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Maroc - Algérie : Les chances de la Pax Americana [INTÉGRAL]


Rédigé par Anass MACHLOUKH Samedi 25 Octobre 2025

Le chemin de la détente maroco-algérienne promise par Washington passe par le Sahara. L'initiative américaine met l’Algérie sous pression. Décryptage.



L’émissaire de Donald Trump, Steve Witkoff, a annoncé un possible accord de paix entre le Maroc et l’Algérie en 60 jours.
L’émissaire de Donald Trump, Steve Witkoff, a annoncé un possible accord de paix entre le Maroc et l’Algérie en 60 jours.
Il y a encore quelques mois, la discorde entre le Maroc et l’Algérie paraissait insoluble, Alger refusant opiniâtrement tout dégel diplomatique malgré les nombreuses tentatives de médiation arabes et la main sans cesse tendue par SM le Roi. Mais rien n’est impossible aux yeux des Américains qui veulent officiellement réconcilier les deux pays. L'Administration Trump œuvre dans les coulisses à un accord de paix. Lundi, l’émissaire itinérant de Donald Trump, Steve Witkoff, a pris tout le monde de court en annonçant un possible accord de paix en 60 jours. Assis à côté de Jared Kushner face à la journaliste de CBS, le négociateur préféré du président Trump dit avec un aplomb déconcertant pouvoir y parvenir. On sait que les Américains ne plaisantent pas. Quand ils voient l'intérêt de faire quelque chose, ils y vont franco.
 

La paix par la force !
 
Cette mission est confiée à deux proches du président américain qui étaient les chevilles ouvrières de l’accord historique de paix entre Israël et le Hamas. Un duo bien habitué aux arrangements de coulisse avec un talent indéniable. Steve Witkoff s’est fait connaître après le retour de Trump au pouvoir en 2024. Avocat et magnat de l’immobilier, il est engagé sur tous les fronts et fait preuve d’une habileté diplomatique hors du commun. Son profil atypique lui confère un style qui contraste avec les codes classiques de la diplomatie. Pour sa part, Jared Kushner, l'artisan des accords d’Abraham, connaît très bien le Maroc avec lequel il a négocié la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara et la reprise des relations avec Israël en 2020.
 
Donald Trump lance ses émissaires les plus aguerris à la conquête d’une paix difficile, que personne n'oserait penser imaginable, tellement le fossé entre Rabat et Alger est grand. Du côté algérien, l’annonce de Steve Witkoff suscite embarras et sidération. Des proches du régime multiplient les déclarations dans les médias pour minimiser l’impact de la médiation américaine.
 
Du côté marocain, le silence reste de mise, même le Directeur Général des Relations Bilatérales et des Affaires Régionales, Fouad Yazough, s’étant contenté d’un commentaire laconique de l’annonce de Witkoff lors de sa participation au forum de dialogue World in Progress (WIP).  Le bras droit de Nasser Bourita a juste rappelé la politique marocaine de la main tendue, selon l’agence espagnole EFE.
 
Les Etats-Unis tâchent de “pacifier” le Maghreb depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. L'Administration républicaine veut clore le dossier du Sahara en faveur du Maroc en jugeant le plan d'autonomie comme unique solution envisageable à l’ONU. L’envoyé personnel pour l’Afrique et le Moyen-Orient, Massad Boulos, l’a fait comprendre au pouvoir algérien lors de son dernier déplacement à Alger.
 

La diplomatie du bras tordu
 
Cette initiative recèle également une ambition personnelle de l’Administration Trump qui veut renforcer son image de faiseur de paix dans le monde. Une marque de fabrique qui devient le curseur de la diplomatie américaine. Trump l’a d’ailleurs prouvé en résolvant les conflits considérés jadis irrésolubles, tels que la guerre au Proche-Orient, le vieux conflit entre l'Azerbaïdjan et l’Arménie, la guerre indo-pakistanaise et le contentieux frontalier entre la RDC et le Rwanda. Les Républicains autour de Trump croient aux vertus de la paix par la force. Trump applique à la lettre la vieille maxime de son mentor Ronald Reagan avec “ la diplomatie du bras tordu” qui consiste à imposer un cap et contraindre les protagonistes à le suivre tout en n’hésitant pas à faire pression sur la partie récalcitrante, là en l'occurrence l’Algérie.
 
