L'Opinion Maroc - Actuali
Consulter
GRATUITEMENT
notre journal
facebook
twitter
youtube
linkedin
instagram
search


Culture

Magazine : Hakim Noury, un homme éraflé


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 10 Octobre 2021



Il scanne la réalité pour la traduire en fiction.
Il scanne la réalité pour la traduire en fiction.
Hakim peut ressembler à un coloriage où tout dépasse. Rien n’est cerné, tout déborde. Ainsi choisit de vivre celui qui réalise des films à guichets souvent fermés, celui qui scanne la réalité pour la traduire en fiction. Depuis le rangement de son clap, le public le réclame, ses confrères pas ou peu.

Passablement tourmenté, il ne convoque que sporadiquement la fatalité. Ses rires comme ses colères s’apparentent à une thérapie en continu mouvement. Une marque de vie, de sur-vie. Mais cet éternel râleur s’appuie sur un doux passé.

Le gamin qui s’écarquille les yeux devant une oeuvre cinématographique sait que c’est un baptême mais ignore encore l’impact de cette rencontre sur son devenir : «C’était en 1959, mon père Allah yrehmou m’a emmené au cinéma Rio, une vieille salle de quartier près de la place Verdun, pour voir le film ‘Mother India’ et le héros était un petit garçon de mon âge. Il s’appelait Birjou. Quelque temps auparavant j’avais vu ‘Crin blanc’ dont le héros était aussi un garçon de 8-10 ans. Depuis ce film, ma passion pour les chevaux a grandi. Quand j’ai demandé à mon père quel métier faisait ce garçon, il m’a répondu : ‘acteur’. Je lui ai dit avec assurance que je voulais devenir acteur. C’est parti de là. En 1966, il m’a inscrit au Conservatoire municipal de Casablanca. J’avais 14 ans. Mon professeur était M. Merray. Il m’a tout appris. Il était sociétaire de la Comédie Française. Avec lui, j’ai interprété tous les classiques, du ‘Cid’ de Corneille jusqu’aux ‘Fourberies’ de Scapin.» Le réalisateur en devenir a ses références et ses faiblesses. Au fil de l’eau, il se voit capté par des acteurs qui lui donnent envie de percer le monde irréel de l’interprétation (Marlon Brando, Robert De Niro, Al Pacino, Sean Connery, Jack Nicholson…) et celui plus concret de la réalisation : «Sergio Leone, le grand Leone qui a démystifié le western américain. Ensuite, en France, André Cayatte, un grand spécialiste du cinéma socio- politique, genre que j’allais adopter pratiquement tout au long de ma modeste carrière. Bien sûr il y a beaucoup d’autres, tels que Clint Eastwood, Martin Scorcese, John Cassavetes, Spike Lee…»

«Premier long métrage politique marocain»

Si Hakim Noury cite comme références de grandes figures généralement hollywoodiennes, il puise son inspiration dans ce qui le bouleverse localement, ce qui l’engage dans l’écriture d’une histoire : «L’idée d’un scénario naît toujours à partir du vécu. Pour ‘L’Enfance Volée’ qui a connu un énorme succès aussi bien au Maroc qu’ailleurs, il y a une scène où on voit une petite bonne soulager une voiture de ses courses, faisant des tas d’allers retours, transpirant sous le soleil de plomb d’un mois d’août. Dans le scénario, ceci n’est qu’une simple reconstitution, le détonateur de l’écriture du film. C’est à partir de cela que j’ai brodé mon histoire. Pour ‘Destin de Femme’, pareil. Nous étions en train de tourner ‘Voleur de Rêves’ qui a révélé Rachid El Ouali et Fatima Khaïr au grand public. Je vois un homme accompagné d’une femme aux moeurs plus que douteuses, se diriger vers son véhicule. Derrière eux, une gamine de 20 ans tenant un bébé de quelques mois, pleurant à chaude larmes, vivant un cauchemar éveillée. En fait, l’homme venait de répudier la jeune femme. Même le dialogue n’est pas de moi. C’est exactement les mots qu’ils se sont partagés. Autre exemple : ‘Un Simple Fait Divers’, le premier long métrage politique marocain à avoir dénoncé la répression à l’encontre des journalistes. Driss Basri qui a vu le film est entré dans s’une rage noire. Il m’a appelé et m’a menacé de me faire asseoir sur une bouteille. Les gens qui ont vécu les années de plomb connaissent bien cette sinistre expression : ‘Daba nguelless bouk 3la 9er3a ‘. Je cite exactement ses mots. Donc, pour revenir à la genèse de ce film, j’ai été contacté par une journaliste, Aicha Mekki, Allah yerhemha morte dans des circonstances obscures. Elle m’a demandé si j’avais le cran de réaliser un film politique. Je lui ai dit bien sûr, que je manquais peut-être d’argent, mais certainement pas de cran. On s’est donné rendez-vous le vendredi de la semaine suivante. Elle n’est pas venue. Plus tard, dans l’entrefilet d’un journal, j’ai lu : ‘La journaliste Aicha Mekki assassinée dans son appartement par un cambrioleur’. Ça m’a paru bizarre. Un détail important : le lendemain de ma première et dernière rencontre avec Aicha Mekki j’ai reçu un appel m’interdisant d’utiliser une histoire que m’aurait proposé Aicha. Pour moi, c’était devenu une obligation de faire un film sur cette histoire. Une obligation morale. Et un hommage à Aicha Mekki de L’Opinion, une journaliste courageuse qui a payé de sa vie son audace.»

