De notre envoyé spécial : Abdallah LAHFARI
"Je veux que le tueur de mon fils soit exécuté sous mes yeux"
Assassiné, torturé et peut-être aussi violé, le cadavre d'un enfant de 11 onze ans a été retrouvé à Meknès après deux jours de recherches. Un crime "inhumain" comme on en voit de plus en plus au Maroc. Afin que de telles atrocités ne fassent plus simplement des seules statistiques et en vue d’éveiller les consciences sur la gravité de ce genre de crimes qui peuvent toucher n’importe quelle famille, l'Opinion est parti sur place recueillir les témoignages des parents de la victime.
En ce samedi 13 juillet à Meknès, deux jours après la découverte du cadavre du petit Reda, le crime est sur toutes les lèvres : on en parle dans les cafés, on regarde les témoignages de la mère sur YouTube et, chez les plus costauds d’esprit, on commente les insoutenables images du corps déformé, défiguré, et « probablement même violé », comme le suppose la majorité des habitants de Hay Swani où la famille de la victime réside. Ici, au milieu de bidonvilles et en absence des moindres conditions de vie décente, les jeunes sont laissés à leur sort. « Nos fils découvrent le chemin de l’addiction et de la délinquance dès l’enfance », regrette Amina, une des voisines de la famille du petit Reda. Son assassinat de façon aussi impitoyable que sauvage est une histoire somme toute ordinaire qui ressemble à ce genre d’affaires que l’on oublie au bout de quelques jours de buzz médiatique. Mais elle renseigne cependant sur une triste réalité, celles des enfants issus de quartiers défavorisés et dont la misère les expose en plus des innombrables difficultés du quotidien, aux graves menaces des prédateurs sexuels.
Un crime atroce
Tout commence le mardi 9 juillet, lorsque sa mère, Aziza, constate sa disparition aux alentours de 14h. « Il était sorti jouer devant la maison, comme à son habitude ». Larmes aux yeux, cette modeste femme de ménage raconte : « Mon enfant était un bon garçon. Il a réussi les examens de fin d’année avec une bonne moyenne. Pour le récompenser, nous devions partir passer quelques jours à la mer le jour même de sa disparition. Et si mon patron au travail m’avait payé mon salaire à temps, mon bébé n’aurait peut-être jamais été tué. Le pauvre bouillonnait d’impatience dans l’attente de ces vacances en mer. Il était très heureux et m'en voulait de ne pas avoir pu l’emmener plus tôt ». La suite, on la connaît, la courte vie du jeune Reda sera stoppée net par un prédateur qui le tuera à la fleur de l’âge.
L’histoire de ce crime est aussi celle d’un « manque de réactivité » des agents de la police. Lorsque, le soir du mardi, la mère de la victime s’est rendue au commissariat pour alerter les autorités de la disparition de son fils, les policiers ont demandé à Aziza de prouver sa parenté par le carnet d’état-civil, qu’elle n’avait pas sur elle. « Accompagnée d’une poignée de jeunes du quartier, j’ai poursuivi les recherches pendant toute la nuit, en vain », dit-elle, la voix cassée. A mesure que les heures passent, les espoirs de tout un quartier de « sauver » Reda se dissipent. Le lendemain, Aziza, qui n’a pas fermé l’œil depuis que son fils a disparu, distribue ses photos dans la ville et se confie encore une fois à la police, sans grand résultat. Ce n’est finalement qu’à l’aube du jeudi qu’un groupe de voisins découvre le corps au milieu des vestiges délabrés de ce qui fut, avant sa fermeture, le bâtiment de l’Académie régionale de l’Education nationale. Dévêtu dans sa moitié inférieure, le corps chétif du petit Reda porte les traces de graves sévices. Tête ensanglantée et cou enserré par un câble électrique, la dépouille de l’enfant témoigne de la violence inouïe dont il a été la victime. «Je ne l’ai pas reconnu à la première vue. Celui qui a fait ça à mon fils ne peut pas être un humain », s’étrangle Aziza, avant que son mari, chauffeur de poids lourds, rétorque : « Je veux qu’il soit exécuté sous mes yeux ».
« Le tueur, ça ne peut être que lui… »
A l’écriture de ces lignes, quatre suspects sont détenus, dont un certain « Bayor », vedette de la délinquance de la ville Ismaélienne. Parmi les personnes arrêtées aussi, Adam, un ami de Reda qui aurait été témoin du crime. « Les deux petits avaient été traînés loin des regards par Bayor, qui leur a proposé de s’essayer à la drogue», rapporte Adil, oncle d’Adam. Présent pendant l’horrible crime, le petit enfant de dix ans avait réussi à s’échapper mais, par peur, il n’a pas pu ni prévenir ses parents ni ceux de Reda. « Ce n’est qu’à la suite des investigations de la police qu’il a été convoqué, puis retenu au commissariat », révèle Adil, qui accuse ouvertement Bayor : « Ça ne peut être que lui… ». Drogué notoire au casier judiciaire bien garni, ce dernier souffrirait de troubles mentaux « graves », selon la légende locale. Preuve de cette instabilité, “Bayor se présente de son plein gré à la police en 2003 pour avouer avoir tué le propriétaire d’une station service. L’homme écope alors d’une longue peine de prison, avant d’être libéré au bout de trois années d’incarcération après que la police eut découvert le véritable coupable”, assure un chauffeur de taxi Meknassi.
Dans l’affaire de Reda, Bayor a été arrêté par la police, avant que d’autres personnes dont deux membres de sa famille ne le rejoignent, dimanche, dans les geôles pour complicité et recel de criminel. C’est dire si l’affaire n’a pas encore livré tous ses secrets. Mais quel que soit l’auteur du meurtre de Reda, celui-ci a profité de la misère et du manque d'accompagnement d'un jeune défavorisé pour assouvir ses désirs meurtriers. Ce qui est sûr, c’est que Reda aurait sans doute eu moins de chance de rencontrer son funeste destin s’il avait grandi dans un quartier autre que Hay Swani.
Abdellah Lahfari