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Interview avec l’Ambassadeur de Turquie : "le Maroc et l'Algérie doivent négocier et trouver un compromis sur le Sahara"


Rédigé par Anass Machloukh Jeudi 2 Mars 2023

L’air grave, visiblement très affecté par le séisme qui a secoué son pays, l’Ambassadeur de Turquie au Maroc, Ömer Faruk Dogan, parle en toute franchise des relations maroco-turques sans oublier la question du Sahara, les relations commerciales et la coopération humanitaire. Selon lui, les autorités turques attendent la permission des autorités marocaines pour ouvrir un compte de solidarité pour les citoyens turcs résidents au Maroc en faveur des populations sinistrées par le séisme. Interview.



Photo : Nidal
Photo : Nidal

-La Turquie a été ébranlée par un séisme d’une ampleur sans précédent, à quel point la situation est-elle critique ?

- Cela fait longtemps que nous n’avons pas fait face à une calamité aussi destructrice. 13,5 millions personnes ont été sinistrées et près de 45.000 en ont péri. Nous redoutons que ce bilan soit plus lourd vu que plusieurs régions sont inaccessibles à cause de la destruction des routes. Dans ces moments très difficiles, l’aide et la solidarité de la communauté internationale sont essentielles. Nous avons reçu l’aide de 131 pays, y compris des pays avec lesquels nous avons des relations compliquées comme la Grèce.

- La coopération commerciale demeure l’un des points forts des relations maroco-turques. Le Maroc et la Turquie ont renégocié leur accord commercial, qu’en est-il de la mise en œuvre du nouvel accord ?

- Le nouvel accord a été signé début 2022, il est valable pour cinq ans et fera l’objet de consultations autant que nécessaire. Il est vrai que les échanges, tels qu’ils sont actuellement, sont en faveur de la Turquie. Nous avons un volume de 4 milliards de dollars, dont 3 milliards d’exportations turques vers le Maroc et 1 milliard d’exportations marocaines vers la Turquie. Je ne pense pas qu’il y ait des entraves aux produits marocains et rien n’empêche l’importation de produits du Maroc qui a un fort potentiel d’exportation. Je me demande si la Turquie en bénéficie pleinement parce qu’il est clair qu’on peut faire plus.

- Le Maroc reste toujours déficitaire, comment peut-on rééquilibrer les échanges ?

 « C’est vrai qu’il y a une inégalité dont nous sommes insatisfaits». La Turquie importe 270 milliards de dollars, le Maroc n’en représente que 3%. Que le Maroc puisse augmenter sa part à 5% ou à 10% des importations turques, ça ne nous pose aucun problème. Le marché turc est ouvert aux producteurs marocains qui ont aussi l’opportunité de s’adresser à 1 milliard de consommateurs via les accords de libre-échange signés par la Turquie avec ses partenaires internationaux, dont l’Union Européenne. En somme, nous voulons que les exportations marocaines évoluent autant que possible. Encore faut-il travailler sur une meilleure coopération, à commencer par la certification des produits. Force est de constater qu’il n’y a aucun accord en la matière entre le Maroc et la Turquie, contrairement à ce qui est le cas avec l’Union Européenne. Il y a quatre mois, j’ai demandé un rendez-vous à l'Institut Marocain de Normalisation (IMANOR). Depuis lors, je n’ai reçu aucune réponse. Aussi, peut-on accélérer l’investissement et la coopération en Afrique. La Turquie mesure l’importance stratégique du Royaume en Afrique et surtout en Afrique de l’Ouest. Pourquoi ne pas imaginer une coopération plus renforcée entre les deux pays dans le marché africain, notamment dans le domaine alimentaire.

-Nous avons remarqué qu’il y a eu un rapprochement palpable entre Rabat et Ankara après l’arrivée au pouvoir du président Erdogan. Comment le Maroc est perçu par le gouvernement turc ?

- Jusqu’à la guerre en Ukraine, on mesurait peu le caractère stratégique du bassin méditerranéen où sont concentrés 50% de l’économie mondiale. Le Maroc y a une position stratégique avec le détroit de Gibraltar. Idem pour la Turquie qui contrôle le détroit du Bosphore. Il s’agit de deux entrées indispensables au bassin. Cela prouve qu’on partage deux positions stratégiques. Pour répondre à votre question, le Maroc est perçu, en Turquie, comme un pays ayant une Histoire, une culture et une identité singulières. Il est également considéré comme un partenaire crucial aussi bien au Maghreb qu’en Afrique en général. Le Royaume est d’autant plus bien perçu qu’il n’y a eu jamais aucun incident ou crise entre les deux pays de par l’Histoire. C’est un pays stable qui présente énormément d’opportunités. En outre, je peux dire que les relations ne se réduisent pas à des rapports entre Etats, mais reposent sur les liens populaires entre deux peuples qui partagent plusieurs points communs. 

