Il semble que le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, et les avocats sont condamnés à la fâcherie. L'accalmie n’aura pas duré longtemps. Alors qu’on croyait que tout allait pour le mieux, la réforme de la profession a, contre toute attente, déclenché une colère qui risque de dégénérer à nouveau.
Les robes noires montent au créneau contre le projet de loi dont une version transmise au barreau a été rejetée en bloc. Ce qui peut paraître sidérant étant donné que la réforme est censée être consensuelle. Le 21 novembre dernier, quand qu’il a pris part à un séminaire organisé par l'Association des Bureaux du Maroc (ABAM), Ouahbi s’est montré rassurant et s'est adressé en termes tendres aux avocats auxquels il a annoncé allégrement qu’il y a eu compromis autour de la réforme et que celle-ci allait être bientôt présentée en Conseil de gouvernement.
Les robes noires montent au créneau contre le projet de loi dont une version transmise au barreau a été rejetée en bloc. Ce qui peut paraître sidérant étant donné que la réforme est censée être consensuelle. Le 21 novembre dernier, quand qu’il a pris part à un séminaire organisé par l'Association des Bureaux du Maroc (ABAM), Ouahbi s’est montré rassurant et s'est adressé en termes tendres aux avocats auxquels il a annoncé allégrement qu’il y a eu compromis autour de la réforme et que celle-ci allait être bientôt présentée en Conseil de gouvernement.
De la trêve aux hostilités
Jusque-là, tout allait bien. Mais l’optimisme a vite cédé au désenchantement. Une fois le texte reçu, les avocats se disent retrouvés avec un projet de loi dangereux. L’Association des Barreaux du Maroc s’est dite surprise par une réforme contraire aux engagements pris par le ministre lors des pourparlers qui ont duré des mois. Dans ses communiqués, l’ABAM appelle au retrait pur et simple du texte qu’elle juge attentatoire à l'indépendance de la profession. L’association a appelé à une assemblée extraordinaire, le 10 janvier prochain, à Marrakech, pour en débattre et décider des mesures à prendre. Le régulateur s’apprête à écrire à la tutelle pour lui faire part de ses griefs et lui rappeler les promesses qu’elle a tenues pendant les négociations, lit-on dans le document signé par le président El Houssine Ziani.
Restons sur la forme. Comment un texte censé être le fruit d’un accord est ainsi contesté par ceux qui l’ont eux-mêmes négocié avec Ouahbi ?
Le secret qui intrigue les robes noires !
La question est plus complexe qu’elle ne paraît. La présidence de l’ABAM semble elle-même dépassée, au moment où les avocats désapprouvent le secret qui a entouré les discussions.
Selon nos informations, les pourparlers auraient été tenus en secret à la demande du ministère de tutelle. Ce que certains avocats découvrent avec stupeur. Ils soupçonnent la tutelle d'avoir conclu un deal tacite pour faire passer la loi rapidement à la fin de l’année, à l’abri des regards. Là, ce ne sont que des élucubrations qui n’engagent que ceux qui les croient.
Contacté par nos soins, le cabinet du ministre privilégie le silence. Pourtant, une source s’est contentée de rappeler qu’il n’y a rien d’officiel pour le moment, pour peu que le texte controversé n'ait pas encore été adopté par le gouvernement. Un argument que des avocats interrogés par «L'Opinion» accueillent avec scepticisme. “Comment peut-on croire cela alors que le texte émane directement du Secrétariat général du Gouvernement, ce qui signifie qu’il s’agit de la version finale du projet de loi ?”, rétorque un avocat du barreau de Casablanca, qui a requis l’anonymat. “Tout est déjà concocté”, résume-t-il.
Les pommes de discorde
Maintenant, qu’est-ce qui gêne les robes noires dans ce projet de loi ? Celles-ci y voient une atteinte à l’indépendance de la profession et son autonomie. “C’est une main basse sur les avocats”, fulmine Omar Benjelloun, avocat au barreau de Rabat, l’un des rares membres de l’ABAM à parler à visage découvert. “Il y a une volonté de nous inféoder au ministère de tutelle”, poursuit-il, reprochant à la présidence de l’ABAM de s’être fourvoyée.
