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Violences scolaires : Comment prémunir nos écoles du chaos ? [INTÉGRAL]


Rédigé par Mina ELKHODARI Samedi 3 Mai 2025

En mars dernier, un drame glaçant a secoué le milieu éducatif. Une jeune enseignante de français à l’Office de la Formation Professionnelle et de la Promotion du Travail (OFPPT) à Erfoud a été violemment agressée à la hache par l’un de ses élèves, apparemment en réaction à une remarque disciplinaire. Après plus de deux semaines de lutte acharnée, elle a succombé à ses blessures le 13 avril, jour même de son anniversaire. Sa disparition a provoqué une profonde vague d’indignation et de colère face à l’escalade alarmante de la violence en milieu éducatif.



Aussi grave soit-il, ce drame n’est malheureusement pas le premier du genre. Chaque année, des incidents similaires surviennent dans nos établissements scolaires. En 2024, un enseignant du collège Ibn Khaldoune dans la province de Tiznit a été violemment agressé par l’un de ses élèves, lui causant de sérieuses blessures au niveau du crâne ainsi qu’à d’autres parties du corps.

Et ce n’est pas tout. À Marrakech, un élève a été violemment frappé par son enseignant à l’aide d’un tube en plastique, sur plusieurs parties de son corps, en raison de son échec à accomplir un devoir à domicile. Cet acte a poussé les parents de l’élève à déposer une plainte auprès du procureur du Roi près le tribunal de première instance de Marrakech, dénonçant des violences récurrentes à l’encontre des élèves.

Le monde des élèves entre eux n’est pas épargné par cette tendance inquiétante. En témoigne la tristement célèbre affaire de Salma, agressée violemment en 2022 par une camarade, à l’aide d’une lame de rasoir, qui lui a infligé une profonde entaille au visage. Cela sans considérer les incidents non signalés, en raison de la résolution discrète du conflit par les parents et les enseignants.

Ainsi, la violence a progressivement gagné du terrain dans nos établissements scolaires, s’installant dans les cours de récréation, les salles de classe, et frappant parfois si violemment qu’elle emporte des vies et nuit au climat général de l’école. “Au lieu de favoriser un climat d’apprentissage et d'épanouissement, l’école devient ainsi un espace d’insécurité donnant lieu à des problèmes psychologiques graves tant pour l’élève que pour l’enseignant lui-même”, souligne Dr Afaf Bengada, pédopsychologue.
 
Mais d'où vient cette violence
que l’on voit aujourd’hui ?
 
La spécialiste souligne l’existence d’environnements familiaux instables marquée par la violence, donnant lieu à un comportement agressif chez l’enfant dès son plus jeune âge. A cela s’ajoute l’incapacité des enfants à contrôler leurs émotions en classe en raison de l’absence ou de l’insuffisance de l’éducation familiale.

La pédopsychologue évoque également une crise des modèles de référence, les "idoles". Selon elle, l’exposition répétée à la violence dans les médias, les réseaux sociaux et encore les jeux vidéo pourrait désensibiliser les enfants, les rendant plus enclins à la violence. “En s’identifiant aux modèles favorisant parfois la violence et l’irrespect tels qu’ils sont mis en avant à la télévision, les enfants deviennent susceptibles d’adopter des comportements agressifs envers autrui, quel que soit son statut”, s'inquiète Dr Bengada.

Ce phénomène qui donne froid dans le dos ne passe pas inaperçu pour le ministre de l’Éducation nationale, Mohamed Saâd Berrada, à qui revient la lourde responsabilité de trouver des solutions à la violence en milieu scolaire.

Intervenant lundi à la Chambre des Représentants, le ministre a souligné la nécessité de miser fortement sur le renforcement du soutien scolaire ainsi que sur les activités parallèles, sportives, artistiques et culturelles, afin d’améliorer l’expérience scolaire et de favoriser un climat plus serein et épanouissant en classe.

C’est, en effet, le remède clé que de nombreux spécialistes recommandent pour lutter contre la violence : offrir aux élèves un espace où ils peuvent développer une meilleure connaissance d’eux-mêmes et amorcer un processus de réconciliation avec leur environnement scolaire. 
 