“Les Algériens redoutent énormément les Etats-Unis parce qu’ils savent qu’ils n’ont pas de carte à jouer et ont horreur d’être désignés parrains du terrorisme si le Polisario vient à être déclaré organisation terroriste à Wasginton, c’est pour cela que le régime ne voudrait pas s’opposer frontalement à l’initiative américaine”, glisse un diplomate français qui connait bien le pays.
 

Un deal possible ?
 
Maintenant, le flou plane sur l’issue de ce plan américain. On méconnaît la base d’une discussion si sensible entre deux rivaux qui ne se sont pas parlé depuis longtemps.
 
Emmanuel Dupuy, Président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), reste prudent et estime qu’il faut définir ce qu’un accord de paix. L’enjeu est de savoir s’il s'agit d’une simple reprise des relations diplomatiques ou d’une détente plus large qui comprend également la question du Sahara.
 

La main tendue de SM le Roi, le capital précieux
 
Les Etats-Unis veulent capitaliser sur la main tendue du Maroc envers l'Algérie et sa volonté sincère et constante de faire la paix, estime pour sa part Mohammed Badine El Yattioui, géopolitologue. Selon lui, si les Etats-Unis fixent un délai aussi court (60 jours) pour arriver à un deal, c’est pour mettre la pression sur le régime algérien et le contraindre d’accepter le fait accompli.
 

Le dilemme algérien !
 
Selon notre interlocuteur, l’Algérie est face à un choix cornélien, puisqu’elle doit choisir entre la fuite en avant avec toutes les conséquences qui vont avec et la fin du Polisario. Difficile d’y croire, estime l’expert, arguant que le régime algérien redoute la réaction de sa population qui risque de demander des comptes sur les fortunes dilapidées dans une affaire étrangère.
 
Par conséquent, Alger chercherait, selon lui, à sauver la face et renvoyer la balle au Polisario pour se dédouaner. De son côté, Emmanuel Dupuy trouve qu’il n’y a aucun signe qui prouve que l’Algérie soit disposée à parler de paix, qui, dit-il, ne semble pas avoir intérêt au regard de la conjoncture actuelle qu’elle connaît et au conflit qui lui échappe.
 
Quoiqu’il en soit, la paix espérée par les Américains signifie que l’Algérie accepte d'abandonner le Polisario au moment où la marocanité du Sahara est irréversible. C’est là la vraie question. Pris de panique, le régime a dicté au Polisario “une proposition de paix élargie”, envoyée dans la précipitation au Secrétaire Général de l’ONU à dix jours de la réunion du Conseil de Sécurité. Dans une lettre lue par le soi-disant diplomate en chef Mohamed Yeslam Beissat, le front se dit prêt à négocier avec le Maroc en signe de bonne volonté pour “partager la facture de la paix”. Une drôle de déclaration qui montre à quel point le désespoir règne à Tindouf. Une façon aussi de brouiller les cartes et faire diversion au moment où le Conseil de Sécurité s’apprête à siffler la fin d’un conflit vieux de 50 ans.
 
 

Trois questions à Emmanuel Dupuy : “L’Algérie campe encore dans la logique de la paix armée”

Emmanuel Dupuy, Président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), a répondu à nos questions.
Emmanuel Dupuy, Président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), a répondu à nos questions.
  • Quelles sont les chances de réussite de cette initiative américaine ?
 
D’abord, il faut savoir ce qu’on entend par accord de paix. L’accord annoncé par Steve Witkoff et Jared Kushner reste très flou et vague. En fait, un deal de paix peut être interprété de façon très large au sens où les Etats-Unis veulent imposer leur agenda aux Algériens dans la résolution du conflit du Sahara, avec l’autonomie comme base de négociation au moment où la dynamique au Conseil de Sécurité est en faveur du Maroc. Je rappelle que 14 sur 15 membres s’engagent dans cette dynamique, il n’y a que l’Algérie qui s’oppose formellement au plan d’autonomie après le geste de la Russie qui a bougé lors de la visite de Nasser Bourita à Moscou.
 
  • Que pensez-vous de la dernière proposition de paix du Polisario qui a suscité beaucoup de dérision ?
 
