Plus le temps passe, plus la réforme des caisses de retraite se complique pour le gouvernement qui semble perplexe. La réforme ne cesse d’être reportée jusqu’à nouvel ordre, ce qui en dit long sur l’embarras de l’Exécutif qui, étrangement, n’est pas encore parvenu à faire une offre formelle et définitive aux partenaires sociaux. Jusqu’à présent, on ignore le plan du gouvernement. Toutes les recettes qui ont fuité à ce jour ne sont que des schémas officieux émanant de bureaux de conseil.
D’un report à l’autre
Normalement, si l’on se tient au calendrier, la réforme aurait dû être déjà bouclée. La ministre de l’Economie et des Finances, Nadia Fettah Alaoui, a commencé à parler avec les syndicats dès 2022. A ce moment-là, une feuille de route a été mise en place. Il a été décidé de s’accorder dans un premier temps sur une méthode de travail avant de négocier un compromis qui serait le noyau d’un projet de loi soumis au Parlement. Il n’en fut rien. Les pourparlers ont été ensuite menés dans le cadre de la commission nationale des retraites présidée par le Chef du gouvernement, sous l’autorité de laquelle se réunit un comité technique.
Les scénarios de réforme auraient dû être discutés dès mai 2023 s’il y avait eu un accord entre les partenaires sociaux en mai. Puis, lorsqu’ils ont signé l’accord social de mai 2024, il y a eu un regain d’espoir lorsque les partenaires sociaux et le gouvernement sont convenus d’un système de retraite à deux pôles. Encore fallait-il négocier le cœur du nouveau régime. Là, il a été convenu que la réforme devait être adoptée au Parlement avant 2025. Puis, le vide !
Les discussions ont repris à la faveur du nouveau round du dialogue social en juillet dernier sans qu’il y ait la moindre avancée. Le désaccord est si profond que le gouvernement a du mal aujourd’hui à relancer le dialogue.
Maintenant, le temps joue contre l’Exécutif, dont le mandat s’achève dans huit mois, voire moins. Disons six mois puisque les regards se tourneront vers les élections dès la fin de la session parlementaire en juillet prochain. Qui peut entamer une réforme si épineuse à la veille des élections ?
Dans les coulisses, on glisse qu’il serait suicidaire de se lancer précipitamment dans une réforme si décriée par les syndicats en si peu de temps. Cela dit, il y a un risque, suppose-t-on, de tomber dans le piège de l’improvisation s’il n’y a pas une base claire de négociation, ce qui fait défaut aujourd’hui. D’autres estiment que le coût politique serait cher.
Selon nos informations, la possibilité de différer ce dossier explosif au prochain quinquennat est de plus en plus souvent évoquée au sein de la Majorité. Il n’est pas à exclure que la réforme soit totalement abandonnée par Aziz Akhannouch si les partenaires sociaux restent si intraitables.
Des arbitrages difficiles
Force est de constater que toute réforme de retraite est impopulaire par nature. Face à l’urgence de sauver le système, le gouvernement est confronté à des arbitrages difficiles. Depuis le début, le gouvernement s’est forgé une conviction qui semble inéluctable. Le sauvetage des caisses de retraite passe nécessairement par le relèvement de l’âge de départ à la retraite à 65 ans, ce qui se fait dans plusieurs pays à démographie stagnante ou déclinante. Une étude livrée par un cabinet de conseil en 2022 préconise cette piste, en plus du relèvement des cotisations et le gel des pensions.
Par contre, on propose un système plus équilibré entre le public et le privé où il y aurait plus d’écarts aussi abyssaux qu’aujourd’hui. En somme, on propose d’aller vers un régime unique à deux pôles avec une retraite complémentaire obligatoire. Cette dose de capitalisation est perçue comme un moyen de revaloriser les pensions au-delà de la solidarité nationale.
C’est ce que les syndicats appellent le “trio maudit”. Les centrales syndicales refusent que le système soit sauvé au détriment des acquis sociaux des travailleurs. L’Union Marocaine du Travail (UMT) reste le plus virulent. Ce syndicat reste catégorique tandis que l’Union Générale des Travailleurs du Maroc (UGTM) se montre un peu plus modérée sans céder sur le fond. Le leader du syndicat istiqlalien, Ennaam Mayara, avait évoqué lors d’un meeting en 2023 que l’option de 63 ans serait envisageable sous conditions, sans trancher. Le débat reste ouvert.
Quoiqu’il en soit, le fait de travailler plus longtemps s’impose pour sauver le système par répartition et garantir sa durabilité. “Il va falloir travailler jusqu’en 65 ans vu l’état actuel des caisses, mais il faut prévoir des exceptions”, fait observer Youssef Guerraoui Filali, économiste et président du Centre Marocain de la Gouvernance et du Management, faisant allusion aux métiers difficiles qui requièrent des critères de pénibilité. Il est clair que certains métiers sont plus physiquement harassants que d’autres. D’où la nécessité de faire une distinction qui donne lieu à des exceptions pour que les gens concernés puissent partir plus tôt.
Aussi, la question des pensions s’impose dans le débat au moment où les fonctionnaires restent plus privilégiés que les salariés, bien que leur régime (celui des pensions civiles) est le plus menacé de faillite dès 2028.
Le débat qu’on élude
Par ailleurs, le redressement du régime des retraites dépasse les calculs financiers et comptables. Il s’agit aujourd’hui d’un débat de génération puisqu’il est question de mettre en place un système durable et adapté à la nouvelle donne démographique, au moment où les jeunes générations ignorent si elles toucheront une pension digne à la fin de leur carrière ou si elles vont devoir travailler toute leur vie pour subvenir à leurs besoins.
