Un torturé qui aime la vie qui, elle, le lui rend mal.
Il est parti le doux ombrageux, le coléreux constructif, le joyeux ténébreux. Avec lui, aucun pronostic n’est plausible. Capable de démarrer au quart de tour si on s’amuse à lui chatouiller la plante du pied, il est aussi disposé à faire rêver, à être d’une grande drôlerie. De l’esprit, il en a à revendre, à partager, à inculquer. Ses célèbres éclats de rires, ses formules toutes faites et récurrentes sont d’une redoutable contagion. Driss El Khoury est ce torturé qui aime la vie qui, elle, le lui rend mal.
Ses moments de bonheur, il les crée, les enfante pour ensuite les proposer à l’adoption: des textes journalistiques ou littéraires qui sentent intensément le vécu, le sien ou celui (nombreux) de ses modestes et humbles contemporains. El Khoury écrit comme il parle, parle comme il écrit. Ce qui n’est pas une mince performance. Y aller sans des armes aiguisées dans la souffrance quotidienne où l’intellectualisme n’est qu’impropriété est une tentative de suicide aux énormes séquelles.
Comme ses amis Mohamed Zefzaf (son frère-ennemi) et Mohamed Choukri, Driss El Khoury cherche la force des mots dans la musicalité du récit, dans la fulgurance du conte. Avec un bémol : ses créations ne sont pas proposées au lecteur francophone. Aucune traduction, aucune. Et puis, il y a cet attachement au lieu, aux lieux. Chez lui, l’espace physique engendre l’espace imaginaire. Parfois avec fracas, souvent avec mélancolie.
Ni de droite ni de gauche
El Khoury, ce nom d’emprunt, a une histoire. Comme le véritable patronyme de l’écrivain-journaliste, natif du quartier casablancais Derb Ghallef, El Guass. Ce dernier est né d’une oeuvre cinématographique. Le frère aîné et protecteur du jeune Driss assiste à la projection d’un film égyptien où l’un des personnages secondaires, un gaillard démesurément bien bâti, porte le nom d’El Guass.
Fasciné par le physique de ce presque figurant, il veut lui rendre hommage. L’occasion pour le faire ne tarde pas à pointer du nez. A l’établissement de l’état civil, il propose le nom fictif de l’idole d’une projection. Adjugé ! Naît alors la famille El Guass. Driss, ultérieurement El Khoury, fait fonctionner plusieurs pseudonymes notamment sur les colonnes du quotidien «Al Alam» où il débute comme correcteur après des écrits sommaires dans la revue «Al Atlas Al Moussaouara».
Il se fait appeler, entre autres, Driss Allal Daoudi en référence au patelin de ses origines Sidi Ben Daoud situé à proximité de la ville de Settat, Allal étant le prénom de son père. Ce même nom d’emprunt, il l’utilise pour ses contributions au magazine «Afaq» édité par l’Union des écrivains du Maroc qu’il rejoint en 1968. Dans ces premiers pas créatifs, sa tendre et douloureuse jeunesse est omniprésente.
Enfant, Driss est obligé de quitter l’école faute de moyens d’accompagnement. Seulement, il décide de ne pas lâcher prise. Il se met à lire tout ce qui lui tombe entre les mains : histoires illustrées, articles de presse, livres en tous genres… Jusqu’à croiser Jibrane Khalil Jibrane où le nom «Khoury» apparaît. Gardé dans un coin de sa bouillonnante tête, il finit par le sortir comme ultime pseudonyme pour la suite de sa collaboration dans «Al Alam». Mais, quelques gardiens du temple d’Allal El Fassi ne voient pas cela d’un bon oeil : «Un nom libano-chrétien ? Pas question.» Deux des grands penseurs du parti s’opposent fermement à cette «hérésie»: l’écrivain Abdelmajid Benjelloun et le non moins écrivain, homme politique et directeur du journal Abdelkrim Ghallab. Seul l’intrépide responsable des éditions du quotidien, Abdeljabbar Sehimi, appuie le choix d’El Guass-Allal Daoudi.
