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Narcotrafic : Mocro Maffia, la pieuvre marocaine des Pays Bas refait parler d’elle


Rédigé par Nizar DERDABI Lundi 14 Novembre 2022

Longtemps jugés paisibles, les Pays-Bas ont été confrontés à plusieurs épisodes de grave violence liée à la mafia de la cocaïne d’origine marocaine, qui compte s’en prendre maintenant aux plus hautes autorités de l’Etat.



Tous les services de police et de renseignements néerlandais sont sur le pied de guerre depuis quelques semaines déjà. Des menaces sérieuses pèsent sur l’intégrité physique de la Princesse Amalia, héritière du trône du Royaume des Pays-Bas, ainsi que celle du Premier ministre Mark Rutte. Il ne s’agit pas de menaces provenant d’Al Qaïda, de Daech ou de n’importe quelle autre organisation terroriste. Mais l’organisation criminelle qui est à l’origine de ces menaces est une mafia de la drogue néerlandaise dont les membres sont en majorité des individus d’origine marocaine.

Cette mafia, appelée «Mocro Maffia», en référence aux origines marocaines de ses membres (Mocro étant une contraction de Marokko), est parvenue durant ces 10 dernières années à s’imposer comme l’organisation criminelle la plus puissante dans le trafic de drogue dans le Nord de l’Europe. Or, si elle fait peser un climat de terreur parmi des responsables politiques et judiciaires et la population en général, c’est avant tout à cause des méthodes extrêmement violentes et des règlements de comptes en série entre gangsters qui la caractérisent.

Comment cette mafia qui s’est constituée à la fin des années 90 autour d’un noyau de jeunes néerlandais issus de la communauté marocaine d’Amsterdam a réussi à devenir un acteur incontournable du trafic de drogue en Europe et pourquoi cette organisation criminelle souhaite s’en prendre directement aux plus hautes autorités du pays ?

Une mafia constituée de jeunes ripoux qui parvient rapidement à s’imposer

A la fin des années 90, la Mocro Maffia a commencé à se structurer en différents petits clans qui s’affrontent parfois, mais qui relèvent tous du même «syndicat du crime», placé sous l’autorité d’un seul chef. Constituée initialement de jeunes gangsters d’origine marocaine, la Mocro Maffia a intégré depuis de nouveaux membres d’origine serbe, albanaise et du Suriname. Toutefois, le leadership est toujours resté entre les mains de chefs d’origine marocaine. C’est d’ailleurs la filière de cannabis marocaine qui a permis à cette mafia de développer son activité autour du trafic de drogue. Etant donné qu’une grande partie de la communauté marocaine installée aux Pays-Bas est originaire de la région du Rif, les membres de cette mafia ont profité de leurs liens familiaux avec les barons de la drogue rifains pour organiser des circuits de trafic de résine de cannabis entre le Maroc et les Pays-Bas.

Attirés par l’appât du gain, les chefs de cette mafia ont étendu leur trafic à la marijuana puis à la cocaïne, dix fois plus rentable que le «hasch». Mais pour contrôler le trafic de cocaïne et écarter la concurrence des autres bandes rivales, la Mocro Maffia va se montrer particulièrement violente et impitoyable. Alors que les ports de Rotterdam et d’Anvers deviennent les deux principaux ports d’entrée de la cocaïne en Europe, les mafias belge et néerlandaise vont se livrer une guerre sanglante qui va entraîner en quelques années plus de 100 morts. Et de cette lutte farouche et meurtrière, un chef va ressortir renforcé puis finir par s’imposer comme le leader du trafic de drogue incontesté et redouté par tous. Ridouan Taghi parvient rapidement à monter une organisation criminelle dotée d’une grande capacité opérationnelle mais aussi d’une redoutable armée de tueurs à gage.

Pour assurer la pérennité de son business, Ridouan Taghi ordonne l’élimination de toutes les personnes qui se mettent en travers de son chemin : chefs de gangs rivaux, anciens mafieux repentis, mais aussi l’avocat d’un témoin cité dans une affaire impliquant Taghi. La devise du gang de Ridouan Taghi est connue de tous : «Celui qui parle, mourra !». Et cette spirale de violence ne se limite pas qu’au territoire des Pays-Bas.

