« Khouti Lamgharba », c’est la marque de fabrique de Hamid El Mahdaoui, ce journaliste / youtubeur / chroniqueur devenu un phénomène de société. « Khouti Lamgharba », une adresse fraternelle qui lui appartient seul. Deux mots lancés à la face du pays, devenus un style, une signature, souvent populiste à souhait, sentimentaliste pas à peu près, parfois trop directe, mais rarement tiède. Mahdaoui a le verbe facile; mais depuis quelque temps, sa parole sonne comme celle d’un homme blessé.
El Mahdaoui n’a rien du journaliste conventionnel. Il ne vient pas des grandes rédactions institutionnelles. Il surgit du monde des marginaux, des acculés, des oubliés. Il a connu les menottes, la prison, le silence imposé, les représailles. Et il en est ressorti plus volubile, plus libre que jamais. Aujourd’hui, il fait partie de ceux qu’on voudrait réduire au silence parce qu’ils disent trop haut ce que beaucoup pensent tout bas. Pour le pouvoir, il incarne un gêneur, un perturbateur, un casse-pieds. Au Québec, on le qualifierait de « tannant », de « gosseux », de « casseux de party ».
Mais il suffit qu’il lance son fameux « Khouti Lamgharba » pour que son propos prenne l’allure d’une vérité attendue. Des centaines de milliers, peut-être des millions, de Marocains se reconnaissent dans ce discours. Pour beaucoup, il est devenu la nourriture quasi quotidienne de leurs espoirs et de leurs doutes.
Qu’on apprécie ou non ce style de journalisme, ce qui dérange chez cet homme, royaliste assumé, c’est la liberté de ton avec laquelle il traite ses sujets et conduit ses interviews, l’audace avec laquelle il s’empare de dossiers sensibles, souvent appuyé par des documents accablants. Un ministre, se sentant visé, a même intenté un procès à son encontre. Mais, si l’on en juge par les 1,3 million d’abonnés de la chaîne Badil, Mahdaoui bénéficie, aux yeux d’une large part du public, d’une popularité et d’une crédibilité que bien des ministres lui envieraient.
Selon le tribunal, les six vidéos qu’il avait publiées entre février et décembre 2023 concernaient des accusations de fraude, corruption ou passe-droits contre ce ministre. Résultat : il a été condamné à 18 mois de prison ferme et à verser 1,5 million de dirhams de dommages-intérêts.
Ce verdict a relancé le débat sur la nature de son activité, journaliste d’opinion, créateur de contenu, ou simple utilisateur de YouTube. La cour administrative de Rabat a en effet confirmé, en 2025, le refus de renouvellement de sa carte de presse professionnelle, estimant que ses revenus proviennent principalement de sa chaîne YouTube et non de l’exercice d’un journalisme traditionnel, comme le prévoit la loi marocaine.
Puis est venue l’affaire qui a véritablement mis le feu aux poudres : Hamid El Mahdaoui a diffusé sur sa chaîne YouTube des extraits, en montage, d’une réunion confidentielle de la Conseil National de la Presse (CNP), plus précisément de sa Commission de déontologie et des affaires disciplinaires.
Le contenu de ces vidéos a provoqué une forte onde de choc au sein du milieu médiatique marocain, suscitant réactions, polémiques et mises en cause. Plusieurs organisations de la presse ont dénoncé ce qu’elles décrivent comme un “scandale éthique et institutionnel”, un dénoncé “assassinat des principes de la déontologie” et de l’autorégulation journalistique.
Dans son communiqué du 21 novembre 2025, la commission provisoire en charge de la gestion du secteur presse a affirmé que la publication de ces extraits constitue “un acte illégal”, car les délibérations internes sont soumises à la confidentialité (article 18 du règlement intérieur du CNP). Selon elle, la diffusion de ces images et propos sans le consentement des personnes concernées ne relève ni de la liberté de la presse ni de la liberté d’expression.
La commission a en outre affirmé que certaines déclarations attribuées au président de la commission déontologique étaient « fausses, déformées et fabriquées » et que l’objectif du montage diffusé visait à « induire le public en erreur, porter atteinte aux membres de la commission et les diffamer ». Elle considère que la procédure disciplinaire engagée contre Mahdaoui avait suivi les règles et que la publication de la réunion ne remettait pas en question la légalité des décisions prises.
Pour le camp de Mahdaoui, et des voix critiques en faveur de la liberté de la presse, ces révélations sont perçues comme l’exposition d’un système opaque, jalonné d’atteintes à l’indépendance journalistique, à la transparence, à la démocratie interne des instances de régulation et à la liberté d’expression. Pour eux, la publication visait à « mettre en lumière ce qui se passait derrière les portes closes », ce qui, selon eux, dépassait le cadre d’un simple « débat interne ». Plusieurs journaux et éditeurs réclament désormais une enquête judiciaire approfondie, estiment que l’affaire marque un tournant dans la régulation de la presse, et appellent à refonder le secteur sur des bases plus transparentes.