Ainsi, s’installe pour l’éternité la signature Driss El Khoury. Le journaliste littéraire quitte ensuite «Al Alam» pour rejoindre «Al Mouharir» qui devient «Al Ittihad Al Ichtiraqui». Quelque chose cloche chez ce grand adepte de la médisance qu’il revendique à longueur de ses délicieuses piques ? Certainement pas, puisqu’il n’est ni de droite ni de gauche. Il est du peuple.
Narrateur d’exception
Driss El Khoury est un océan de création, une plume qui dépeint heurs et malheurs, une star incontestée aussi bien au Maroc que dans le monde arabe. Avant de délaisser la poésie qu’il embrasse tôt, il édite en 1973 l’inoubliable recueil de nouvelles «7ouzn fi ra2ss wa fi l9alb». Suivent chez ce prolifique tempéré de futurs déterminants ouvrages de l’univers littéraire marocain, entre cinéma, théâtre, musique (l’écrivain est un ancien percussionniste), arts plastiques, littérature, social et politique : «9ariban mina ennass… ba3idan 3nh», «Ka2ss 7ayati, kitabat fi tachkil», «Fada2at, intiba3at fi lmakane», «Min chourfati l3ayn», «Tetyak assiassi»…
Avec un talent exceptionnel dans la narration. Des textes qui prennent parfois à la gorge, telle la nouvelle «Ayam Khadija Al Bidaouia», cette ouvrière d’usine qui vit pour son travail jusqu’à oublier de vivre. Ses jours se suivent et se ressemblent. Un jour, elle se rend compte qu’elle a dépassé la trentaine avec la désolation comme unique alliée. Elle dit à sa mère vouloir rejoindre une troupe de chikhate parce que : «Que veux-tu que je fasse à mon âge ?» Driss El Khoury s’adresse à lui-même, il y a huit ans, dans un texte testamentaire lourd d’amertume.
Il se ferme ainsi: «Tu es sans conteste un écrivain présumé. Dis-le à ceux qui cherchent ‘l’éternité’. Chacun d’entre nous est un écrivain présumé. Il se tient entre la vérité et la prétention, entre la fiction et la réalité, entre l’abstrait et le concret. Entre toi et moi, tu n’es qu’un simple écrivain présumé qui t’es fait toi-même. Hé misérable, ta fin est arrivée.» Maintenant que tu t’es retiré dans tes nouveaux appartements, profite bien de la paix qui t’est enfin accordée.
Ses moments de bonheur, il les crée, les enfante pour ensuite les proposer à l’adoption: des textes journalistiques ou littéraires qui sentent intensément le vécu, le sien ou celui (nombreux) de ses modestes et humbles contemporains. El Khoury écrit comme il parle, parle comme il écrit. Ce qui n’est pas une mince performance. Y aller sans des armes aiguisées dans la souffrance quotidienne où l’intellectualisme n’est qu’impropriété est une tentative de suicide aux énormes séquelles.
Comme ses amis Mohamed Zefzaf (son frère-ennemi) et Mohamed Choukri, Driss El Khoury cherche la force des mots dans la musicalité du récit, dans la fulgurance du conte. Avec un bémol : ses créations ne sont pas proposées au lecteur francophone. Aucune traduction, aucune. Et puis, il y a cet attachement au lieu, aux lieux. Chez lui, l’espace physique engendre l’espace imaginaire. Parfois avec fracas, souvent avec mélancolie.
Ni de droite ni de gauche
El Khoury, ce nom d’emprunt, a une histoire. Comme le véritable patronyme de l’écrivain-journaliste, natif du quartier casablancais Derb Ghallef, El Guass. Ce dernier est né d’une oeuvre cinématographique. Le frère aîné et protecteur du jeune Driss assiste à la projection d’un film égyptien où l’un des personnages secondaires, un gaillard démesurément bien bâti, porte le nom d’El Guass.
Fasciné par le physique de ce presque figurant, il veut lui rendre hommage. L’occasion pour le faire ne tarde pas à pointer du nez. A l’établissement de l’état civil, il propose le nom fictif de l’idole d’une projection. Adjugé ! Naît alors la famille El Guass. Driss, ultérieurement El Khoury, fait fonctionner plusieurs pseudonymes notamment sur les colonnes du quotidien «Al Alam» où il débute comme correcteur après des écrits sommaires dans la revue «Al Atlas Al Moussaouara».
