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​Entretien avec Loïc Fauchon : « Le Maroc figure dans le peloton de tête grâce à son savoir-faire en matière de solutions hydriques durables »


Rédigé par Youssef BENKIRANE Jeudi 4 Décembre 2025

Entre dessalement, recyclage et innovation, autant de leviers qui positionnent le Maroc en modèle à l’échelle mondiale. Le Président du Conseil Mondial de l’Eau le confirme : le Royaume se démarque grâce à son expertise unique, notamment ce qu’il appelle «l’excellence marocaine» dans le fameux «mix» eau-énergie verte. Entretien en marge du Congrès Mondial de l’Eau, qui s’est tenu cette semaine à Marrakech.



  • Dans un contexte mondial de stress hydrique croissant, pouvez-vous nous expliquer pourquoi le recours aux eaux non conventionnelles est devenu indispensable aujourd’hui ? Et qu’en est-il de la spécificité marocaine dans ce domaine ?

Partant de ce Congrès mondial qui réunit près de 80 nationalités et quelque 40 délégations ministérielles : c’est un événement accueilli grâce à l’hospitalité traditionnelle du Maroc, en partenariat avec cette grande association qu’est l’IWRA (International Water Resources Association).

À partir de là, où en sommes-nous aujourd’hui ? J’ai eu l’occasion de le rappeler durant le Congrès, le recours aux eaux non conventionnelles est devenu absolument certain et même indispensable. Les ressources conventionnelles, dans de nombreux pays, sont menacées ou parfois proches de l’épuisement. C’est exactement la même situation que pour certaines terres rares ou certains métaux rares, lorsque les mines s’épuisent, il n’y en a plus. L’innovation, qui est au cœur de ce Congrès, a justement permis ces dernières années de faire avancer les techniques de dessalement, de recyclage et de réutilisation des eaux usées, ainsi que la connaissance et l’exploitation des eaux souterraines - ce que nous appelons «l’invisible». Et cet invisible est essentiel, puisque, selon les études scientifiques, environ 90% de la ressource en eau se trouve dans le «groundwater». L’avantage des eaux non conventionnelles, c’est qu’elles s’inscrivent dans le renouvelable. On ne puise pas dans une ressource finie. On dessale, par exemple, l’eau de mer, et celle-ci revient naturellement, puisqu’elle fait partie du grand cycle de l’eau entre l’eau douce et l’eau salée. Il suffit simplement de veiller à la manière dont la saumure est rejetée en mer. Au Maroc, cela ne pose pas de problème, car les côtes présentent des profondeurs immédiates qui assurent une dilution rapide du sel. Il n’y a donc pas de souci de ce côté-là.
 
  • De quelle manière le recours aux énergies renouvelables réduit-il le coût du mètre cube d’eau dessalée à un niveau abordable pour tous ?

Nous sommes dans une évolution particulière, à la fois à cause de l’épuisement des ressources conventionnelles et de la forte croissance démographique, trop souvent négligée au profit des discussions sur le climat. Cette croissance est significative au Maroc, mais elle est encore plus marquée dans de nombreux pays d’Afrique, d’Asie du Sud-Est et d’Amérique du Sud.Le Maroc a développé une expertise précoce dans le dessalement. Aujourd’hui, il se distingue par le couplage de cette technologie avec différentes sources d’eau, la mer ou parfois les terres, avec ce qu’on appelle les eaux saumâtres (eaux dont la salinité se situe entre celle de l’eau douce et celle de la mer, NDLR), que l’on retrouve notamment dans certaines régions du Sahara. Ces eaux, elles aussi, doivent être dessalées. Donc, ce n’est pas seulement la mer qui est concernée, mais c’est principalement elle. Prenons l’exemple de la station de Dakhla : ce n’est pas une très grande station, mais c’est l’une des premières au monde à fonctionner presque entièrement à l’éolien, avec un petit complément solaire.Pourquoi est-ce important ? Parce que l’énergie y est peu coûteuse, contrairement aux centrales thermiques ou nucléaires, ce qui réduit considérablement le coût du dessalement. Historiquement, seuls les pays riches comme l’Arabie Saoudite ou les Émirats pouvaient se le permettre. Aujourd’hui, le coût d’un mètre cube d’eau passe d’environ 1 dollar à 0,40 €, soit presque moitié moins, ouvrant cette technologie à de nombreux pays qui n’en avaient pas les moyens. C’est une évolution majeure qui profite à l’ensemble du monde, illustrant l’excellence marocaine d’en tirer profit.Dans le cas de Dakhla, on est au bord de la mer, il y a du vent, donc priorité à l’éolien. À Ouarzazate, par contre, c’est du solaire, tout dépend de l’ensoleillement. Et parfois, ce sera un mix solaire-éolien, selon les lieux.
 
« Il y a 10 ans, on parlait de dessalement, aujourd’hui, les visiteurs peuvent voir et toucher les installations. Dans d’autres pays, beaucoup de paroles circulent, mais peu d’actions concrètes sont mises en œuvre »
 
  • Explorons avec vous cette diversité des ressources hydriques non conventionnelles, devenue incontournable alors que les ressources classiques ne suffisent plus. Quel est votre regard sur la stratégie marocaine en matière de «REUSE» ?
     