-Concernant la question du Sahara, la position de la Turquie a été très commentée au Maroc après la dernière visite du ministre Mevlüt Çavuşoğlu, qui, lors de sa rencontre avec sonhomologue marocain, Nasser Bourita, a réitéré la position de principe de la Turquie en faveur de l'intégrité territoriale. Comment peut-on interpréter la position turque ?

- Nous croyons que le dossier ne peut être réglé que dans le cadre des Nations Unies. Nous avons un grand respect pour le sentiment du peuple marocain et nous nous sentons gênés de voir deux pays musulmans frères, le Maroc et l’Algérie, en discorde. Nous estimons que les deux pays ont intérêt à s’asseoir autour d’une table pour trouver un compromis.

ENCADRE


172 entreprises turques installées au Maroc

Actuellement, 172 entreprises turques sont installées au Maroc employant 10.000 personnes, selon les chiffres de l’ambassade. En fait, le commerce entre Rabat et Ankara n’a pas été sans hics, bien que les échanges aient spectaculairement progressé depuis la signature de l’accord de libre-échange signé en 2004 et entré en vigueur en 2006. Cet accord a, en effet, été amendé à la demande du Maroc après le creusement du déficit commercial à un niveau jugé inquiétant (déficit quadruplé depuis 2006). Le nouvel accord signé en 2020 a rétabli les droits de douanes à hauteur de 90% sur près de 1200 produits dans plusieurs secteurs, dont le textile, la métallurgie, l’électricité, le bois et l’automobile.

La mise en œuvre du nouvel accord va bon train, selon M. Dogan, qui rappelle certains aspects positifs de l’accord de libre-échange. Il cite, à titre d’exemple, que chez l’un des distributeurs turcs comme BIM, 60% des produits qui se trouvent dans ses rayons sont désormais des produits marocains fabriqués localement.

«Dans la zone franche de Tanger, il y a aussi plusieurs producteurs turcs qui produisent sur place et exportent vers l’Union Européenne. C’est un réel partenariat gagnant-gagnant », plaide notre interlocuteur. 
 
Il estime que les marques turques ont pu apporter des produits de qualité avec un prix bon marché, ce qui a permis de baisser les prix au niveau des marchés. « Pour cette raison, cela a été perçu d’un mauvais œil par certains pays qui ont laissé croire que la Turquie veut détruire le tissu productif marocain », selon le diplomate. « C’était l’expression d’une certaine gêne de la présence des entreprises turques parce que les entreprises occidentales du textile et de la distribution étaient obligées de baisser leurs prix pour faire face à la concurrence», explique-t-il. 

REPRES


Des liens historiques

L’ambassadeur turc est convaincu que les relations maroco-turques reposent sur une base solide. À la différence de plusieurs pays, ces relations puisent leurs racines dans une Histoire faite de convergences. « Il y a toujours eu une solidarité entre les deux empires marocain et ottoman. Je peux vous citer plusieurs épisodes historiques, dont celui de la bataille des Trois Rois qui fut une plaque tournante du Maroc dans la carte mondiale », explique M. Dogan, rappelant que « l’Empire ottoman a apporté son concours au Roi du Maroc qui défendait l’intégrité du Royaume contre les croisades européennes ». À travers l’Histoire, la Sublime Porte n’a pas investi le côté Ouest de l’Afrique. Du point de vue de notre interlocuteur, « il y a eu une sorte d’entente entre les deux sultanats pour préserver l’équilibre ».

20 mariages mixtes par jour !

Au fil de la conversation, Ömer Faruk Dogan a insisté sur les liens humains qui lient les deux pays. A cet égard, il nous a fait part d’un chiffre insolite. Selon lui, actuellement, il y a près de 2.000 couples composés de ressortissants turcs au Maroc. « Nous avons vingt mariages mixtes par jour », ajoute l’ambassadeur. « Là aussi, c’est une preuve de la solidité des liens sociaux. On ne peut voir autant de couples mixtes s’il n’y a pas d’homogénéité culturelle », a-t-il poursuivi. M. Dogan s’est aussi réjoui de la forte coopération touristique, citant la grande intensité du trafic aérien. « Chaque semaine, il y a 19 vols entre Istanbul, Casablanca et Marrakech. La demande est tellement forte qu’il faut réserver les billets deux mois d’avance », a -t-il conclu.
 
 









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