Il se fait appeler, entre autres, Driss Allal Daoudi en référence au patelin de ses origines Sidi Ben Daoud situé à proximité de la ville de Settat, Allal étant le prénom de son père. Ce même nom d’emprunt, il l’utilise pour ses contributions au magazine «Afaq» édité par l’Union des écrivains du Maroc qu’il rejoint en 1968. Dans ces premiers pas créatifs, sa tendre et douloureuse jeunesse est omniprésente.
Enfant, Driss est obligé de quitter l’école faute de moyens d’accompagnement. Seulement, il décide de ne pas lâcher prise. Il se met à lire tout ce qui lui tombe entre les mains : histoires illustrées, articles de presse, livres en tous genres… Jusqu’à croiser Jibrane Khalil Jibrane où le nom «Khoury» apparaît. Gardé dans un coin de sa bouillonnante tête, il finit par le sortir comme ultime pseudonyme pour la suite de sa collaboration dans «Al Alam». Mais, quelques gardiens du temple d’Allal El Fassi ne voient pas cela d’un bon oeil : «Un nom libano-chrétien ? Pas question.» Deux des grands penseurs du parti s’opposent fermement à cette «hérésie»: l’écrivain Abdelmajid Benjelloun et le non moins écrivain, homme politique et directeur du journal Abdelkrim Ghallab. Seul l’intrépide responsable des éditions du quotidien, Abdeljabbar Sehimi, appuie le choix d’El Guass-Allal Daoudi.
Ainsi, s’installe pour l’éternité la signature Driss El Khoury. Le journaliste littéraire quitte ensuite «Al Alam» pour rejoindre «Al Mouharir» qui devient «Al Ittihad Al Ichtiraqui». Quelque chose cloche chez ce grand adepte de la médisance qu’il revendique à longueur de ses délicieuses piques ? Certainement pas, puisqu’il n’est ni de droite ni de gauche. Il est du peuple.
Narrateur d’exception
Driss El Khoury est un océan de création, une plume qui dépeint heurs et malheurs, une star incontestée aussi bien au Maroc que dans le monde arabe. Avant de délaisser la poésie qu’il embrasse tôt, il édite en 1973 l’inoubliable recueil de nouvelles «7ouzn fi ra2ss wa fi l9alb». Suivent chez ce prolifique tempéré de futurs déterminants ouvrages de l’univers littéraire marocain, entre cinéma, théâtre, musique (l’écrivain est un ancien percussionniste), arts plastiques, littérature, social et politique : «9ariban mina ennass… ba3idan 3nh», «Ka2ss 7ayati, kitabat fi tachkil», «Fada2at, intiba3at fi lmakane», «Min chourfati l3ayn», «Tetyak assiassi»…
Avec un talent exceptionnel dans la narration. Des textes qui prennent parfois à la gorge, telle la nouvelle «Ayam Khadija Al Bidaouia», cette ouvrière d’usine qui vit pour son travail jusqu’à oublier de vivre. Ses jours se suivent et se ressemblent. Un jour, elle se rend compte qu’elle a dépassé la trentaine avec la désolation comme unique alliée. Elle dit à sa mère vouloir rejoindre une troupe de chikhate parce que : «Que veux-tu que je fasse à mon âge ?» Driss El Khoury s’adresse à lui-même, il y a huit ans, dans un texte testamentaire lourd d’amertume.
Il se ferme ainsi: «Tu es sans conteste un écrivain présumé. Dis-le à ceux qui cherchent ‘l’éternité’. Chacun d’entre nous est un écrivain présumé. Il se tient entre la vérité et la prétention, entre la fiction et la réalité, entre l’abstrait et le concret. Entre toi et moi, tu n’es qu’un simple écrivain présumé qui t’es fait toi-même. Hé misérable, ta fin est arrivée.» Maintenant que tu t’es retiré dans tes nouveaux appartements, profite bien de la paix qui t’est enfin accordée.
Anis HAJJAM