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Rétro-Verso : Hôpital Avicenne, une épopée médicale et sociale


Rédigé par Houda BELABD Mercredi 29 Octobre 2025

Inauguré il y a 71 ans, l’Hôpital Avicenne de Rabat symbolisa l’excellence médicale, la modernité et le rôle structurant du système de santé marocain. Mais encore ?



Hôpital Avicenne de Rabat à la fin des travaux en 1954. / Photo : Mohamed-Hosni Belkorchi.
Hôpital Avicenne de Rabat à la fin des travaux en 1954. / Photo : Mohamed-Hosni Belkorchi.

Inauguré en 1954, l’Hôpital Avicenne de Rabat incarne, à lui seul, l’Histoire d'une institution hospitalière pionnière au Maroc, alliant modernité architecturale, excellence médicale et engagement social. Né dans un contexte de transition post-coloniale, cet établissement a joué un rôle charnière dans la structuration du système de santé marocain.
 

Nous pourrions lire dans l'historiographie que la construction de l'Hôpital Avicenne de Rabat débuta en 1948, sous l'impulsion des autorités françaises, dans le but de répondre aux besoins sanitaires croissants de la population marocaine. Achevé en 1954, il fut inauguré par Francis Lacoste, Résident Général, en présence de Louis Jacquinot, ancien ministre français, soulignant l'importance de cet établissement dans le paysage médical de l'époque.
 

Aussi, un reportage de l'Institut français des Archives nationales (INA) de l'époque témoigne-t-il de l'enthousiasme suscité par cette réalisation moderne, avec des équipements ultramodernes tels que des chaudières, une buanderie et des autoclaves, illustrant l'engagement envers des standards élevés de qualité et d'hygiène. Cette infrastructure de pointe marqua un tournant dans l'histoire médicale du pays, offrant des soins de qualité à une population en pleine mutation.

 

L'établissement ne tarda pas à devenir un centre de référence, non seulement pour les soins, mais aussi pour la formation des professionnels de santé, contribuant ainsi à l'émergence d'une élite médicale nationale. Il incarna l'engagement du Maroc envers la modernisation de son système de santé et le bien-être de sa population.

 

À cette époque, le pays faisait face à des défis sanitaires majeurs : la population se trouvait confrontée à une forte prévalence de maladies infectieuses telles que la tuberculose, le paludisme et la fièvre typhoïde, et l'accès aux soins médicaux demeurait très inégal selon les régions. Les infrastructures hospitalières étaient limitées, concentrées principalement dans les grandes villes, et les moyens techniques et humains restaient insuffisants pour couvrir l’ensemble des besoins. L'indépendance du pays en 1956 marqua un tournant, nécessitant la mise en place d'un système de santé national. Le ministère de la Santé, dirigé par des figures telles que Dr Faraj, s'engagea dans la modernisation des infrastructures hospitalières, avec l'Hôpital Avicenne comme fer de lance. Cet établissement devint rapidement un centre de référence, non seulement pour les soins, mais aussi pour la formation des professionnels de santé, contribuant ainsi à l'émergence d'une élite médicale nationale.

 




Une Institution au service de la Nation

 

Au-delà de ses fonctions médicales, cet Hôpital, a priori comme pas deux, joua un rôle social essentiel. Il devint un symbole de l'État marocain moderne, offrant des soins accessibles à une population diverse, issue de toutes les régions du pays. Des personnalités politiques, des intellectuels et des citoyens ordinaires y reçurent des soins, renforçant ainsi le lien entre l'institution et la nation.

 

En 2004, l'Hôpital célébra son cinquantenaire, occasion de dresser le bilan de ses réalisations et de son impact sur le système de santé marocain. Il fut reconnu comme un hôpital régional à dimension nationale, ayant contribué à la structuration du réseau hospitalier du pays.

 

Aujourd'hui, Avicenne laisse place à un nouveau Centre Hospitalier Universitaire (CHU) Ibn Sina, un projet ambitieux lancé en 2022 par SM le Roi Mohammed VI. Ce nouvel établissement, d'une hauteur de 140 mètres et d'une capacité de 33 étages, symbolise la modernité et l'engagement du Maroc envers l'amélioration continue de son système de santé. Le chantier, d'un investissement de plus de 6 milliards de dirhams, vise à offrir des infrastructures de pointe, répondant aux besoins croissants de la population en matière de soins de santé.

Cet hôpital demeure une référence dans l'histoire de la médecine au Maroc. Son héritage perdure à travers les générations de professionnels de santé qu'il forma et les milliers de vies qu'il toucha. Alors que le pays s'engage dans une nouvelle ère de modernisation de son système de santé, l'esprit d'innovation et de service public incarné par cet établissement sanitaire continue de guider les actions du Maroc en matière de santé publique.

