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Réforme du statut des magistrats : Ouahbi intransigeant sur les questions fâcheuses


Rédigé par Anass MACHLOUKH Jeudi 29 Décembre 2022

Les réformes relatives aux magistrats ont été adoptées en commission à la première Chambre sans changements majeurs sur le fond. Des réformes loin de faire l’unanimité chez les juges. Détails.



La réforme du statut des juges poursuit son circuit législatif, une nouvelle étape est franchie mardi à la Chambre des Représentants après le dépôt d’amendements relatifs à deux projets de loi. Il s’agit du projet de loi organique N°14.22 modifiant et complétant la loi organique Nº106.13 portant statut des magistrats. Le second concerne la réforme de la loi organique N°100.13 relative au Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ).

Des textes d’une importance capitale pour la profession du moment qu’ils modifient plusieurs aspects relatifs à l’exercice de la fonction avec un impact indéniable sur la carrière des magistrats. Réunis mardi à la Commission de Justice et de Législation, les députés ont adopté le texte avec 17 votes favorables et 3 abstentions.

Les textes apportés par le ministre Abdellatif Ouahbi ont subi quelques changements, sachant qu’ils ne font pas l’unanimité chez les magistrats. Le ministre a accepté quelques amendements qui n’ont pas changé radicalement les moutures initiales. Les députés ont jugé judicieux d’associer davantage le Conseil supérieur et le Ministère public dans la gestion financière des tribunaux. Un amendement justifié par l’importance du Parquet en tant que pilier du pouvoir judiciaire. Aussi, le ministère de tutelle a-t-il accepté des amendements suggérant l’augmentation de la durée du mandat des membres du CSPJ à 5 ans et la prolongation du délai de dépôt des candidatures à 72 heures au lieu de 48.

Statu quo sur les questions qui fâchent

Concernant les magistrats, les amendements n’ont pas touché les dispositions qui ont suscité la polémique, notamment l’épineuse question des délais de traitement des dossiers dévolus aux juges. En vertu de la nouvelle loi, et sauf changement ultérieur à la Chambre des Conseillers, le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire est habilité à fixer des “délais indicatifs” en fonction de la nature des affaires judiciaires. Un changement qui fait grincer des dents chez les magistrats d’autant plus que le ministre de tutelle avait évoqué la possibilité de sanctionner les juges en cas de dépassement des délais.

Certains magistrats ont vu en cela une façon de les rendre pleinement responsables des retards liés au traitement des dossiers qui sont parfois, estiment-ils, indépendants de leur volonté et sont liés plus aux complexités procédurales. Pour sa part, le Club des Magistrats suggère de maintenir la loi inchangée sous prétexte que la fixation des délais n’est pas du ressort du CSPJ et que cela doit se faire par révision de la procédure du Code pénal.

Plus de nuances dans l’évaluation des magistrats

Les points de divergence ne s’arrêtent pas là. L’évaluation des juges fait également débat puisque la loi réformée, telle qu’adoptée en commission, élargit la liste des actes passibles d’une suspension de la fonction du magistrat concerné. Il s’agit des cas de “violation du secret professionnel”, “divulgation du secret des délibérations” ou de “diffusion d’un verdict avant sa prononciation”. Ce que rejette le Club des Magistrats qui revendique une formulation plus rigoureuse et plus minutieuse des cas de fautes graves pour éviter les difficultés d’interprétation.

La réforme, qu’on le rappelle, renforce les sanctions disciplinaires (voir repères) que les magistrats semblent accepter. Toutefois, une nouveauté est introduite dans l’article 97 de leur statut fait couler beaucoup d’encre. Il s’agit du cas de bavure légère non passible d’une poursuite disciplinaire. Le magistrat concerné peut se voir adresser des observations qui ne sont, pourtant, pas considérées comme mesures disciplinaires.

Le Club des Magistrats y voit une contradiction du moment qu’il estime que le juge ne peut faire l’objet d’une mesure pareille tant qu’il n’a pas commis de véritable faute professionnelle. Raison pour laquelle le cahier de doléances du Club, dont “L’Opinion” détient copie, plaide pour qu’une commission disciplinaire soit habilitée à adresser les observations au lieu du Conseil à condition que ces observations ne soient pas insérées dans le dossier du magistrat. Une proposition qui n’a pas été prise en compte lors du dépôt d’amendement.

Pour les raisons susmentionnées, ces derniers voient d’un oeil suspicieux l’autorisation du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire pour procéder à l’évaluation de la performance des magistrats et pour prendre les mesures nécessaires afin d’améliorer leur rendement et l’efficience de la justice.

En effet, la loi prévoyait qu’un rapport d’évaluation soit élaboré à la fin de chaque année (décembre). La réforme allonge la liste des critères d’évaluation pour inclure “le respect de l’éthique de la profession”. Une mesure inutile aux yeux du Club des Magistrats.

