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CGEM : Les dessous d’une chasse ouverte contre les profils politiques

La CGEM évince les profils politiques des rangs de ses dirigeants


Rédigé par Saâd JAFRI Lundi 15 Février 2021

Sous couvert de «neutralité», le Conseil d’Administration de la CGEM a approuvé une modification de son règlement intérieur qui exclut certains profils politiques de se présenter aux élections des instances dirigeantes du patronat. Détails d’une disposition qui divise le patronat.



Chakib ALJ et Mehdi TAZI respectivement Président et Vice-Président de la CGEM.
Chakib ALJ et Mehdi TAZI respectivement Président et Vice-Président de la CGEM.
Jeudi 11 février, le Conseil d’Administration de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM) s’est donné rendez-vous pour approuver les différents rapports de l’Organisation et présenter ses priorités pour l’année 2021. Le CA a également profité de l’occasion pour introduire une modification de son règlement intérieur pour interdire l’accès aux instances dirigeantes (présidence et vice-présidence) de la Confédération, des antennes régionales et des fédérations, aux personnes exerçant des fonctions exécutives ou décisionnelles dans les partis politiques.

La question a plus que jamais divisé les membres du patronat, dont certains ont fait valoir l’impératif de «neutralité» dont doit jouir le patronat, se référant pour ce faire à l’article 4 des statuts de la CGEM qui stipule que celle-ci étant essentiellement à vocation économique professionnelle, n’autorise nullement la prise de position d’un de ses membres en faveur d’un parti politique. En revanche, d’autres membres ont soutenu le fait que cette mesure est totalement déplacée, rappelant que le règlement intérieur de la CGEM prévoit déjà des sanctions contre toute prise de position. «Cette décision va donc au-delà de la neutralité et implique sûrement des enjeux politiques», estime-t-on, avant d’ajouter que cette mesure représente «une évidente violation de la Constitution».

Concrètement, le Comité des statuts de la Confédération a proposé d’ajouter un critère pour devenir membre direct : «Ne pas assurer, ou ne pas avoir assuré pendant les six derniers mois qui précédent le dépôt de candidature, de fonctions dans un organe décisionnel ou exécutif, national ou régional, d’un parti politique». Il a également proposé d’aligner les articles 10.2.b.II et 11.3.b relatifs à l’ancienneté dans l’adhésion à la CGEM d’un candidat à la présidence d’une fédération statutaire interne ou de la présidence d’une région, aux articles 21 et 28.1 des statuts, relatifs à la présidence et aux structures sectorielles internes de la CGEM. Les élections de ces deux organes obéissent aux mêmes règles que l’élection de la présidence nationale de la CGEM. Mais cette disposition est-elle déontologiquement correcte ? 

Droit d’appartenance politique

«La loi sur les associations n’interdit pas aux personnes exerçant des fonctions décisionnelles dans les partis politiques d’être à la tête d’une association», nous indique Mohammed Amine Benabdallah, professeur des universités en droit public, ancien membre de la Cour constitutionnelle et membre du Conseil supérieur de la justice. «L’interdiction de quelqu’un à adhérer à une association est généralement citée dans les textes qui régissent l’activité professionnelle de la personne en question. Par exemple, les magistrats auxquels il est interdit de faire partie d’une association à caractère politique et ne peuvent être membres des organes de direction», nous explique M. Benabdallah, réaffirmant que cette règle n’est pas applicable aux acteurs politiques.

Dans ce même sens, un membre de la Confédération, contacté par nos soins, nous indique qu’outre l’aspect légal qui autorise les politiques à intégrer n’importe quelle association, cette proposition porte atteinte au caractère démocratique de la CGEM. «Si l’on pense qu’un membre ne représentera pas convenablement les professionnels, personne ne va voter pour lui», a-t-il confié. La même source estime qu’il s’agit donc d’un «faux débat», assurant que, depuis des années, les personnes qui occupent les postes de président et vice-président de la CGEM, gèlent leurs activités politiques de leur plein gré. «Il y a donc des enjeux cachés derrière cette décision», déplore notre interlocuteur. Sollicité par «L’Opinion», pour connaître les motivations derrière cette révision, Chakib Alj, président du patronat, a botté en touche : «Nous souhaitons que la présidence et les organes de la CGEM soient représentés par des gens neutres, et ce, pour être crédibles et pouvoir défendre en toute neutralité les intérêts des entreprises et des entrepreneurs», a-t-il soutenu.