Selon notre interlocuteur, la réforme réduit l'indépendance de la profession. Elle est rédigée de telle sorte à dessaisir en partie les avocats de l'organisation de la profession en termes de formation, d’accès au barreau et leur relation avec les justiciables. Le texte aurait empiété sur les prérogatives des avocats en matière disciplinaire où se mêlent désormais le ministère de tutelle et le Ministère public. “C’est inacceptable”, juge M. Benjelloun.
Plongée dans la réforme contestée
Or, le texte dans son préambule dit aspirer à mieux encadrer la profession et promouvoir la confiance des justiciables vis-à-vis des robes noires avec de nouvelles garanties de reddition des comptes. Celle-ci introduit un encadrement plus strict, surtout en matière de gestion de l’accès et de discipline. Pour leur part, les avocats accusent la tutelle de vouloir empiéter sur le domaine réservé du barreau.
Au-delà des réquisitoires, la réforme introduit des changements substantiels à plusieurs niveaux. Désormais, l’accès à la formation est pluie sélectif, les conditions plus durcies. Les nouveaux candidats doivent être titulaires d’un master avec une conduite irréprochable. Le concours du barreau n’est plus l’unique barrière sur leur chemin. La formation continue est désormais plus décisive dans le parcours, avec une formation théorique d’un an dans un institut, avant un stage pratique de 24 mois auprès d’un cabinet sous supervision du barreau, lequel sera conclu par un examen final. Autant de changements qui gênent visiblement les avocats, habitués à ce que la formation soit du ressort exclusif des Conseils des barreaux. En plus, le cumul des activités est plus restreint, avec la réduction des champs des possibilités sous prétexte de lutte contre les conflits d’intérêt.
Le texte renforce le rôle des barreaux dans la régulation du métier sur le plan organisationnel et déontologique. Mais, c’est le nouveau système disciplinaire qui cristallise les critiques. Les procédures disciplinaires ont été durcies comme jamais avec le rappel à l’ordre, la suspension provisoire, ou même la suppression du registre du barreau. Des décisions peuvent évidemment faire l’objet de recours auprès de la justice. Le texte réduit les délais de traitement des plaintes déposées chez les bâtonniers auxquels incombe de saisir le Conseil de l'Ordre pour statuer sur le fond des litiges entre les avocats et leurs clients.
C’est la capacité d’action du Ministère public qui suscite beaucoup l’incompréhension. Le texte donne plus de prérogatives à la justice en matière d’application des décisions disciplinaires en cas d’irrégularités. Ce qui est inacceptable pour les avocats qui appellent à préserver l’autonomie des barreaux avant la saisine de la justice.
Maintenant, un nouveau feuilleton commence, certains avocats doutent de la capacité du ministre à faire passer une réforme si controversée à quelques mois de la fin de son mandat. On n’en sait rien !
Anass MACHLOUKH
Trois questions à Omar Benjelloun : “On veut nous réduire à une liste de juristes sous la coupole du ministère de tutelle”
- Pourquoi le texte est si décrié alors qu’il est censé être négocié ?