Toutefois, le débat reste trop étroit alors qu’on parle de l’avenir du régime par répartition menacé par le vieillissement de la population, ce qui fait qu’il y aura de moins en moins d’actifs pour financer les pensions des seniors à moins qu’il y ait un sursaut de croissance et de plein emploi.
Anass MACHLOUKH
Trois questions à Youssef Filali Guerraoui : « La réforme des retraites est une question de volonté politique »
Youssef Guerraoui Filali, président du Centre Marocain de la Gouvernance et du Management, a répondu à nos questions.
- La réforme du système des retraites tarde à voir le jour. L’allongement de l’âge légal s’impose. Estce inéluctable ?
La réforme des retraites est une question de volonté politique. Il va falloir prendre des décisions difficiles. D’abord, il est inévitable d’aller vers un allongement de l’âge légal à 65 ans sauf pour les métiers difficiles qui devraient bénéficier d’une exception. C’est très important d’intégrer l’économie informelle car on a besoin de nouveaux cotisants qui existent hors des radars pour équilibrer les comptes. Ce sont deux pistes réalistes sur lesquelles on peut travailler dès maintenant. Mais, en gros, le fait de travailler plus longtemps s’impose. Plusieurs pays l’ont déjà fait pour sauver leur système par répartition.
- La hausse des cotisations est-elle inévitable ?
Dans un premier lieu, je pense qu’il va falloir commencer par la hausse des cotisations patronales, ce qui signifie la hausse de dépenses pour l’Etat en ce qui concerne les fonctionnaires. Il y aura également une hausse des charges pour les patrons d’entreprises. Cependant, ce sera plus compliqué pour les salariés dont le salaire net serait affecté. Au secteur public, le salaire net est considéré comme un acquis pour les fonctionnaires. Du coup, la hausse de leurs cotisations est difficilement concevable. Or, dans le secteur privé, tout dépend de la mention de la qualification du salaire net au contrat de travail.
- La réforme du système est-elle indispensable à la généralisation des pensions ?
Le meilleur moyen de généraliser les pensions est d’intégrer sans exception les gens qui travaillent dans l’informel, qui représente 33% de notre PIB. Il faut une approche globale qui se base à la fois sur la sensibilisation et l’accompagnement pour convaincre les personnes concernées de s’inscrire pour bénéficier à la fois de l’AMO et d’une retraite à la fin de leur vie professionnelle.
Recueillis par
Anass MACHLOUKH
Anass MACHLOUKH
Caisses : Le spectre de la faillite
En fait, la réforme paramétrique de 2016 n’a servi qu’à allonger la durée de vie du régime des pensions civiles (Caisse Marocaine des Retraites - CMR) à 2028 au lieu de 2022. Mais, cela n’a pas suffi pour régler le problème à la racine. Les caisses sont aussi menacées de faillite qu’avant. Bien qu’il ne soit pas définitif, le diagnostic élaboré par un cabinet d’études, dont «L’Opinion» détient copie, donne un aperçu assez clair. La CMR est menacée de faillite avec un déficit record de 7,8 milliards de dirhams. Les réserves estimées à 68 milliards de dirhams devraient s’épuiser en 2028. Les déséquilibres ont commencé depuis 2014. La situation est moins critique dans le secteur privé. La CNSS est à l’abri de la faillite à court terme. Elle ne devrait épuiser ses réserves, selon les estimations, qu’en 2038. La situation s’est améliorée avec la généralisation de l’AMO et l’intégration des travailleurs non-salariés dont les cotisations ont renfloué les caisses. Pour ce qui est du Régime Collectif d’Allocation de Retraite (RCAR), la situation est bien plus confortable avec 135 milliards de dirhams de réserves épuisables en 2052.
Age légal : L’étrange recommandation de la Banque Mondiale !
La Banque Mondiale (BM) juge nécessaire de relever l’âge de départ à la retraite à 70 ans, un niveau inconcevable jusqu’alors au Maroc. Dans un rapport intitulé «Adopter et façonner le changement : le capital humain au Moyen-Orient et en Afrique du Nord à un tournant évolutif», l’instance financière a souligné que les pays de la région MENA font face au vieillissement de leurs populations qui pèse lourd sur leurs systèmes de pensions.
Selon les estimations de la Banque Mondiale, le nombre des séniors de plus de 65 ans devrait plus que doubler dans les trois prochaines décennies. Ce déclin démographique est favorisé par l’allongement de l’espérance de vie à 74 ans en moyenne au moment où l’âge de retraite ne dépasse pas 54 ans. Cette recommandation concerne le Maroc qui s’apprête à lancer une réforme structurelle de son système des retraites.
La Banque Mondiale préconise d’aller plus loin à 70 ans pour assurer définitivement la durabilité des caisses, et ce, dans le cadre d’une réforme globale.
Ce scénario est encore plus inimaginable dans l’état actuel des choses compte tenu de la sensibilité des centrales syndicales à tout sacrifice des acquis sociaux. L’hypothèse de la BM paraît trop simpliste : les Marocains sont priés de travailler plus longtemps parce qu’ils vivent plus longtemps. L’espérance de vie est estimée à 75 ans mais il convient d’évaluer la durée de vie en bonne santé.
Selon les estimations de la Banque Mondiale, le nombre des séniors de plus de 65 ans devrait plus que doubler dans les trois prochaines décennies. Ce déclin démographique est favorisé par l’allongement de l’espérance de vie à 74 ans en moyenne au moment où l’âge de retraite ne dépasse pas 54 ans. Cette recommandation concerne le Maroc qui s’apprête à lancer une réforme structurelle de son système des retraites.
La Banque Mondiale préconise d’aller plus loin à 70 ans pour assurer définitivement la durabilité des caisses, et ce, dans le cadre d’une réforme globale.
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