De son côté, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, veut aller jusqu’au bout de sa réforme après avoir franchi le seuil de la première Chambre. Il reste ainsi fidèle aux engagements dont il a fait part depuis sa prise de fonction. Depuis qu’il est devenu “Garde des Sceaux”, Ouahbi a réitéré plusieurs fois qu’il veut revoir en profondeur les lois relatives à l’exercice des professions judiciaires dans le but, selon lui, de parer aux dysfonctionnements du système judiciaire.




Anass MACHLOUKH

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Réhabilitation des magistrats


Une nuance à noter
 
Au-delà des sanctions contenues dans la loi, la réforme modifie légèrement les conditions de réhabilitation d’un juge ayant fait l’objet de sanctions disciplinaires. Celle-ci est conditionnée par l’amélioration du rendement et de la conduite professionnelle.

L’article 101, rappelons-le, stipule que “le magistrat est réhabilité, sur sa demande, après expiration d’un délai de trois ans pour les sanctions de premier degré, et de cinq ans pour les sanctions de deuxième degré, tandis qu’il faut attendre cinq ans lorsqu’il s’agit de sanctions de deuxième degré, à compter de la date d’exécution de la sanction”.

Rappelons qu’il existe plusieurs sanctions de premier degré. On en cite le blême, l’avertissement, le retard d’avancement d’échelon, et la radiation de la liste d’aptitude pendant une durée maximale de deux ans. Pour ce qui est des sanctions de deuxième degré, il y a l’exclusion temporaire des fonctions et la rétrogradation d’un grade. Le troisième degré prévoit la révocation.

 

Âge de départ à la retraite


Pas de retour en arrière
 
Le ministre s’est montré intransigeant quand on lui a proposé de réduire l’âge limite de départ à la retraite à 70 ans alors qu’il est fixé dans le texte de la réforme à 75 ans avec une possibilité de le proroger deux fois. En effet, la loi, telle qu’elle est actuellement, fixe l’âge à 65 ans sachant que les magistrats peuvent siéger dans les Cours jusqu’à l’âge de 70 ans. En tâchant de maintenir les magistrats en service le plus longtemps possible, Abdellatif Ouahbi veut parer au risque de départs massifs, surtout dans les Cours de Cassation.

Le ministre a laissé entendre que seuls les magistrats de la Cour de Cassation sont concernés. En effet, cette disposition ne fait pas l’unanimité et risque de déplaire aux organisations représentatives des magistrats qui jugent cet allongement inutile et excessif. Quid des jeunes magistrats et leur évolution ? La question a été au coeur des débats en commission, nous indique une source bien informée.

En effet, le ministère de tutelle n’a pas éludé cette question en élaborant la réforme du Statut. Un nouveau grade a été ajouté à “la liste d’aptitude à l’avancement”. Il s’agit du “grade principal”, supérieur au “grade exceptionnel”, qui constituait une sorte de plafond de carrière pour une partie considérable de juges.

Ce grade est ouvert aux juges de grade exceptionnel ayant 5 ans d’ancienneté. Il convient de rappeler que l’actuel statut prévoit trois grades, à savoir : le premier, le second et le grade exceptionnel, sachant que seuls peuvent être élevés au rang “hors grade” le président de la Cour de Cassation et le procureur près ladite Cour.

 

Trois questions à Abderrazak Jebari

Réforme du statut des magistrats : Ouahbi intransigeant sur les questions fâcheuses

“Nous avons envoyé nos doléances à la Chambre des Représentants”
 
Abderrazak Jebari, président du Club des Avocats du Maroc, a répondu à nos questions sur la réforme du statut des magistrats après son adoption en commission à la première Chambre.


- La loi est restée inchangée en ce qui concerne l’âge de départ à la retraite qui a été augmenté à 75 ans. Qu’en pensez- vous ?

- Nous ne sommes pas favorables à une telle mesure. Je rappelle que la loi fixe l’âge légal à 65 ans. Il est possible pour les magistrats qui le souhaitent d’aller jusqu’à 70 ans. Le fait de maintenir un magistrat jusqu’à 75 ans est contre-productif. En plus de cela, c’est inique puisqu’ils ne bénéficieront pas assez longtemps de leurs pensions. Le ministère de tutelle a pris une telle mesure pour remédier au déficit des juges dans les différents tribunaux du Royaume. Au lieu d’augmenter le prolongement facultatif de l’âge de départ à la retraite, il est préférable de recruter plus de ressources humaines.


- Vous avez contesté plusieurs points de la réforme et vous avez fait part de vos doléances. Trouvez-vous que la réforme a manqué d’approche participative ?

- De notre point de vue, il n’y a pas eu d’approche participative dans l’élaboration de la réforme puisque nous n’avions pas été consultés. En plus, nous n’avons pas pris connaissance des amendements déposés.


- Avez-vous pris contact avec les députés pour vos revendications ?

- En réalité, nous avons fait part aux groupes parlementaires de nos doléances en envoyant une copie de notre cahier à la Chambre des Représentants conformément à l’article 137 du règlement intérieur.



Recueillis par A. MACHLOUKH