Tout d’abord, il y a un problème de fond et de forme qui porte. Les discussions ont été tenues en secret à la demande du ministère de tutelle, ce qui a été accepté par le président de l’ABAM, contrairement à la volonté des avocats telle qu'exprimée lors du congrès national avec la recommandation de sortir le texte pour qu’il soit débattu. Depuis mai dernier, ce vœu n’a jamais été exaucé. On ne peut pas exiger la confidentialité quand on demande l’avis d’une profession sur un projet de loi aussi important. Ceci est attentatoire à la logique même de la négociation. Et voilà qu’on découvre maintenant que nous sommes face à une réforme qui porte atteinte au procès équitable pour peu qu’elle mette en cause l’indépendance de la défense telle que prévue par le pacte international sur les droits civiques et politiques. En gros, il y a une volonté de s’affranchir du modèle originel de l’autonomie de la profession à l’anglo-saxonne vers un modèle qui ressemble à celui des pays du Golfe, qui n’a rien à voir avec les principes de la convention de La Havane qui repose sur l’indépendance de la profession sur le plan de l’organisation professionnelle, la formation, la capacité de donner des sanctions disciplinaires… On veut nous réduire à une liste de juristes sous l’égide et la coupole du ministère de tutelle. Ce qui risque de nous faire basculer d’une profession libérale et indépendante à un groupe d’experts associés au ministère de la Justice. Ceci est intolérable. En plus, c’est inconstitutionnel et contraire aux engagements internationaux du Maroc. Les avocats sont clairement dépourvus de plusieurs prérogatives qui leur appartiennent de par la loi. Ils sont écartés de l’accès à la profession, de la formation initiale et continue. Les barreaux, notamment les Conseils de discipline, ont été marginalisés du moment que le Ministère public s’est vu octroyer la compétence d’exécuter les décisions disciplinaires, contrairement à ce qui est le cas aujourd’hui. C’est une remise en cause frontale de l’indépendance de la profession.
- On accuse la tutelle de vouloir mettre la main sur la profession. Quel serait son intérêt ?
Disons clairement les choses. C’est une main basse sur les avocats. Il n’y a nulle autre explication. On veut affaiblir la défense et la subordonner à l’Exécutif, ce qui est extrêmement dangereux pour les acquis du Maroc en termes de droits de l’Homme.
- Comment les avocats comptent-ils réagir ?
La contestation a d’ores et déjà commencé. La majeure partie des associations de la profession dénoncent le secret qui a entouré les discussions sur le projet de loi. On ignore pourquoi une si grande discrétion qui, croyez-moi, me paraît suspecte. Une pétition a été signée par les Conseils de l’Ordre des avocats. Nous sommes deux tiers des membres à revendiquer la tenue d’un Conseil extraordinaire de l’Association des Barreaux du Maroc pour afficher officiellement notre refus. Les avocats savent pertinemment que quand on ne respecte pas la forme, on ne peut pas plaider le fond. Aussi, le rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats a été saisi.
Recueillis par
Anass MACHLOUKH
Anass MACHLOUKH
Lettre : Le contentieux porté à l'international !
En dehors de l’ABAM, les avocats se mobilisent sous d’autres bannières. L'Association Nationale des Avocats du Maroc a saisi le Président de l'Union Internationale des Avocats, Fernando Hernandez Gomez, en tant que président de la plus grande et plus ancienne organisation représentative de la profession dans le monde. Celle-ci est dotée du partenariat ECOSOC avec l'Organisation des Nations Unies.
Dans une lettre signée Maître Benchikh Mohamed Lahbib, l’association a informé son destinataire “des régressions graves touchant l'indépendance de la profession d'avocat et l'immunité de la défense telles que prévues par les principes internationaux des droits humains, et ce, dans les dispositions du projet de loi régulant la profession d'avocat présenté par le ministère de la Justice marocain”. “Selon les normes internationales, la profession d'avocat représente un pilier fondamental de l'Etat de droit et une garantie essentielle du procès équitable et du droit à la défense”, lit-on sur la correspondance qui ajoute : “Les principes fondamentaux relatifs au rôle des avocats, adoptés par le huitième congrès des Nations Unies sur la lutte contre le crime et le traitement des criminels tenu à La Havane en 1990, notamment les principes 16 - 18 - 23 et 24, prévoient l'incitation à un exercice professionnel des avocats sans persécution, ni obstruction ni intervention non justifiées, ainsi que la garantie de l'indépendance de leurs organisations professionnelles et leur protection de toute poursuite ou pression à l'occasion de leurs mission de défense”.