 


3 questions à Mohamed Es-Semmar : "Le personnel médical était limité face à une demande nationale croissante"

Fin connaisseur de l'Histoire et de l'évolution socio-économique de la Capitale du Royaume, Mohamed Es-Semmar dresse un comparatif entre les défis sanitaires et hospitaliers d’hier et ceux d’aujourd’hui. 
Fin connaisseur de l'Histoire et de l'évolution socio-économique de la Capitale du Royaume, Mohamed Es-Semmar dresse un comparatif entre les défis sanitaires et hospitaliers d’hier et ceux d’aujourd’hui. 
  • Pouvez-vous nous parler de l’Histoire de l’hôpital Avicenne de Rabat ?
 
-Dans les années 1950, il y avait très peu de grands hôpitaux à l’échelle nationale. L’hôpital Avicenne a été conçu pour devenir un centre de référence capable de recevoir des malades venus des quatre coins du Maroc. À l’époque, les hôpitaux privés étaient réservés à une minorité privilégiée, et la majorité de la population devait se contenter de dispensaires souvent rudimentaires dans les villages et les zones rurales. Face à ce manque de structures médicales modernes, la médecine traditionnelle restait très répandue et constituait le principal recours pour beaucoup de familles.
 
  • Quels étaient les principaux défis de l’époque ?
 
-Le défi majeur était l’accessibilité. Même si Avicenne offrait des soins avancés pour l’époque, certains habitants du Nord, de l’Oriental ou du Sud mettaient 24 heures, parfois plusieurs jours, pour atteindre l’hôpital, les routes et le chemin de fer étant encore en construction. Par ailleurs, le personnel médical était limité et les infrastructures hospitalières restaient insuffisantes face à la demande nationale, surtout pour les maladies infectieuses et les pathologies courantes.
 
  • La population du Maroc à l’époque était beaucoup moins nombreuse qu’aujourd’hui. Quel impact cela avait-il sur la santé publique nationale, si l’on devait en dresser un comparatif ?
 
- Avant le Protectorat, la population était encore plus réduite qu’au début des années 1950, mais cela n’empêchait pas les maladies primaires (tuberculose, paludisme, fièvres infectieuses,...) de faire des ravages. L’hôpital Avicenne devait, donc, pallier l’absence de structures capables de prendre en charge des pathologies souvent mortelles. La conclusion historique est claire : ce n’était pas la taille de la population qui définissait la gravité des enjeux sanitaires, mais bien la rareté des infrastructures médicales et l’absence quasi totale de prévention organisée. En ce sens, la création d’Avicenne marqua une réponse structurée à un problème national déjà ancien.
 

​Rétrospective : Le système de santé, il y a un siècle et demi

Il fut un temps au Maroc où les maladies étaient soignées à l’ancienne, soit en ayant recours à la médecine douce: celle des herboristes et des guérisseurs traditionnels. Parfois, ces derniers n’hésitaient pas un instant à exorciser leurs «patients» pour une simple migraine, car selon certaines légendes, la maladie ne peut être que l’œuvre du diable.

 

De plus, il y a environ un siècle et demi, la famine qui sévissait au Maghreb provoquait des épidémies. Cette situation était d’autant plus aggravée que les notions d’hygiène les plus basiques n’étaient pas respectées dans certaines villes, et encore moins dans les campagnes.

 

Il faut dire que le peu de médecins qui étaient, plus tard, disponibles, en majorité des étrangers, se cantonnaient à la côte atlantique, servant en tant que médecins consulaires et militaires.

 

L’on raconte même que le médecin et explorateur français Fernand Linarès avait officié comme médecin du Sultan Hassan 1er. Aussi, Dr Moncada, un médecin espagnol dont la Vigie marocaine s’est longuement fait l’écho, a longtemps exercé à Casablanca aux alentours de la Première Guerre mondiale. Mais une chose demeure certaine, le système de santé ne ressemble, aujourd’hui, en rien à ce qu’il était il y a environ un siècle.

 

En tournée dans l’arrière-pays de Marrakech en 1911, le médecin R. Debré relatait dans son livre «L’honneur de vivre» certaines scènes atroces qui l’ont marqué : «plaies suppurantes, jointures gonflées, membres déformés par les fractures mal réduites, paupières bouffies, globes oculaires gravement lésés, tumeurs cutanées, beaucoup d’enfants à ventre enflé, vieillards boitant et marchant à peine...». Dans les grandes villes, les maisons de guérisseurs étaient dans un état de détérioration avancé et ne pouvaient prétendre traiter correctement les malades, en particulier les malades mentaux.