Le Maroc a considérablement innové dans le recyclage des eaux usées. Tout a commencé il y a une vingtaine d’années avec les golfs de Marrakech, puis une deuxième station a été construite il y a dix ans pour réutiliser les effluents dans les golfs et espaces verts. Aujourd’hui, des villes comme Rabat ou Tanger sont entièrement alimentées par des eaux recyclées, et leur usage s’étend désormais à l’agriculture et à d’autres secteurs. Cette eau, une fois traitée avec un procédé tertiaire, est de très haute qualité. J’ai même fait des démonstrations à la télévision dans d’autres pays, en buvant l’eau directement à la sortie de la station… et je suis toujours en vie ! Si son utilisation n’est pas encore autorisée pour tous les usages au Maroc, les évolutions réglementaires et législatives permettront bientôt d’en élargir le champ d’application. Quand je dis qu’on prend l’eau à la sortie de la station, ce n’est pas tout à fait exact. Elle subit un retraitement supplémentaire avant d’être acheminée par canalisation sur 20 à 30 km, selon la géologie, puis réinjectée dans le sol. Là, la nature opère une dernière purification. À l’arrivée en ville, l’eau est parfaitement consommable. C’est ce qu’on fait à Barcelone, un tiers de l’eau provient du dessalement, un tiers de la réutilisation, et un tiers des montagnes. On mélange tout cela, et la population ne tombe pas malade. C’est un exemple parfait de mix entre eau de montagne - comme celle de l’Atlas - et eaux souterraines provenant de champs captants autour de Marrakech. Aujourd’hui, les forages diminuent car les nappes ont été trop sollicitées. L’ONEE a donc construit des canaux qui permettent de prélever de l’eau à 40, 50, voire 60 km.
 
  • À votre avis, le Maroc devrait-il mettre l’accent sur un type de traitement de l’eau plutôt qu’un autre ? 

L’excellence du Maroc réside dans le fait que ses techniciens et ingénieurs, tant sur le plan technique que sur celui de la gouvernance, savent utiliser toutes les solutions disponibles. Ils sont capables de faire du «mix» énergétique et hydrique. Comme le dit un vieil adage : «On ne met pas tous ses œufs dans le même panier». Cela vaut parfaitement ici. Plus on a de possibilités, plus c’est mieux. Pourquoi ? Parce que la population urbaine croît également. Même si certaines villes connaissent des périodes de stagnation, la consommation urbaine reste supérieure à celle du rural. Plus le niveau de vie augmente, plus la consommation d’eau est importante. Un riche consomme plus qu’un pauvre, un touriste beaucoup plus qu’un habitant local, parfois 4 à 6 fois plus. C’est le risque du surtourisme. Aujourd’hui, une trentaine de villes dans le monde sont en danger, Venise, Barcelone, et certaines villes marocaines également. C’est la rançon du succès. Il faut donc anticiper et planifier sur le long terme. C’est pour cela que j’ai proposé la création d’une coalition pour les mégapoles, car une centaine de villes dépassent les 10 millions d’habitants et une cinquantaine les 20 millions. Ces villes sont en danger si leurs ressources en eau ne sont pas sécurisées, et si des mesures de sobriété ne sont pas mises en place. C’est également pourquoi j’ai proposé la création d’un laboratoire de la sobriété. Donc, si je reste dans la comparaison cycliste, on peut dire que le Maroc est dans le peloton de tête. Aujourd’hui, il y a 80 pays représentés ici, et ce n’est pas un hasard. Dans d’autres pays, il n’y aurait peut-être pas autant de participants. Les gens entendent parler des avancées et ils viennent voir, grâce à la forte communication. Le Conseil mondial reconnaît cette excellence - comme pour d’autres pays, la Chine par exemple dans d’autres domaines - et il est essentiel de la faire connaître. Le Maroc est aujourd’hui un modèle parmi quelques pays capables de maîtriser l’ensemble des technologies, tout en progressant sur les questions de gouvernance et de financement. Concrètement, le pays couvre en eau potable environ 99% de sa population. On parle ici des habitants desservis, pas de la superficie. Le taux d’assainissement a lui aussi fortement progressé, dépassant 70%, et continue de croître malgré les tensions liées à la sécheresse. Moi, j’ai connu le Roi Hassan II, qui nous disait un jour : «Plus une goutte d’eau à la mer». Dans le monde de l’eau, cela a fait réfléchir. Le Roi du Maroc avait déjà compris qu’il fallait savoir économiser l’eau, la réserver d’une année sur l’autre. Hassan II a lancé une politique ambitieuse de barrages, vivement critiquée à l’époque par les écologistes et environnementalistes, accusée d’être contre la nature. Aujourd’hui, si Hassan II n’avait pas initié cette politique, prolongée par Son fils le Roi Mohammed VI, le Maroc serait assoiffé. Tout cela fait partie de l’excellence du pays : des barrages aux réserves, savoir stocker l’eau d’une saison à l’autre, d’une année sur l’autre.Mais cela ne suffisait pas. Le Maroc a ensuite développé l’usage concret de l’eau, dépassant le stade des discours. Dakhla en est un exemple. Il y a 10 ans, on parlait de dessalement ; aujourd’hui, les visiteurs peuvent voir et toucher les installations. Dans d’autres pays, beaucoup de paroles circulent, mais peu d’actions concrètes sont mises en œuvre.
 
Recueillis par
Youssef BENKIRANE







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