Dans une lettre signée Maître Benchikh Mohamed Lahbib, l’association a informé son destinataire “des régressions graves touchant l'indépendance de la profession d'avocat et l'immunité de la défense telles que prévues par les principes internationaux des droits humains, et ce, dans les dispositions du projet de loi régulant la profession d'avocat présenté par le ministère de la Justice marocain”. “Selon les normes internationales, la profession d'avocat représente un pilier fondamental de l'Etat de droit et une garantie essentielle du procès équitable et du droit à la défense”, lit-on sur la correspondance qui ajoute : “Les principes fondamentaux relatifs au rôle des avocats, adoptés par le huitième congrès des Nations Unies sur la lutte contre le crime et le traitement des criminels tenu à La Havane en 1990, notamment les principes 16 - 18 - 23 et 24, prévoient l'incitation à un exercice professionnel des avocats sans persécution, ni obstruction ni intervention non justifiées, ainsi que la garantie de l'indépendance de leurs organisations professionnelles et leur protection de toute poursuite ou pression à l'occasion de leurs mission de défense”.
Procédures disciplinaires : Ce que redoutent les avocats
Selon les premiers éléments qui ont fuité du texte proposé par le ministère de tutelle, la justice a plus de place dans le nouveau système disciplinaire, ce dont les avocats ont horreur. Chacun des avocats en parle dès qu’on l’interroge sur ce qui le gêne dans le projet de loi.
En fait, le Ministère public a plus de champs de manœuvre dans les affaires disciplinaires dans certains cas strictement définis par la loi.
La réforme donne aux procureurs du Roi le droit de demander la suspension provisoire d’un avocat si ce dernier fait l’objet d’une poursuite judiciaire dans les affaires délictuelles ou lorsque les faits reprochés sont dangereux, à condition que cette demande soit motivée par des éléments probants et que la suspension requise soit limitée dans le temps.
Aussi, le procureur du Roi près des Cours d’Appel peut-il remettre en cause une décision de classement sans suite d’une plainte déposée auprès des bâtonniers. En sus, le procureur du Roi s’est vu confier la capacité de faire recours d’une décision disciplinaire auprès du Conseil de l’Ordre au même titre que l’avocat concerné.
Selon Omar Benjelloun, le Ministère public s’est vu octroyer la compétence d’exécuter les décisions disciplinaires, contrairement à ce qui est le cas aujourd’hui, ce qui est à ses yeux inconcevable pour un avocat soucieux de l’indépendance de la profession.
En cas d’un litige donnant lieu à une éventuelle poursuite, le bâtonnier est sommé de statuer dans un délai d’un mois à compter de la date de réception de la plainte. Si la poursuite est engagée, un rapporteur est désigné avec la possibilité pour l’avocat mis en cause de consulter son dossier sans restriction et de bénéficier de l’assistance d’un de ses pairs.
En fait, le Ministère public a plus de champs de manœuvre dans les affaires disciplinaires dans certains cas strictement définis par la loi.
La réforme donne aux procureurs du Roi le droit de demander la suspension provisoire d’un avocat si ce dernier fait l’objet d’une poursuite judiciaire dans les affaires délictuelles ou lorsque les faits reprochés sont dangereux, à condition que cette demande soit motivée par des éléments probants et que la suspension requise soit limitée dans le temps.
Aussi, le procureur du Roi près des Cours d’Appel peut-il remettre en cause une décision de classement sans suite d’une plainte déposée auprès des bâtonniers. En sus, le procureur du Roi s’est vu confier la capacité de faire recours d’une décision disciplinaire auprès du Conseil de l’Ordre au même titre que l’avocat concerné.
Selon Omar Benjelloun, le Ministère public s’est vu octroyer la compétence d’exécuter les décisions disciplinaires, contrairement à ce qui est le cas aujourd’hui, ce qui est à ses yeux inconcevable pour un avocat soucieux de l’indépendance de la profession.
En cas d’un litige donnant lieu à une éventuelle poursuite, le bâtonnier est sommé de statuer dans un délai d’un mois à compter de la date de réception de la plainte. Si la poursuite est engagée, un rapporteur est désigné avec la possibilité pour l’avocat mis en cause de consulter son dossier sans restriction et de bénéficier de l’assistance d’un de ses pairs.











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