 
 


Archives : Selon le Général Lyautey, «un médecin vaut un bataillon»

Aux termes de l’Acte d’Algésiras, signé le 7 avril 1906, la France a installé les premiers dispensaires et hôpitaux français au Maroc, principalement sur la côte atlantique, mais pas seulement. À Casablanca, Rabat, El Jadida, ou à l'intérieur des terres, des plaines et des montagnes, à savoir à Fès, Marrakech ou vers l'Oriental, à Oujda, des hôpitaux pluridisciplinaires offraient des soins et des services qui étaient, à cette époque, de l’ordre du révolutionnaire, puisque des prouesses médicales modernes telles que les vaccins et les opérations chirurgicales étaient, pour la première fois dans l’Histoire du Maroc, pratiquées.

 

Cependant, comme l’ont souligné plusieurs historiens les avancées de la médecine française au Maroc se sont faites à l’époque des troupes de «pacification». Après les émeutes de Casablanca de juillet 1907, au cours desquelles il y eut plusieurs morts parmi les ouvriers d’une entreprise française qui construisait le port. En d’autres termes, l’infrastructure mise en place à l’époque par les autorités du Protectorat visait essentiellement à fournir les soins nécessaires à la communauté européenne et à préserver le «capital humain» marocain, gisement sûr de main d’œuvre pour l’industrie et l’agriculture au service de la France, et de soldats pour l’armée française, en cas de conflit armé... C’est ainsi que l’armée française a fait son entrée. Rapidement, pour désengorger l’étau sur la ville, il lui fallut étendre son cercle de protection à toute la région de la Chaouia. Ainsi donc a été créée la première infirmerie à Settat, tandis que le célèbre docteur Cristiani a fondé l’hôpital du Cocard à Fès en 1912. Il sied cependant de préciser que le promoteur de la politique sanitaire au service de l’armée fut le Maréchal Lyautey, alors Général, qui affirmait à cet égard qu’un «médecin vaut un bataillon».

 


Conjoncture : Des défis structurels aux perspectives de modernisation

Le système de santé marocain, bien qu'ayant enregistré des avancées significatives ces dernières décennies, reste confronté à des défis structurels qui pèsent sur son efficacité et son équité. Ces difficultés, bien identifiées, exigent des réponses adaptées pour garantir à tous les citoyens un accès à des soins de qualité. L’une des principales problématiques réside dans les disparités entre zones urbaines et rurales. Les régions éloignées souffrent d’un manque d’infrastructures sanitaires et d’une pénurie de professionnels de santé, limitant l’accès aux soins pour une partie importante de la population.

 

Par ailleurs, le pays connaît un déficit notable en ressources humaines. Avec environ 1,7 professionnel de santé pour 1000 habitants, le Maroc se situe en deçà des recommandations internationales. Cette insuffisance en médecins, infirmiers et techniciens impacte directement la qualité et la disponibilité des soins, entraînant des délais prolongés de prise en charge et une surcharge des établissements de santé. À cela s’ajoute une gouvernance qui peine parfois à coordonner efficacement les différents acteurs publics et privés. Le cloisonnement des structures et l’absence d’une politique intégrée peuvent réduire l’efficacité des services et freiner la mise en œuvre cohérente des politiques sanitaires.

 

Le financement constitue un autre enjeu majeur. Le système repose en grande partie sur l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO), dont la couverture reste limitée face aux dépenses de santé croissantes. Garantir la viabilité financière de l’AMO, tout en étendant la couverture aux populations vulnérables, représente un défi crucial pour le gouvernement. La transformation numérique apparaît comme un levier prometteur pour surmonter certains obstacles. L’intégration des technologies de l’information peut améliorer la gestion des données de santé, faciliter l’accès aux soins et optimiser les processus administratifs. Néanmoins, le renforcement des infrastructures numériques et la formation du personnel demeurent des priorités essentielles.

 

Les réformes entreprises récemment, telles que la loi-cadre 06.22 adoptée en 2023, illustrent la volonté du Maroc de moderniser son système de santé, d’améliorer la gouvernance, de renforcer la couverture sanitaire universelle et d’intégrer les nouvelles technologies. Leur succès dépendra toutefois de la capacité à surmonter les obstacles structurels et à assurer une mise en œuvre effective sur le terrain. Malgré les défis persistants, le système de santé marocain dispose de leviers solides pour progresser. Les investissements dans les infrastructures, la formation des professionnels et l’innovation technologique offrent des perspectives positives. La mobilisation continue des acteurs et la cohérence des politiques permettront à terme de garantir à chaque citoyen un accès équitable à des soins de qualité, consolidant ainsi les acquis et préparant le pays à relever les défis sanitaires du futur.
 








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