En effet, c’est sur ordre de Taghi que deux tueurs à gage exécutent une personne innocente au Café La Crème à Marrakech en 2017, alors qu’ils croyaient viser un narcotrafiquant d’une bande rivale installé au Maroc. Mais l’assassinat qui a le plus choqué l’opinion publique néerlandaise est celui du célèbre journaliste d’investigation Peter de Vries en juillet 2021, qui avait eu le malheur de révéler publiquement l’identité de membres importants de l’organisation criminelle.

Taghi, qui est encore soupçonné d’avoir commandité ce crime, se trouve alors en prison après avoir été arrêté à Dubaï en 2019, puis extradé aux Pays-Bas pour être jugé pour les multiples crimes dont il est accusé. Le parrain de la Mocro Maffa a beau être détenu dans une prison ultra-sécurisée dans l’attente des divers procès qui le mettent en cause, il continue à être le cerveau présumé de l’organisation, qualifiée «de machine à tuer bien huilée» par la justice néerlandaise. Et d’ailleurs, son procès, impliquant 16 de ses complices, se tient actuellement sous très haute surveillance, de peur des représailles. 

Des menaces prises très au sérieux par les services de sécurité néerlandais

Néanmoins, ce qui agite le plus les services de sécurité néerlandais actuellement, ce sont les menaces qui touchent directement les plus hautes personnalités de l’Etat. Déjà, le Premier ministre Mark Rutte avait été visé par des menaces il y a un an, suite à un engagement du gouvernement à combattre plus fermement les mafias de la drogue après le meurtre du journaliste Peter de Vries.

Le chef du gouvernement, habitué à se déplacer à vélo, a dû se résoudre à accepter une protection rapprochée. Puis le 13 octobre, le couple royal avait provoqué un choc en annonçant publiquement que la princesse Amalia, 18 ans, ne pouvait plus quitter le palais suite à des menaces sur sa sécurité. Les services de sécurité ont redouté une tentative d’enlèvement ou d’attentat de la part de la Mocro Maffia, dans le contexte du procès en cours de Ridouan Taghi et ses acolytes.

Il est difficile de concevoir qu’une organisation criminelle, aussi puissante soit-elle, puisse avoir les moyens de s’attaquer à l’héritière du trône néerlandais et au chef de gouvernement. Pourtant, les menaces ont été prises très au sérieux par les forces de l’ordre, car cette organisation mafieuse avait démontré par le passé toute sa force de frappe et sa détermination à préserver ses activités criminelles et protéger ses membres. Mais pourquoi les services de police des Pays-Bas ont-ils tant de mal à combattre ces mafias de la drogue ? Pour Emile Koltho, professeur de criminologie et de justice pénale aux Pays-Bas, la lutte contre ces organisations criminelles est particulièrement difficile : «Le trafic de drogue est tellement colossal, les groupes criminels tellement volumineux et les sommes d’argent amassées tellement énormes, que c’est presque une bataille perdue d’avance». Pour autant, ajoute-il, «Taghi et ses complices sont en prison et la coopération policière internationale, y compris avec la police marocaine, commence à donner des résultats».

Des répercussions négatives sur l’image de la communauté d’origine marocaine

Malheureusement, les activités criminelles de ces mafias d’origine marocaine ont des répercussions sur toute la société. Ceci entraîne inévitablement un climat de terreur propice à la stigmatisation des communautés d’origine marocaine et aux idéologies xénophobes.

Questionné pour savoir si les agissements de cette mafia ont un impact négatif sur l’image de la communauté d’origine marocaine aux Pays-Bas, Emile Keltho est catégorique : «Je crains que ce soit effectivement le cas. Cela entrave l’intégration de la communauté marocaine et il faudra beaucoup d’énergie pour y remédier. Heureusement, il existe aussi des exemples d’initiatives porteuses d’espoir et de personnes d’origine marocaine qui donnent le bon exemple et servent de modèle».



