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​Interview croisée avec Marwane Lotfi et Karim Hassani : À la découverte des modèles analytiques made in Morocco qui réinventent la performance footballistique


Rédigé par Mina ELKHODARI Mardi 28 Octobre 2025

Les chercheurs du Laboratoire Intelligence Machine à la FST de Mohammedia, Marwane Lotfi et Karim Hassani, ont captivé un public avide de comprendre les secrets de la victoire footballistique, en animant un workshop axé : science et football, lors de la 15ème édition de la Conférence internationale SITA’25. Dans cette interview croisée, les deux Data scientists reviennent sur l’apport de Data dans la prise de décisions au sein des clubs. Eclairage.



  • Comment est née l’idée de développer des modèles analytiques tels que : xG, xT, DxT ou VAEP dans la pratique du football ?
 
Marwane Lotfi : En vrai, les modèles statistiques dans le football ne sont pas une nouveauté, le principe remonte au début du football et de manière documentée, depuis le britannique Charles Reep dans les années 50. Ce qui a changé, c’est l’accessibilité à la Data et les puissances de calcul accrues des machines. Notre initiative découle ainsi d’un besoin réel de développer des modèles moins génériques et mieux contextualisés, que ceux existants sur le marché, soit des solutions plus proches du réel. 
 
 
  • Concrètement, comment ces modèles influencent-ils la prise de décision sportive au sein des clubs ou des sélections ?
 
Karim Hassani: Définitivement, c’est une tendance assez ancrée, surtout dans les pays anglo-saxons. Aujourd’hui, nous pouvons constater que certains clubs, connus pour utiliser ces outils, ne valident leurs transferts que sous le prisme de la Data comme Brentford ou Brighton en Première league. En revanche, d’autres clubs sont moins vocaux et préfèrent garder le secret, mais le sacre de Liverpool en 2020 n’est pas étranger à l’utilisation de la Data ou même aux recrutements préalables à ce titre. Pour les fédérations, l’Allemagne dispose d’une des structures les plus avancées dans ce sens, à savoir : qu’ils collectent leurs propres données qu’ils partagent avec les clubs de la Bundesliga.
 
 
  • Quel gain concret pour le joueur, l’entraîneur et l’équipe dans l’utilisation de ces outils ?
 
Marwane Lotfi: L’apport principal qu’offre la Data est la possibilité de quantifier et justifier les décisions et stratégies adoptées par chaque partie. Dépendamment d’une utilisation correcte et bien pensée, elle permet de qualifier la philosophie de jeu et d’en construire les préceptes sur une base scientifique. « On ne peut améliorer ce qu’on ne peut mesurer ».
 
 
  • Pouvez-vous citer quelques cas pour nos lecteurs ?
 
« Prenons l’exemple de Marouane Louadni ». C’est un joueur qui a été repéré grâce à la Data. À l’époque, il évoluait à Rapide Oued Zem, en deuxième Division, et personne ne parlait vraiment de lui. Après une étude approfondie, menée à l’aide de nos modèles de données, conjointement avec le coach Jamal Sellami, alors au FUS, nous avons rapidement identifié en lui un joueur de haut niveau. L’algorithme a suggéré son profil, et le contexte a joué en sa faveur puisqu’il cherchait une deuxième chance. Résultat: il a intégré le FUS, s’est immédiatement imposé, et a terminé sa première saison comme l’un des meilleurs défenseurs, selon nos indicateurs de performance. Nous aurions aimé le voir dès la Coupe du Monde 2022 au Qatar, car il avait clairement le niveau, mais il a finalement été titularisé, lors du dernier CHAN par Tarik Sektioui… et a remporté le titre. Une belle confirmation de ce que la Data avait révélé bien avant tout le monde.
 
 
  • Vos solutions permettent d’évaluer, entre autres, la capacité d’un gardien à empêcher des buts ou celle d’un joueur à marquer. Dans quelle mesure les solutions développées prennent-elles en compte la dimension psychologique et le contexte du match ?
 
Marwane Lotfi: Le football est un sport très complexe à analyser, où les buts se font rares et où l’aléa joue un rôle important dans le résultat final. Au sein du laboratoire, notre professeur Hafid Ramdani a taclé le sujet en travaillant sur le profiling des joueurs pour permettre de catégoriser les types psychologiques et ainsi faire entrer le mental dans nos équations.
 
 
  • Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées dans le développement de ces solutions appliquées au football ?
 
Karim Hassani: L’une des principales difficultés est de trouver de la matière première de qualité à exploiter. Dans le monde de la « football analytics », la Data reste le nerf de la guerre. Ainsi, dans la pléthore des fournisseurs de données, il est souvent ardu de trouver de la donnée précise et de bonne qualité.
 
 
  • Sur quelles innovations comptez-vous travailler à l’avenir ? Envisagez-vous d’étendre ces recherches à d’autres disciplines sportives ?
 
