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Système éducatif : La réforme de Benmoussa sous la loupe [INTÉGRAL]


Rédigé par Anass MACHLOUKH et Houda BELABD Mercredi 21 Juin 2023

Les sages du Conseil Supérieur de l’Éducation, de la Formation et de la Recherche Scientifique s’apprêtent à scruter la réforme de l’école publique telle que portée par Chakib Benmoussa. Une occasion de trancher le débat sur les grandes orientations. Décryptage.



Système éducatif : La réforme de Benmoussa sous la loupe [INTÉGRAL]
Lundi, les sages du Conseil Supérieur de l’Éducation, de la Formation et de la Recherche Scientifique (CSEFRS) se sont réunis pour lancer une réflexion collective sur la réforme du système éducatif. Le Conseil, conduit par un ex-ministre de l’Education, se fixe une mission capitale : concevoir le chemin à suivre vers « l’école nouvelle », sur laquelle repose la Vision stratégique 2015-2030.Concrètement, il s’agit de se prononcer sur la réforme que porte actuellement le ministre de tutelle, Chakib Benmoussa, à qui incombe de redresser l’école marocaine, victime de plusieurs décennies d’atermoiements et d’expérimentations hasardeuses à coups de plans d’urgence mal préparés.
 
Benmoussa face à un verdict crucial !

Certes, le ministre, à qui on a fait appel pour une dernière tentative de sauvetage de l’école marocaine, a d’ores et déjà entamé sa stratégie, mais le parcours reste très long et éprouvant. Formation des enseignants, révision du statut des fonctionnaires de l’Education nationale, renforcement de l’infrastructure scolaire… Benmoussa a déjà commencé à implémenter sa feuille de route après l’année scolaire 2022-2023. Toutefois, ce n’est que le prélude puisque les grands choix stratégiques liés à la qualité de l’apprentissage n’ont pas encore été faits.  Cette délibération tombe à point nommé puisqu’on vient d’apprendre les résultats du baccalauréat, dont le taux de réussite a chuté cette année par rapport à l’an dernier en passant de 66,28% à 59,74%.

C’est là où l’avis du Conseil supérieur est indispensable puisqu’il devrait trancher beaucoup de questions sur lesquelles l’indécision règne. En ce qui concerne l’école, le Conseil présidé par Lahbib El Malki est appelé à prononcer son verdict sur le projet de loi 59.21 relatif à l’Enseignement scolaire, le projet de décret relatif à l’orientation scolaire et professionnelle et au conseil universitaire, le projet de décret fixant les applications de l’ingénierie linguistique dans l’enseignement scolaire, la formation professionnelle et l’enseignement supérieur.
 
Quelle architecture linguistique ?

Le débat lancé par le Conseil devrait, d’abord, trancher l’épineuse question de l’architecture linguistique. Jusqu’à présent, les observateurs restent partagés entre le maintien du français en tant que principale langue secondaire, et l’intégration à grande échelle de l’anglais, perçu comme la langue de la mondialisation et des métiers du futur. Au milieu de ce débat, le ministère de tutelle donne l’impression d’être circonspect. D’une part, il a généralisé l’anglais au collège à partir de la prochaine rentrée scolaire, comme annoncé dans la circulaire ministérielle. Mais, de l’autre côté, il s’est appuyé davantage sur le français surtout dans l’enseignement des matières scientifiques, sans fermer la porte à la possibilité d’un passage progressif à l’anglais. Ce débat dure tant que la loi-cadre demeure indécise en matière d’ingénierie linguistique. Ce qui est sûr pour l’instant, c’est que les nouvelles générations éprouvent un engouement inédit pour la langue de Shakespeare au détriment de celle de Molière qui perd du terrain au fur et à mesure que le temps passe. Tout le monde se souvient du sondage mené par le British Council en 2021, qui a fait état de 40% de jeunes favorables au passage à l’anglais. D’où la nécessité de promouvoir cette langue dès le primaire pour accompagner cette transition. Pour sa part, le ministère a l’ambition d’instaurer deux heures d’anglais par semaine tout au long des années du collège, avec une moyenne de 24 heures par semaine pour chaque enseignant. Encore faut-il en avoir les moyens humains. Le Maroc, rappelons-le, ne dispose actuellement que de 9000 professeurs d’anglais. Un chiffre que le département de Benmoussa veut augmenter.