Une position contestée par Hassan Sentissi El Idrissi, président de l’Association marocaine des exportateurs (ASMEX), considéré par ses pairs comme le doyen de la CGEM. «Bien qu’ils prônent la neutralité, il est de notoriété publique que les membres du CA qui plaident en faveur de cette disposition cherchent à contrôler le sort des élections pour la présidence des régions», fustige M. Sentissi sans concessions et sans langue de bois, notant que la Constitution stipule dans son article 12 que «l’organisation et le fonctionnement des associations et des organisations non gouvernementales doivent être conformes aux principes démocratiques». Le président de l’ASMEX nous indique qu’au lieu de fédérer les efforts en ces temps de crise, de sorte à accompagner les professionnels à sortir de la sinistrose, certains membres de la CGEM, «qui se prétendent apolitiques», demeurent préoccupés par des calculs électoralistes.

L’hyperbole de patrons

Répondant à une question de «L’Opinion» lors du CA, Abdelilah Hifdi, Président du Groupe CGEM à la Chambre des Conseillers, a déclaré, sur un ton grave, que si cette disposition n’est pas ajoutée au règlement intérieur, «il se peut que, demain, la CGEM ne dispose plus de groupe parlementaire au sein de la deuxième Chambre», comme c’est le cas, selon lui, des Chambres professionnelles, «ce qui serait une violation de l’esprit de la Constitution», a-t-il insisté. Une hypothèse «très exagérée», estime M. Sentissi, du fait que les politiques ne ménagent pas leurs efforts pour consolider le rôle de la CGEM au sein de l’hémicycle, en témoignent leurs plaidoyers et leurs déclarations publiques qui ont toujours été en faveur du patronat.

Cela dit, cet amendement, aujourd’hui validé par le Conseil d’Administration, sera présenté incessamment à l’Assemblée Générale pour un vote final. D’ici là, des membres du patronat nous confient qu’ils ne manqueront pas de monter au créneau, et même recourir à la justice. Outre les textes de loi précités, ces derniers se basent dans leur plaidoyer également sur l’article 8 de la Constitution qui stipule que «les organisations syndicales des salariés, les Chambres professionnelles et les organisations professionnelles des employeurs contribuent à la défense et à la promotion des droits et des intérêts socioéconomiques des catégories qu’elles représentent. Leur constitution et l’exercice de leurs activités, dans le respect de la Constitution et de la loi, sont libres».

Ils affirment que cette disposition, qui consiste à exclure les profils politiques des instances dirigeantes de la CGEM, viole, non seulement les principes démocratiques du pays, mais également des libertés publiques garanties par la plus haute juridiction du pays.

Saâd JAFRI

Rappel des objectifs de la CGEM

Un but noble, loin de la stigmatisation politique 
 
- Porter la vision d’un développement économique soutenu et durable, producteur de valeur et d’emplois pérennes. La CGEM est le représentant des employeurs, partenaire privé des pouvoirs publics, dans les étapes de déploiement, de pilotage et d’évaluation des stratégies de développement économique ; 

- Représenter et défendre les droits des employeurs et des entreprises du Maroc, dans les différentes instances du Royaume du Maroc, à l’échelle nationale et régionale, notamment auprès de toutes institutions ou organismes publics, semi-publics ou privés ainsi qu’auprès de toute organisation non gouvernementale ;

- Représenter les employeurs et défendre les positions du secteur privé au sein des institutions constitutionnelles où la CGEM est représentée ;

- Promouvoir et participer à la mise en œuvre d’une politique générale de développement de l’entreprise et de l’investissement au Royaume du Maroc basée sur la liberté d’entreprendre ;

- Valoriser l’image de l’entreprise en renforçant l’éthique de l’acte d’entreprendre ainsi que sa dimension citoyenne ;

- Contribuer activement dans l’instauration des conditions nécessaires aux exigences de la transparence, de la libre concurrence, de l’instauration d’une justice fiscale et sociale et dans la lutte contre les pratiques qui nuisent à la stabilité du commerce ;

- Mettre en valeur le rôle essentiel de l’entreprise en tant que principal facteur de développement économique et social, de création de richesse et d’emploi. Mener toute action en mesure de contribuer à améliorer l’environnement des affaires afin de permettre l’émergence d’entreprises, performantes et compétitives aussi bien sur le marché national qu’international ;

- Favoriser et encourager le partenariat international et la promotion de l’investissement ;  

- Participer activement au renforcement de la diplomatie économique ;

- Veiller à la cohésion et à la bonne entente entre ses membres ;

- Mettre à la disposition de ses membres des services d’assistance technique, de conseil spécialisé, d’information, de formation et tous services pour le développement de l’entreprise et des associations professionnelles des employeurs ;

- La CGEM représente l’ensemble des secteurs productifs et créateurs d’emplois tels que prévus par le dispositif législatif.