«J’ai tout appris à Rachid El Ouali»

Le cinéaste refuse de se raconter des histoires. Il dit avoir rencontré et travaillé avec une flopée d’acteurs dont peu le font frémir artistiquement : «Hamidou et Afifi m’ont marqué, c’est certain. Les autres, non. Sauf Fatima Khaïr et Rachid El Ouali, un acteur avec lequel j’ai eu une grande complicité et ça se voyait à l’écran. Rachid est totalement différent quand c’est moi qui le dirigeais que quand il apparaissait dans d’autres films. Et c’est dommage pour lui. Nous avons fait 5 films ensemble et je ne lui ai jamais donné le même rôle.»

Noury finit par avancer en lucide et coopte des acteurs qu’il aime après les avoir aimantés. Ce qui se répète est-il réputé crédible ? «En toute modestie, je dis oui. C’est moi qui ai tout appris à Rachid, et il le mérite. Son talent, c’est Dieu qui le lui a donné. Moi, j’ai juste su comment mettre en valeur ce talent. Et c’est ce qu’on appelle la direction d’acteur qui fait terriblement défaut à un grand nombre de réalisateurs hélas.»

«Mustapha El Khalfi m’a poussé à l’exil»

Le triomphant auteur-réalisateur de «Elle est diabétique, hypertendue et elle refuse de crever» se retrouve poussé vers la sortie en deux temps.

Il en est amère et le raconte sans filtre : «Je n’ai jamais songé quitter mon pays qui m’a tout donné sur un coup de tête, jamais. La personne qui m’a en quelque sorte poussé à l’exil, est l’ancien ministre PJDiste de la Communication Mustapha El Khalfi. Au lendemain de sa nomination, j’ai appellé son secrétariat et il m’a accordé une entrevue dans les 48 heures, geste que j’ai apprécié. Je voulais me plaindre d’un collaborateur de Fayçal Laraïchi (patron de la SNRT) qui me menait en bourrique, me disant de revenir plus tard, dans une semaine ou dans un mois. Je savais ce qu’il voulait, seulement mes principes ne me permettent pas de jouer à ce jeu malsain. Quand j’ai raconté mes déboires au ministre, il m’a répondu en arabe et sans équivoque : ‘Ewa sir 3andhom a Ssi Hakim, wtfahem m3ahom.’ J’ai failli tomber de mon siège. Ma tête tournait, en proie au vertige. Inouï. Et le détonateur déterminant qui m’a poussé à l’exil, est dû à Nour-Eddine Sail. Un jour, après sa nomination à la tête du CCM, il m’a dit : ‘Tu continues et tu es le seul qui le fais au le FIFM (Festival international du film de Marrakech). Je lui ai répondu que ça n’engageait que moi et que je refusais d’aller dans un festival pour être humilié. Il m’a répondu : ‘Fais attention au retour de manivelle, tu es en train de jouer avec le feu, Sa Majesté ne va pas aimer et compte sur moi pour lui transmettre le message.’ J’ai rétorqué que ses menaces ne me faisaient pas peur. Le 24 avril 2012, j’ai écrit une lettre au roi en disant qu’on m’empêchait de faire mes films et que, depuis la menace de Sail, tous mes projets étaient systématiquement rejetés. J’ai attendu pendant deux longues années une réponse, en vain. Le 16 mars 2014, mon épouse et productrice Marisa, rendait l’âme sur une table d’opération, Allah yerhemha.»

«Je tente ma chance à Barcelone»

Et puis, la décision douloureuse. Hakim Noury choisit de prendre le large. Sérieusement contrarié, Il atterrit dans une proche contrée : «Juste après l’enterrement de ma femme, j’ai vendu ma maison et me suis exilé à Malaga. C’étaient les pires moments de ma vie. Une fois installé, j’ai pris une imprésario, offrant mes services d’acteur. Une idée conséquente puisque j’ai pu travailler dans 3 séries à succès. Malheureusement depuis bientôt 2 ans il n y a plus de tournages ici, à cause du Covid. Je viens de m’installer à Barcelone pour y tenter ma chance. C’est bien malheureux qu’à mon âge, à 69 ans, je sois obligé d’aller à l’aventure, en terre étrangère alors que dans mon pays mon fidèle public me réclame sans cesse. Mais bon, Alhamdou lillahi 3ala ayyati hal. Je suis profondément croyant et je sais que Dieu ne me laissera pas tomber.»

Le cinéaste n’entend pas se laisser abattre. Il revient à la charge avec de nouvelles idées : «Justement, je vais présenter un projet début janvier. Une comédie traitant des réseaux sociaux. Croisons les doigts pour qu’il bénéficie de l’aide, voilà presque 12 ans que mes projets sont refusés.» Atypique, Hakim Noury pourrait être assimilé à la boîte à gants d’une voiture, on n’y met de tout sauf des gants.


Anis HAJJAM







🔴 Top News