Certes, le ministère de l’Education nationale a la volonté de passer à la vitesse supérieure pour que l’anglais soit autant incrusté dans notre système éducatif que le français. Cependant, cela se fera par étapes et il faudrait attendre jusqu’à 2027 pour avoir des résultats si le ministère honore ses engagements. Le même souci se pose pour l’amazighe dont on parle depuis longtemps sans résultats tangibles. Le ministère a fait un pas gigantesque en généralisant la deuxième langue officielle du Royaume sur l’ensemble des écoles, dont 12.000 d'élèves sont ciblés à l'horizon 2030. Face à la volonté du Maroc d’enrichir l’enseignement des langues, le Conseil supérieur est appelé à définir le cap et donner son avis en proposant une formule équilibrée entre les langues nationales et étrangères.

Au-delà des choix linguistiques, la qualité de l’apprentissage demeure le grand souci de l’école marocaine. Il suffit de réaliser que 77% des élèves du primaire sont incapables de lire un texte en arabe, tandis que 70% ne parviennent pas à lire en français et 87% trouvent du mal à faire une simple division en mathématiques. Ne parlons même pas du décrochage scolaire au collège et au lycée dont les chiffres sont inquiétants.
 
La longue marche vers les écoles pionnières !

L’avis du CSEFRS serait très instructif pour évaluer les nouvelles méthodes introduites par le ministère de l’Education nationale dans les écoles. Dès la rentrée scolaire 2022-2023, on a commencé à expérimenter l’apprentissage selon la méthode TARL (Teaching at the right level) qui consiste à cibler directement les lacunes pour consolider les acquis fondamentaux. La phase expérimentale a eu lieu dans 250 écoles au bénéfice de 10.000 élèves. Les résultats semblent encourageants selon une étude réalisée par des chercheurs de l’Université Sidi Mohammed Benabdellah de Fès qui a prouvé l’efficacité de cette technique.

Le ministère de tutelle compte généraliser ladite technique à un million d’élèves d’ici 2025. Entre-temps, le ministère s’est évertué à imposer des séances semblables à celle de rattrapage. Il s’agit de réserver quotidiennement une dizaine de minutes pour la lecture et les mathématiques. Il s’agit là de pas premiers pour passer à une étape beaucoup plus importante : celle des écoles pionnières qui seront lancées dès la rentrée 2023-2024 et où les nouvelles techniques seront généralisées. 628 écoles primaires publiques et 322.000 élèves sont ciblés selon la Feuille de route 2022-2026. Pour ce faire, le ministère fait appel à 10.700 enseignants volontaires qui auront des incitations financières.
 
 

Trois questions au Pr Mohammed Guedira « Nous devons nous enhardir à mener une guerre sans merci contre tout ce qui jugule cette réforme qui se veut progressiste et bénéfique pour tous »

Aux grands maux les grands remèdes et aux grandes réformes les grandes solutions. Pr Mohammed Guedira, fin expert en politique publique éducative, professeur à l’Université Mohammed V de Rabat, est de cet avis.
Aux grands maux les grands remèdes et aux grandes réformes les grandes solutions. Pr Mohammed Guedira, fin expert en politique publique éducative, professeur à l’Université Mohammed V de Rabat, est de cet avis.
Que pensez-vous de cette réforme du point de vue stratégique ?
 
- Nous sommes devant un constat qui fait froid dans le dos. Combien avons-nous de professeurs habilités à prodiguer, dans un anglais digne de ce nom, des cours de master dans des spécialités aussi pointilleuses que le management, les sciences appliquées et les nouvelles technologies ? Le problème des ressources humaines est donc majeur. Dans le meilleur des cas, nous avons des professeurs qui ont été formés il y a plusieurs décennies mais sans mise à jour de leurs acquis et sans formation continue. Il y a parmi eux qui refusent de regagner leurs bans d'apprentis afin de bénéficier de ces cours car leur ego n'y est pas prêt. Nous avons aussi ceux qui ne maîtrisent pas la technologie.

- Qu’est-ce qui entrave le bon déroulement des choses, du point de vue pédagogique ?

- Nous avons des professeurs universitaires, détenteurs de doctorat, qui se croient au-delà de toute autre formation pédagogique. Or, la pédagogie, l'enseignement, c'est tout un art.

- Que pensez-vous des bonnes intentions de cette réforme du système éducatif marocain ?

- La réforme est faite de bonnes intentions, mais n'oublions pas que l'enfer est pavé de bonnes intentions aussi. Lorsque nous ne savons pas où aller, nous prétendons être arrivés à destination. Cet adage s'applique à notre système éducatif, malheureusement. En d'autres termes, avant de crier victoire, nous devons nous enhardir à mener une guerre sans merci contre tout ce qui jugule cette réforme qui se veut bénéfique pour tous. Soyons, somme toute, réalistes. Si nous ne recrutons pas de nouveaux professeurs, il faudrait s’attendre à des résultats peu flatteurs.  Le ratio d'un professeur pour près de 120 étudiants est une vraie plaie et il est grand temps de sortir les grands moyens et les grandes solutions.