L’objet de la commission disciplinaire contre Hamid El Mahdaoui était bien un cas précis, des accusations d’insulte / diffamation (dont l’usage allégué du terme « salgote / saligot » contre un youtubeur/une personnalité). Ce point ressort comme l’origine formelle de la procédure. Avec la diffusion des extraits vidéos, l’affaire prend une autre tournure. Tout laisse croire que la commission disciplinaire a besoin de discipline.
À travers cette affaire, ce n’est pas seulement un homme qui est en jeu, mais un principe, la parole libre dans un pays habitué au silence.
La vraie question donc, n’est plus : « Qui a fait quoi ? », la justice s’en occupera, jugera. La vraie question est, de quelle société sommes-nous témoins lorsqu’une voix gênante, quelle qu’elle soit, devient une cible ? Il ne s’agit pas seulement de Mahdaoui, de son style, de ses coups de gueule, de ses révélations. Il ne s’agit pas seulement de justice, ou d’innocence. Il s’agit de nous, de notre rapport à la vérité, à la liberté, à la critique. De notre capacité à accepter qu’un homme libre existe, même s’il nous bouscule. Même s’il nous charme à coup de « Khouti Lamgharba ».
Le scandale qui plane sur cette affaire nous renvoie une vérité simple : on peut toujours faire semblant de ne rien voir, mais lorsque la réalité finit par frapper à nos portes, nous n’avons d’autre choix que de l’accueillir et d’en tirer une leçon dans l’intérêt de la nation. À mes yeux cette affaire fait chacun de nous un Mahdaoui. Alors revient le refrain, chargé d’un goût plus grave, plus amer, plus lucide : « Khouti Lamgharba ». Comme une prière, comme un constat, comme un appel. Un appel à regarder le pays droit dans les yeux et à faire ce qui s’impose, toujours dans l’intérêt de la nation.
La pièce n’est pas terminée. Le rideau ne tombe pas. Pas encore. Parce que l’histoire poursuit son cours. Parce que la parole n’est pas éteinte. Parce que certains refusent le silence. Parce que, Khouti Lamgharba, face à ceux qui redoutent la liberté, il y a toujours quelqu’un, quelque part, pour faire circuler une vidéo d’intérêt publique afin que les voix libres continuent d’exister.
El Mahdaoui n’a rien du journaliste conventionnel. Il ne vient pas des grandes rédactions institutionnelles. Il surgit du monde des marginaux, des acculés, des oubliés. Il a connu les menottes, la prison, le silence imposé, les représailles. Et il en est ressorti plus volubile, plus libre que jamais. Aujourd’hui, il fait partie de ceux qu’on voudrait réduire au silence parce qu’ils disent trop haut ce que beaucoup pensent tout bas. Pour le pouvoir, il incarne un gêneur, un perturbateur, un casse-pieds. Au Québec, on le qualifierait de « tannant », de « gosseux », de « casseux de party ».
Mais il suffit qu’il lance son fameux « Khouti Lamgharba » pour que son propos prenne l’allure d’une vérité attendue. Des centaines de milliers, peut-être des millions, de Marocains se reconnaissent dans ce discours. Pour beaucoup, il est devenu la nourriture quasi quotidienne de leurs espoirs et de leurs doutes.
Qu’on apprécie ou non ce style de journalisme, ce qui dérange chez cet homme, royaliste assumé, c’est la liberté de ton avec laquelle il traite ses sujets et conduit ses interviews, l’audace avec laquelle il s’empare de dossiers sensibles, souvent appuyé par des documents accablants. Un ministre, se sentant visé, a même intenté un procès à son encontre. Mais, si l’on en juge par les 1,3 million d’abonnés de la chaîne Badil, Mahdaoui bénéficie, aux yeux d’une large part du public, d’une popularité et d’une crédibilité que bien des ministres lui envieraient.
Selon le tribunal, les six vidéos qu’il avait publiées entre février et décembre 2023 concernaient des accusations de fraude, corruption ou passe-droits contre ce ministre. Résultat : il a été condamné à 18 mois de prison ferme et à verser 1,5 million de dirhams de dommages-intérêts.
Ce verdict a relancé le débat sur la nature de son activité, journaliste d’opinion, créateur de contenu, ou simple utilisateur de YouTube. La cour administrative de Rabat a en effet confirmé, en 2025, le refus de renouvellement de sa carte de presse professionnelle, estimant que ses revenus proviennent principalement de sa chaîne YouTube et non de l’exercice d’un journalisme traditionnel, comme le prévoit la loi marocaine.