L’Algérie et le Polisario semblent vouloir rester dans le jeu en faisant une proposition au Secrétaire Général des Nations Unies pour éviter que leur position soit déclarée caduque par l’ONU. En somme, un accord de paix bilatéral reste encore loin d’être une réalité, mais il y a certes une capacité des Américains à imposer la solution au niveau onusien.
 
 
  • Pensez-vous que l’Algérie puisse céder à la paix au cas où le conflit du Sahara est tranché en faveur du Maroc ?
 
Je n'en suis pas certain. L’Algérie semble vouloir camper sur sa position traditionnelle en refusant de négocier sur la base de l'autonomie. Cette histoire ressemble au conflit russo-ukrainien. Chacune des deux parties déclare vouloir la paix tout en ayant des positions maximalistes. Je ne vois pas pour l’instant un changement de ton de l'Algérie qui ne semble pas avoir l’intention d'apaiser la tension. Mais, elle sera obligée quoiqu’elle dise de prendre acte du fait que les rapports de force changent à son désavantage. Rien ne confirme pour l’instant la prédisposition du régime algérien à s’engager dans une dynamique d'autant que le régime ne cesse d’augmenter son budget d'armement. Il reste dans la logique de “la paix armée”.
 
 

Trois questions à Mohamed Badine El Yattioui : “Les Américains veulent renforcer leur image de faiseurs de paix”

Mohamed Badine El Yattioui, Professeur d'Études Stratégiques au Collège de Défense (NDC) des Emirats Arabes Unis à Abou Dhabi, a répondu à nos questions.
Mohamed Badine El Yattioui, Professeur d'Études Stratégiques au Collège de Défense (NDC) des Emirats Arabes Unis à Abou Dhabi, a répondu à nos questions.
 
 
  • Pourquoi à votre avis cette annonce américaine dans ce timing ?
 
C’est en effet une annonce surprenante. Il y a, en effet, une volonté claire et constante de la part du Maroc de normaliser ses relations avec l’Algérie pour la paix dans la région. Le Souverain a maintenu la main tendue dans Ses discours.  Les Etats-Unis veulent capitaliser sur cette bonne volonté dans un contexte opportun où ils poussent vers une solution définitive. On voit clairement que trois membres permanents sont résolument rangés du côté américain avec des reconnaissances claires de la marocanité du Sahara. La Chine reste neutre de façon bienveillante en étant pas contre le plan d’autonomie, tandis que les Russes se rapprochent davantage du Maroc. Par conséquent, la pression s’accentue sur l’Algérie qui a compris finalement, par l’intermédiaire de Massad Boulos, que le règlement du conflit du Sahara tel que conçu par les Américains est inévitable.
 
  • La médiation américaine peut-elle donner les effets escomptés ?
 
La volonté américaine de parvenir à un deal de paix en 60 jours est une façon de faire pression sur le régime algérien pour le contraindre d’accepter le fait accompli.  Je n’exclus pas que l’Algérie, compte tenu de son dogmatisme, cherche à renvoyer la balle au Polisario en se cachant derrière sa neutralité. Alger a toujours allégué qu’il n’est pas partie prenante, il s’est réfugié dans cet argument pour se soustraire à sa responsabilité en renvoyant le Maroc et le Polisario dos à dos. L’objectif affiché par les Etats-Unis est désormais connu. 60 jours pour parvenir à un accord de paix, encore faut-il en déterminer les finalités. Il convient donc de savoir si on veut aboutir à la reprise des relations diplomatiques, suspendues unilatéralement en 2021 par Alger, ou à un accord plus global qui inclut tous les sujets de divergence, y compris le Sahara. L’Algérie craint aussi la réaction de sa population qui pourrait assimiler un accord de paix, qui serait systématiquement avantageux pour le Maroc, à une capitulation. Pourquoi autant d’argent dépensé en vain au détriment des Algériens ?
 
 
  • Quel est l’intérêt des Américains à réconcilier les deux pays ?
 
Les Américains cherchent à pacifier la région parce qu’ils ont besoin d’un Maghreb stable et apaisé pour accroître leur influence dans la région, au moment où ils cherchent à mettre pied au Sahel et développer des relations avec les nouveaux régimes dans un contexte de lutte d’influence face à la Russie et la Chine, après le départ précipité de la France.
 



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