Nizar DERDABI

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Cocaïne


Anvers et Rotterdam, plaques tournantes de la cocaïne en Europe
 
La Belgique et les Pays-Bas, à travers les ports d’Anvers et de Rotterdam, sont devenus les principales plaques tournantes du trafic de cocaïne à destination des pays européens, supplantant ainsi l’Espagne en tant que principale voie d’entrée en Europe, selon le rapport «Cocaine Insights », réalisé par l’Office des Nations Unies pour le contrôle des drogues et la prévention du crime (UNODC) et Europol.

Cette étude précise que les saisies de cocaïne à Anvers en 2020 ont atteint 65,6 tonnes, soit 5 fois plus que la quantité saisie dans le port de Valence qui était, il y a encore quelques années, la première porte d’entrée de la cocaïne en Europe. Anvers a une autre caractéristique fondamentale : c’est la capitale mondiale de la transformation et du commerce de diamant, qui constitue une monnaie d’échange idéale pour la drogue importée d’Amérique du Sud ou bien un moyen de blanchiment d’argent.

La ville est également située à 100 kilomètres de Rotterdam, le plus grand port d’Europe (Anvers est 2ème). Et comme Anvers, Rotterdam est une plaque tournante majeure pour faire entrer la cocaïne sur le Vieux Continent. Ensuite, grâce à la collaboration de la Mocro Maffia avec la Ndrangheta italienne, la cocaïne est distribuée au reste de l’Europe par voie routière. Toujours selon le même rapport, la quantité de cocaïne arrivant dans l’Union Européenne est suffisante pour satisfaire 4,5 millions de consommateurs annuellement.

 

3 questions à Emile Kolthoff

Narcotrafic : Mocro Maffia, la pieuvre marocaine des Pays Bas refait parler d’elle

« Les revenus du commerce de la cocaïne sont énormes et lorsque vous réussissez au début, vous pouvez investir pour développer votre activité »
 
Professeur de criminologie et de justice pénale à «Open University in The Netherlands», Emile Koltho répond à nos questions.

- Pensez-vous que la Mocro Maffia a la volonté de s’attaquer à des personnalités comme le Premier ministre ou la Princesse Amalia ?


- Ces menaces sont absolument sérieuses mais nous ne connaissons pas les intentions des personnes qui se cachent derrière. Si nous supposons qu’elles viennent effectivement du groupe de Taghi, différents scénarios sont possibles. Il est peu probable qu’il les kidnappe pour obtenir une rançon, car il a lui-même beaucoup d’argent gagné grâce au trafic de drogue.

Une autre motivation pourrait être de demander la libération de membres du gang, dont Taghi. Et il a les moyens de mettre de telles menaces à exécution, car il dispose de ressources financières inépuisables. Cependant, une explication plus plausible pourrait être qu’il souhaite juste causer de l’agitation et garder les agences de sécurité occupées pour les distraire. Et il y est parvenu !


- La Mocro Maffia est parvenue très rapidement à contrôler une grande partie du trafic de cocaïne aux Pays Bas et en Europe. Comment l’expliquez-vous ?

- Premièrement, le marché de la cocaïne n’est pas exclusivement dominé par la Mocro Maffia. Il existe aussi des groupes néerlandais, caribéens et sud-américains actifs sur ce marché. Les criminels marocains qui vendent de la cocaïne sont issus du commerce du cannabis depuis quelques décennies. Ils connaissaient les itinéraires et disposent des contacts et de la connaissance du commerce illégal. Un autre facteur est que les revenus du commerce de la cocaïne sont énormes et que lorsque vous réussissez au début, vous pouvez investir pour développer votre activité.


- Cette mafia est connue pour être particulièrement violente et cruelle. Pensez- vous que cela soit relié à des causes sociologiques spécifiques ?

- C’est une question très difficile. Selon certaines théories, la privation des jeunes garçons marocains par la société néerlandaise est un facteur important. Ces garçons sont pour la plupart des immigrants de deuxième ou troisième génération et ont grandi entre deux mondes. Ils ont grandi avec des parents qui, souvent, ne parlaient pas le néerlandais et n’étaient pas familiarisés avec la culture locale. La supervision des parents était donc moins importante qu’elle n’aurait pu l’être au Maroc et ils avaient beaucoup de libertés. D’autre part, ils n’étaient pas complètement acceptés par la société néerlandaise et étaient relativement faciles à recruter par les groupes criminels.



Recueillis par N. D.

 








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