Puis est venue l’affaire qui a véritablement mis le feu aux poudres : Hamid El Mahdaoui a diffusé sur sa chaîne YouTube des extraits, en montage, d’une réunion confidentielle de la Conseil National de la Presse (CNP), plus précisément de sa Commission de déontologie et des affaires disciplinaires.
Le contenu de ces vidéos a provoqué une forte onde de choc au sein du milieu médiatique marocain, suscitant réactions, polémiques et mises en cause. Plusieurs organisations de la presse ont dénoncé ce qu’elles décrivent comme un “scandale éthique et institutionnel”, un dénoncé “assassinat des principes de la déontologie” et de l’autorégulation journalistique.
Dans son communiqué du 21 novembre 2025, la commission provisoire en charge de la gestion du secteur presse a affirmé que la publication de ces extraits constitue “un acte illégal”, car les délibérations internes sont soumises à la confidentialité (article 18 du règlement intérieur du CNP). Selon elle, la diffusion de ces images et propos sans le consentement des personnes concernées ne relève ni de la liberté de la presse ni de la liberté d’expression.
La commission a en outre affirmé que certaines déclarations attribuées au président de la commission déontologique étaient « fausses, déformées et fabriquées » et que l’objectif du montage diffusé visait à « induire le public en erreur, porter atteinte aux membres de la commission et les diffamer ». Elle considère que la procédure disciplinaire engagée contre Mahdaoui avait suivi les règles et que la publication de la réunion ne remettait pas en question la légalité des décisions prises.
Pour le camp de Mahdaoui, et des voix critiques en faveur de la liberté de la presse, ces révélations sont perçues comme l’exposition d’un système opaque, jalonné d’atteintes à l’indépendance journalistique, à la transparence, à la démocratie interne des instances de régulation et à la liberté d’expression. Pour eux, la publication visait à « mettre en lumière ce qui se passait derrière les portes closes », ce qui, selon eux, dépassait le cadre d’un simple « débat interne ». Plusieurs journaux et éditeurs réclament désormais une enquête judiciaire approfondie, estiment que l’affaire marque un tournant dans la régulation de la presse, et appellent à refonder le secteur sur des bases plus transparentes.
L’objet de la commission disciplinaire contre Hamid El Mahdaoui était bien un cas précis, des accusations d’insulte / diffamation (dont l’usage allégué du terme « salgote / saligot » contre un youtubeur/une personnalité). Ce point ressort comme l’origine formelle de la procédure. Avec la diffusion des extraits vidéos, l’affaire prend une autre tournure. Tout laisse croire que la commission disciplinaire a besoin de discipline.
À travers cette affaire, ce n’est pas seulement un homme qui est en jeu, mais un principe, la parole libre dans un pays habitué au silence.
La vraie question donc, n’est plus : « Qui a fait quoi ? », la justice s’en occupera, jugera. La vraie question est, de quelle société sommes-nous témoins lorsqu’une voix gênante, quelle qu’elle soit, devient une cible ? Il ne s’agit pas seulement de Mahdaoui, de son style, de ses coups de gueule, de ses révélations. Il ne s’agit pas seulement de justice, ou d’innocence. Il s’agit de nous, de notre rapport à la vérité, à la liberté, à la critique. De notre capacité à accepter qu’un homme libre existe, même s’il nous bouscule. Même s’il nous charme à coup de « Khouti Lamgharba ».
Le scandale qui plane sur cette affaire nous renvoie une vérité simple : on peut toujours faire semblant de ne rien voir, mais lorsque la réalité finit par frapper à nos portes, nous n’avons d’autre choix que de l’accueillir et d’en tirer une leçon dans l’intérêt de la nation. À mes yeux cette affaire fait chacun de nous un Mahdaoui. Alors revient le refrain, chargé d’un goût plus grave, plus amer, plus lucide : « Khouti Lamgharba ». Comme une prière, comme un constat, comme un appel. Un appel à regarder le pays droit dans les yeux et à faire ce qui s’impose, toujours dans l’intérêt de la nation.
La pièce n’est pas terminée. Le rideau ne tombe pas. Pas encore. Parce que l’histoire poursuit son cours. Parce que la parole n’est pas éteinte. Parce que certains refusent le silence. Parce que, Khouti Lamgharba, face à ceux qui redoutent la liberté, il y a toujours quelqu’un, quelque part, pour faire circuler une vidéo d’intérêt publique afin que les voix libres continuent d’exister.
Mohamed Lotfi
26 Novembre 2025
26 Novembre 2025





