Propos recueillis par H. B.
 
 

Trois questions au Pr Samia Belyazide « Hisser le niveau des élèves dépend de la méthodologie éducative des enseignants »

En cette conjoncture de réforme, « L’Opinion » a questionné celle qui a passé toute sa vie professionnelle à préconiser l’anglicisation de l’école marocaine. Il s’agit de Samia Belyazide, professeur universitaire à la retraite et fervente militante de l’anglicisation du système éducatif national. Elle a enseigné pendant trente ans à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines à l’Université Mohammed V à Rabat.
En cette conjoncture de réforme, « L’Opinion » a questionné celle qui a passé toute sa vie professionnelle à préconiser l’anglicisation de l’école marocaine. Il s’agit de Samia Belyazide, professeur universitaire à la retraite et fervente militante de l’anglicisation du système éducatif national. Elle a enseigné pendant trente ans à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines à l’Université Mohammed V à Rabat.
Votre rêve le plus cher, celui de l’anglicisation du système éducatif national, est en train de se réaliser. Qu’en pensez-vous ?

- Ancrer la langue de la mondialisation dans le système éducatif national doit se faire avec un bistouri et non avec des pincettes. Elle est loin de moi l’idée de critiquer la décision étatique de généraliser l’anglais dès le cycle élémentaire, bien au contraire, il s’agit d’un pas que je salue. Seulement voilà, il faudrait y aller dans les règles de l’art. Hisser le niveau des élèves dépend de la méthodologie éducative des enseignants. Il est temps de mettre en pratique cette recommandation.

- On ne cessera jamais d’énumérer les mille et une vertus de la langue de Shakespeare. Quelles en sont les plus urgentes, selon vous ?

- L’anglais est très demandé. A la Faculté où j’ai enseigné cette langue pendant de longues années, tout le monde voulait l’apprendre. Parfois j’avais environ 600 étudiants dont un grand nombre y voyaient la langue du développement personnel et professionnel. Les étudiants en médecine et en sciences appliquées ont besoin de cette langue pour résumer leurs thèses en anglais. Il faut hisser le niveau des écoles, des moyens d’apprentissage, informatiser le système. L’état des collèges laisse tant à désirer. Le matériel doit être attrayant pour les jeunes élèves et la méthode communicative, c’est-à-dire celle qui consiste à enseigner l’anglais en anglais, sans expliquer dans une autre langue est la méthode la plus réussie qui puisse exister.

- Quel est le challenge de l’anglicisation du système ?

- L’idéal ce serait de pouvoir parler couramment l’anglais. Mais le minimum requis pour réussir cette mission serait d’arriver à assimiler cette langue et à s’exprimer dedans avec des phrases intelligibles.
 
Propos recueillis par Houda BELABD
 

Secteur privé : Le grand point d’interrogation !

Cela fait des années que la privatisation de l’enseignement fait débat. Jusqu’à présent, le rôle des établissements privés dans le système éducatif reste peu lisible. Face à la déliquescence de l’école publique ces dernières décennies, les gens ont commencé à se ruer vers l’enseignement privé pour garantir un minimum de sécurité et d’apprentissage de qualité à leurs enfants. Or, ce secteur, qui représente 36% du système éducatif, demeure mal régulé. En témoignent les polémiques incessantes sur les frais d’inscription et les abus de certains directeurs face auxquels le ministère de tutelle est resté impuissant faute de capacité d’intervenir.

Ceci est dû au vide juridique puisque la loi-cadre relative au système d’éducation ne défère pas à l’Etat le droit d’intervenir. A cela s’ajoute l’absence d’encadrement et de contrôle des écoles privées, comme l’a souligné le Conseil de la Concurrence dans le rapport accablant qu’il a publié le 8 novembre 2021 et qui a souligné la caducité de la législation actuelle bien qu’elle soit récente (la loi-cadre date seulement de 2019).

Le Conseil présidé par Ahmed Rahhou a critiqué la quasi-absence de l’inspection pédagogique de même qu’il a souligné le chevauchement des compétences entre le ministère de tutelle et les Académies régionales, ainsi que la difficulté d’appliquer les sanctions à l’égard des contrevenants.

Là, plusieurs questions se posent sur l’attitude des établissements privés et leur capacité à suivre les grandes orientations de la réforme éducative portée par Benmoussa. Faute de contrôle et de suivi, les écoles privées vont continuer à faire cavalier seul.








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