L’accompagnement psychologique avant tout
 
Le ministre a en outre mis en avant l’importance des cellules de suivi du décrochage, permettant de faire un suivi rigoureux de l’attitude générale des élèves à l’école. Il a de même souligné que son département privilégie une approche individualisée incluant le recours à des psychologues via des partenariats avec des associations. Une mesure louable mais qui peine toujours à apporter les fruits escomptés, selon les spécialistes.

A cet égard, Dr Bengada privilégie la mise en place de cellules d’accompagnement et de suivi psychologique des enfants à l’école publique, ce qui est le cas dans de nombreux établissements privés. “Des psychologues et des conseillers devront être présents en permanence à l’école pour aider les élèves en détresse ou en état psychique instable en vue de prévenir tout comportement agressif”, souligne-t-elle.

Le département de Mohamed Saâd Berrada parie, d’autre part, sur la surveillance des classes en temps réel pour remédier à la violence. A la première Chambre de l'Hémicycle, il a annoncé l’expérimentation de caméras de surveillance dotées d’Intelligence Artificielle dans plusieurs établissements. Ces caméras ont pour objectif de détecter immédiatement les comportements violents et alerter les responsables pour une intervention rapide.

Une mesure qui serait efficace, selon le pédopsychologue Amine Benjelloun, à condition qu’elle permette également une surveillance active du comportement des enseignants envers leurs élèves. “Cela dit, tout châtiment, toute agression physique ou morale doivent être détectés et sanctionnés, car ce sont précisément les violences passées sous silence qui plongent les élèves dans la détresse et engendrent, à leur tour, de l’agressivité”, insiste notre interlocuteur.

Outre cela, plusieurs autres pistes méritent d'être explorées. Le Maroc aura besoin d’explorer d’autres solutions en s’inspirant des expériences de plusieurs pays en la matière, notamment la Finlande et le Canada, et des programmes de médiation préventive qui impliquent les élèves dans la résolution des conflits.  Il s’agit, selon Dr Bengada, de former des “ambassadeurs de la paix” parmi les étudiants pour intervenir dès les premiers signes de tension en classe. “Former les jeunes à la gestion et à la résolution pacifique des conflits, c’est investir dans un environnement scolaire sain pour tous”, conclut Dr Bengada.
 
 Mina ELKHODARI

Trois questions au Dr Amine Benjelloun : “L’installation des caméras de surveillance ne doit pas se limiter à une logique purement répressive”

Pédopsychiatre, Dr Amine Benjelloun a répondu à nos questions sur la recrudescence de la violence en milieu éducatif.
Pédopsychiatre, Dr Amine Benjelloun a répondu à nos questions sur la recrudescence de la violence en milieu éducatif.
  • Comment expliquez-vous la recrudescence de la violence en milieu scolaire, à l’égard des enseignants ou entre les élèves eux-mêmes ?

L’effritement du tissu social et la montée de l’individualisme, accentués par l’affaiblissement du cadre familial, rendent les élèves plus vulnérables à tout choc extérieur. Aujourd’hui, les familles peinent à jouer leur rôle éducatif : le temps d’échange se réduit, les règles de vie commune ne sont plus transmises, et l’enfant n’apprend plus à gérer la frustration ou à respecter l’autre. En l’absence de ces repères, les processus de mentalisation échouent, soit la capacité de comprendre ses émotions et celles des autres, permettant de favoriser le vivre ensemble. Parallèlement, l’omniprésence des réseaux sociaux, des jeux vidéo et certaines productions artistiques, parfois vecteurs de harcèlement, a aggravé cet isolement, faute d’un environnement social capable d’en limiter les effets.
 
  • Qu’en est-il de la responsabilité du corps enseignant ?

Il faut admettre que la violence en milieu éducatif trouve ses racines dans le comportement agressif de certains enseignants. Sous couvert d’autorité, ils exercent parfois une forme de violence verbale ou morale trop souvent passée sous silence. Cette même dynamique se retrouve entre élèves, où l’agressivité peut devenir un mode d’expression courant et normalisé à la lumière du modèle de l’enseignant. Cette violence institutionnelle, souvent ignorée, reflète une dégradation des rapports entre enseignants et élèves : perte de posture professionnelle, absence de respect mutuel, effacement des rituels éducatifs comme le salut ou le dialogue respectueux. Pour remédier à cela, il faut former nos enseignants aux compétences comportementales leur permettant d’établir et de garantir un climat d’apprentissage sain pour tous.
 
