Derrière un physique vague, ondule un esprit espiègle, un tempérament enjoué. Auteur et interprète né, guitariste slide de premier rang, il est drogué à dosettes de blues. A ses débuts peut-être, mais cela a pris le temps de métastaser. Depuis sa petite ville de Middlesbrough (Yorkshire du Nord), il capte une radio américaine qui diffuse le blues. Il ressent crescendo et profondément la couleur musicale qu’il veut adopter. Après quelques coups d’essais au sein de formations locales, Chris Rea rejoint le groupe Magdalene, succédant au charismatique David Coverdale qui connait plus tard le succès en intégrant Deep Purple et Whitesnake. Pas de contrat pour Magdalene, Rea claque la porte et s’engage dans une carrière solo, signant dans la foulée avec la maison de disques Magnet. En 1978, il réalise l’album « Whatever Happened to Benny Santini ? » qui referme le single « Fool (If You Think It’s Over) », disque d’or aux Etats-Unis. Le titre de l’opus est une pique envoyée à une antérieure maison de disques qui lui propose de se faire appeler Benny Santini à la place de Chris Rea. Refus immédiat et sans appel de l’artiste, de mère irlandaise et de père italien. Le guitariste aura sorti 25 albums sur trois décennies. Dans le lot, des hommages à ses filles. En 1985, deux ans après la naissance de l’aînée, le Britannique lui dédie la chanson « Josephine » qu’il interprète toujours avec la même émotion. « Quand je suis sur scène, je ferme les yeux en chantant et je me retrouve toujours à l’endroit où j’ai écrit la chanson », confie-t-il à Songfacts. En 1993, c’est au tour de la cadette Julia d’avoir sa propre chanson. Le titre atteint la 18e place des charts au Royaume-Uni et s’y installe pendant 5 semaines. 0n dénombre à Chris Rea huit albums dans les années 1980. Les titres « Josephine » (1985) et « On the Beach » (1986) sont des hymnes. La compilation « New Light Through Old Windows » (1988) renferme les pièces incontournables d’alors. L’album qui suit propulse l’auteur-compositeur-interprète au sommet de sa carrière : « The Road to Hell » est no 1 en Angleterre. Cette popularité a du mal traverser l’Atlantique où ses chansons connaissent des résultats sans éclats.
« Nothing to Fear »
En novembre 1992, paraît « God’s Great Banana Skin » que Rea omet « après réflexion » de le sortir aux Etas-Unis mais rattrapé l’année suivante sur l’édition américaine de « Espresso Logic ». L’album s’ouvre sur le parfait 9 minutes et 13 secondes, « Nothing to Fear », qui glisse calmement à la 16e place des charts-singles du Royaume-Uni. The Guardian écrit alors : « Dans le monde douillet du rock adulte chauffé par le chauffage central, Chris Rea nous rappelle qu’il joue de la guitare slide avec aisance et crée des paysages d’accords massifs qui complètent parfaitement le timbre rauque et grave de sa voix. » Le clip est tourné dans le sud marocain mais Chris Rea ne fait pas le déplacement. Quelques semaines avant la sortie de « God’s Great… », le musicien est interviewé au studio au Mill Recording Studio à Cookham dans le Berkshire par John Pidgeon, auteur-compositeur rock devenu dirigeant de radio. Voilà ce que dit Rea de « Nothing to Fear » à travers quelques passages : « ‘’Nothing to Fear’’ est une chanson qui parle d’un Européen accueillant des musulmans. Le message principal est que si on leur montre qu’ils n’ont rien à craindre, il n’y aura aucun problème. La chanson les invite à faire preuve de paix. C’est le type de chansons qui peuvent parfois, mal interprétées, me causer des ennuis, car j’aime les doubles sens de ce genre de choses. J’ai toujours été un grand amateur de poésie. La chanson s’applique aussi à un homme et une femme, ou à toute relation, à ses débuts. Elle dit en substance qu’il faut se montrer mutuellement qu’il n’y a rien à craindre (...) Beaucoup d’Occidentaux ont tendance à faire croire qu’il y a toujours quelqu’un qui s’y oppose. Vous savez, avant, c’étaient les Russes, on avait tous peur des Russes, puis les Chinois, et maintenant, depuis un an, c’est… l’arrivée des musulmans. On voit des documentaires très sensationnalistes à la télé. C’est surtout un assemblage d’images sensationnalistes. Sans ces images, je me demande s’ils auraient vraiment fait ce documentaire. Et puis, il y a l’autre aspect. Tous les musulmans que je connais sont des types formidables (…) Le morceau tel que vous l’entendez sur le disque est exactement comme on l’a enregistré, avec des tambours marocains et des percussions algériennes Je m’amusais aussi à expérimenter avec… une sorte de gammes nord-africaines à la guitare. Quelqu’un m’a fait remarquer que le son de la guitare slide commençait à ressembler davantage à celui d’un violon, et moins à celui du bottleneck blues habituel. Il y avait des inflexions qu’on ne retrouvait pas chez les autres guitaristes, et là… ça a fait tilt. On m’a demandé d’où ça venait, et honnêtement, je n’en avais aucune idée. C’est facile à deviner… si on a été fan de Ry Cooder à ses débuts, ça s’entend. Mais l’origine de cette utilisation soudaine des septièmes majeures restait assez mystérieuse, car en guitare slide, on ne les utilise quasiment jamais.
Et… les bémols et les dièses… Je ne sais pas d’où ça me venait, mais c’est comme ça que ça a commencé. » Après un cancer du pancréas, Chris Rea se promet de revenir aux racines du blues. Chose faite dès 2002 avec l’album « Dancing Down The Stony Road ». L’année suivante, il donne naissance à son propre label, Le Jazzee Blue, « afin de me libérer de la pression des maisons de disques et de leurs contraintes dans la création ». Il commence et termine mélancolique. Ainsi va la joie du blues.
