Marwane Lotfi: L’idée même de la fondation de notre équipe de recherche, au sein d’un laboratoire de recherche L.I.M (Laboratoire Intelligence Machine, FST Mohammedia), sous la supervision du Pr. Ramdani, est de pousser la réflexion et travailler à développer de nouveaux modèles, qui pourront avoir un plus grand impact que ce que propose la littérature scientifique. Le choix du football se base, vous nous l’accorderez, sur la popularité de ce sport dans le Royaume, mais rien n’empêche de nous étendre sur d’autres disciplines.
 
 
  • Observez-vous une ouverture des clubs à ces nouvelles approches basées sur la donnée ?
 
Karim Hassani: Comme dit l’adage, on n’arrête pas le progrès ! Et nous sommes persuadés que le « switch » vers l’utilisation de la Data, au sein de la Botola, se répandra à tous les clubs. D’ailleurs, plusieurs clubs ont déjà fait le pas, dans ce sens, et intégré des fondements de Football Data Analysis.
 
 
  • Comment comptez-vous les sensibiliser davantage à l’intégration de l’IA dans leur gestion sportive et financière ?
 
Marwane Lotfi: Nous pensons que la transition du statut des clubs vers des Sociétés Anonymes poussera ces derniers à adopter une logique de gestion d’entreprise. De fait, les structures chercheront à optimiser leurs charges, maximiser leurs profits et, ainsi, améliorer leur compétitivité. Des raisons qui feront de l’utilisation de la Data et l’IA plus une fatalité qu’une éventualité.
 
 
  • Comment évaluez-vous la performance de vos modèles ? Ont-ils déjà été adoptés ou testés par des clubs marocains ?
 
Karim Hassan: L’évaluation de nos modèles se fait sur deux plans complémentaires. Dans un premier temps, elle s’effectue à l’échelle internationale, selon des standards scientifiques reconnus. Nous mesurons la performance de nos modèles à travers différents indicateurs statistiques, tels que : le Brier Score, la Log Loss ou encore l’AUC-ROC, afin de garantir leur robustesse et leur capacité prédictive.
 
Dans un second temps, nous avons eu la chance de tester ces modèles sur le terrain, notamment, avec le coach Jamal Sellami, lorsqu’il était à la tête du FUS de Rabat. Il a toujours fait preuve d’une grande ouverture pour expérimenter des approches innovantes. Ce qui nous a permis de confronter nos modèles à la réalité du jeu et d’en affiner la précision.
 
 
  • Quels profils de compétences sont aujourd’hui recherchés dans le domaine de la Data et de l’IA appliquées au sport ?
 
Marwane Lotfi: Dans les structures pionnières, concernant l’utilisation de la Data, on parle plus de département Data et IA, comme l’a pu présenter notre hôte David Sousa, Data Scientist au sein de l’équipe du Benfica sous la direction de José Mourinho. Au sein de leur club, les équipes Data comptent 12 membres répartis en 3 équipes. On y trouve des profils différents mais complémentaires : Data Analysts, qui travaillent à donner du sens aux données et à communiquer avec le staff technique, les Data Engineer, qui structurent la Data, les bases de données ainsi que les pipelines, les Data scientists qui développent les modèles statistiques. Certainement à l’avenir, de nouveaux profils feront leur apparition et donneront un souffle encore insoupçonné au domaine.
 
 
  • En tant que jeune chercheur, quel regard portez-vous sur la formation et la recherche dans le domaine de l’IA sportive au Maroc ?
 
Karim Hassani: On peut dire qu’elles en sont à leur balbutiement. La deuxième édition du workshop, « L’Intelligence Artificielle, Levier de Réussite dans le Football : Mesurer, Analyser et Performer », est aussi un moyen de partager et de sensibiliser sur l’importance de l’utilisation de la data et l’intelligence Artificielle. D’ailleurs, je saisis l’occasion pour inviter les passionnés de sciences et de ballon rond à apporter leur contribution dans une logique d’échange et de communication pour mieux faire avancer les choses de sorte à réduire cet écart, de plus en plus fin entre nous et nos voisins du vieux continent.
 
 
  • Selon vous, quelle sera la prochaine grande révolution de l’intelligence artificielle dans le football ?
 
Marwane Lotfi: Nous pensons que l’émission de consignes de jeux en temps réel pourrait être la nouvelle révolution dans le football. Les supporters y verront une « robotisation » du sport, nous y voyons une évolution. Le football, depuis les années 60, a beaucoup changé de ce qu’on connaissait. L’introduction de révolutions technologiques, à chaque décennie, a modifié l’approche au sport et à l’analyse sportive. D’ailleurs, où sont passés les « libero » et numéros « 10 » classiques ? La Data permet leur résurgence dans les tactiques modernes mais aussi la conception de toutes nouvelles approches, qui font de ce sport un des plus excitants et des plus suivis au monde. L’IA ne remplacera ni les coachs, ni les joueurs, mais enrichira le beau jeu et la créativité des équipes.
 
 
 
 
 
 
 







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