  • Les écoles vont se doter de caméras de surveillance avec Intelligence Artificielle afin de détecter les comportements violents. Dans quelle mesure cela peut-il être efficace pour lutter contre ce phénomène ?

L’installation de caméras de surveillance dotées d’Intelligence Artificielle dans les écoles peut contribuer à limiter certains actes de violence, mais seulement si elle s’inscrit dans une démarche éducative globale. Pour qu’une telle mesure soit réellement efficace, elle doit être accompagnée d’un changement dans les rapports entre adultes et enfants, un engagement des familles, ainsi qu’un comportement modèle des enseignants. En revanche, si cette initiative se limite à une logique purement répressive, elle risque d’aggraver les tensions. Comme l’a montré une tentative similaire en France, le contrôle excessif peut engendrer chez les adolescents un sentiment de paranoïa, voire une fascination malsaine pour la transgression. Sans action éducative et sociale en amont, la surveillance technologique seule ne suffira pas à enrayer le phénomène de violence scolaire.

Menaces de récidive : L’agresseuse de Salma visée par une enquête

Les services de la police judiciaire de Marrakech ont ouvert, le 8 avril, une enquête sous la supervision du parquet compétent visant à éclaircir des faits criminels attribués à une jeune femme de 19 ans, avec des antécédents judiciaires, soupçonnée d’avoir enregistré et diffusé des contenus numériques incitant à la violence et à la diffamation à l’encontre de son ancienne camarade de classe (Salma). La mise en cause a été arrêtée.

Salma, victime d'une agression au couteau en 2022, a déclaré à la presse avoir remis à la police, mardi, l'ensemble des menaces qu'elle avait récemment reçues de son agresseuse, sous forme de messages écrits et de vidéos.

Selon les premiers éléments de l’enquête, la mise en cause avait déjà été condamnée fin 2022 à une peine de prison pour avoir violemment agressé Salma à l’aide d’une lame de rasoir, lui infligeant une profonde entaille au visage ayant nécessité 56 points de suture. À l’époque, Salma, alors âgée de 18 ans, était encore lycéenne en filière sciences physiques.

Depuis sa libération, la suspecte aurait publié plusieurs menaces en ligne, en plus de contenus à caractère diffamatoire, où elle glorifie ses actes passés.

Violence à l’école : Une enquête nationale tire la sonnette d’alarme

En 2023, le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique, en partenariat avec l’UNICEF, a mené une enquête approfondie sur la violence en milieu scolaire. Cette étude, inédite par son ampleur, couvre tous les niveaux d’enseignement – primaire, collège et lycée – et dresse un constat alarmant.

L’enquête s’appuie sur un double dispositif méthodologique : un volet quantitatif réalisé dans 260 établissements scolaires, impliquant 13.884 élèves, et un volet qualitatif mené dans 27 établissements. Son objectif : identifier les différentes formes de violence vécues par les élèves, en analyser les causes et proposer des pistes concrètes pour y remédier.

Les résultats sont sans appel. La violence à l’école, loin d’être marginale, s’inscrit dans le quotidien de nombreux élèves. Ce phénomène est souvent exercé par les figures d’autorité elles-mêmes : enseignants et personnel éducatif. Les formes de maltraitance recensées vont des châtiments corporels aux propos sexistes, en passant par l’intimidation psychologique et sexuelle.

Un sentiment d’insécurité est fortement exprimé par les élèves, notamment au primaire, où 38,5% redoutent d’aller aux toilettes et 32,1% au bureau du directeur. À l’extérieur de l’école, près de 30% des élèves de ce cycle déclarent avoir peur sur le chemin de l’école.

Du côté des collégiens et lycéens, le constat est similaire. Si la majorité des élèves exprime un ressenti globalement positif, une proportion importante déclare éprouver un malaise dans les zones non surveillées. Ainsi, 35,1% redoutent les toilettes, 47,5% les abords de l’établissement, et 45% affirment ne pas se sentir en sécurité sur le trajet entre leur domicile et l’école.







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