toute polémique.


Troisième roman francophone le plus lu au monde, publié en 1942, L’Étranger plonge le lecteur dans la vie terne de Meursault, employé détaché de tout, jusqu’à son geste fatal sur une plage algéroise. Une œuvre matrice, longtemps célébrée en Algérie comme un miroir littéraire et un patrimoine partagé.
 

Visconti avait tourné en 1967 sur les pentes de la Casbah avec Marcello Mastroianni. Gianni Amelio avait obtenu l’autorisation de filmer Le Premier Homme à Oran et Mostaganem en 2010. La nouvelle adaptation n’a bénéficié d’aucune position officielle des autorités algériennes. Aucune réponse à la demande de tournage. Aucune négociation rendue publique.


François Ozon et son producteur FOZ se sont donc rabattus sur le Maroc. Gaumont et la société belge Scope Pictures accompagnent ce tournage sous supervision marocaine. Les rues de Tanger se substituent à celles d’Alger, maquillées en décor colonial pour les besoins du récit.


Ce déplacement géographique intervient dans une période où le contrôle politique sur la culture se durcit en Algérie. Le président Abdelmadjid Tebboune poursuit un mandat contesté depuis son élection de 2019, avec une administration obsédée par la gestion idéologique de l’espace public. Les passions mémorielles autour du passé colonial alimentent une censure qui ne dit pas son nom.


Les créateurs liés à l’héritage camusien subissent directement ce climat. Kamel Daoud, auteur de Meursault, contre-enquête, fait l’objet de mandats d’arrêt internationaux émis en mai 2025 selon plusieurs sources judiciaires citées dans la presse française. Ses livres sont bannis des salons du livre d’Alger depuis 2019. Rachid Boudjedra, reçu par Tebboune en juillet 2025, a publiquement qualifié Camus et ses héritiers de « harkis culturels » au service d’un supposé néocolonialisme littéraire.


Il devient dès lors illusoire d’espérer le feu vert pour adapter le roman colonial le plus connu du XXᵉ siècle sur les lieux mêmes où il a été imaginé. Chaque tournage est soumis au filtre du ministère de la Culture et de la Présidence. Ce filtre ne laisse plus passer grand-chose qui échappe à la ligne officielle.

Le roman de Camus, ancré dans un Alger solaire et oppressant, ne verra pas la Méditerranée depuis les hauteurs d’El Biar ou les plages de Sidi Fredj. L’Étranger se retrouve filmé à l’étranger. Une ironie qu’Albert Camus aurait sans doute relevée avec mélancolie.

 








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