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Culture

Magazine : Abderraouf, une belle histoire d’humour


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 8 Janvier 2023

L’artiste autodidacte traverse les décennies en s’amusant. Avec sérieux. Ses fans se comptent par centaines de milliers, au Maroc comme à l’étranger. Abderrahim Tounsi s’en va le 2 janvier à 86 ans. Sa vie renferme des moments de joie et de mélancolie. Le propre d’un clown qui prend sur lui pour rendre l’autre heureux. Respect et amour.



I cône de l’humour au Maroc à l’instar du duo Abdeljabbar Louzir et Mohamed Belkass, Abderrahim Tounsi aura accompagné plusieurs générations, fait rire aux larmes jeunes et moins jeunes, fédéré autour d’un personnage à la fausse stupidité, déployé une intelligence lisible entre de fines et insoupçonnées lignes. Sa seule apparition suscite l’amusement, avant même de piper mot. 

Son accoutrement entre jabador, saroual bariolé, tarbouche-chachia et cet aspect clown sorti de nulle part suffisent à faire chavirer l’assistance. La voix qu’il choisit nasillarde à l’envi enveloppe des textes parlant à tous, aux autres aussi. Ses thèmes, à priori aériens, n’excluent pas de sérieux engagements sociopolitiques.

Une attitude qu’il traîne depuis la première moitié des années cinquante lorsqu’il rejoint, à peine adulte, le mouvement opposé au protectorat et goûte pendant près d’une année aux geôles du colonisateur. Pourtant, c’est dans ces espaces de privations et de promiscuité qu’il s’essaie à l’humour en s’associant à une troupe d’acteurs en gestation, histoire d’enquiquiner les roumis et d’apporter un chouia de distraction au sein de la communauté carcérale.

L’art, la comédie, la SOMACA  
 
Le futur Abderraouf nait en 1936 d’un père tunisien à Asnou, une ruelle de la médina casablancaise. Il est le dernier d’une fratrie de quatre garçons. Turbulent, il est envoyé à l’âge de quatre ans vivre chez une tante mariée à un Algérien bigame.

Deux années plus tard, sa mère Milouda tombe à nouveau enceinte, d’une fille cette fois-ci. Mais à l’accouchement, elles rendent toutes les deux l’âme. Abderrahim, peiné, est inscrit au msid puis à une école primaire qu’il cesse de fréquenter lorsqu’il entend une maîtresse injurier les Marocains dans leur ensemble. Une fois repris par son papa, il retrouve le chemin de l’apprentissage scolaire. 

Il tombe amoureux de la langue française. Après la case prison, Abderrahim se cherche un boulot. « Mon premier métier a été coursier. J’ai travaillé ensuite au cimetière comme conservateur. C’est moi qui donnais le numéro des tombes. Au cimetière Chouhada, je n’avais pas le droit de m’absenter. Je devais être là à tout moment, en cas d’inhumation. 

A l’époque, je n’étais pas marié mais je connaissais Khadija, ma future femme. Nous adhésions au même parti et donc aux mêmes convictions. J’ai menti au directeur du cimetière en lui disant que j’étais marié afin d’avoir un logement gratuit. Sans moyen, nous nous sommes installés et mariés », relate l’artiste en 2017 sur les colonnes du magazine Clin d’Œil. 

Dans la foulée, au début des années soixante, Abderrahim Tounsi réfélichit à son avenir, à l’art, au théâtre, à la comédie, rejoignant plus tard la société automobile SOMACA. Il raconte : « A l’école, j’avais un copain qui faisait beaucoup d’imbécilités sans le savoir et c’est indirectement lui qui m’a inspiré. Alors que je travaillais encore au cimetière, des amis m’ont proposé de les accompagner dans un spectacle. J’ai accepté à condition de pouvoir être de retour le soir même pour mon travail.

J’étais encore Tunisien et il ne fallait pas que je fasse d’impair. Un sac de costumes était resté dans ma voiture. Après quelques mois, l’ai ouvert et j’ai essayé les vêtements qui s’y trouvaient. En me regardant dans le reflet de la vitre de l’auto, je me suis mis à chercher si je pouvais mimer quelqu’un. J’ai trouvé une voix nasillarde comique qui me convenait bien et j’ai commencé à imiter devant le miroir mon ancien camarade de classe. Abderraouf était né ! ».

Une tournée, 163 villes
 
S’ensuit un solide coup de pouce. Mohamed Belkass assiste à l’une des représentations d’Abderraouf et de ses deux compagnons sur scène. Le compère d’Abdejabbar Louzir est tellement sous le charme que le trio l’entend pousser des rires de sa voix inimitable du fond de la salle. 

Un honneur pour Abderraouf et ses comparses. Belkass les rejoint dans les coulisses, les félicite et leur propose de les introduire à l’unique chaîne de télévision du pays de l’époque. 

Ce qui se fait dans la douleur avant de se solder par un show hebdomadaire sur la défunte RTM. « A l’époque, je travaillais toujours à la SOMACA et j’ai dû donc  fonder une société de production de spectacles pour ma troupe afin de jouer à travers tout le Maroc…

Et le prince Moulay Abdallah m’a apporté tout son soutien ! J’ai quitté la SOMACA en 1971. Je gagnais 500 dirhams. Je n’étais pas assez disponible pour exercer sur scène et mes copains, eux, n’avaient pas les moyens de subvenir à leurs besoins. Nous avons décidé de partager nos cachets et nous nous sommes produits dans 163 villes du Maroc. Avec ma société de production, je devais louer les salles et c’était très difficile. Nous devions tout faire. 

Nous perdions de l’argent parce que nous ne voulions pas mettre les places très chères. En fait, nous souhaitions que les pauvres puissent aussi venir nous voir. Je ne dis pas que je fais rire les gens ! Je ne fais qu’essayer. Mon argent, ma richesse sont les éclats de rire des gens. En fonction de la pièce créée, je jouais avec deux ou trois partenaires. » Abderrahim Tounsi touche également au cinéma, avec des films comme Le Chauffeur, Majid, La bicyclette de Ba Larbi et Ammi. Il est nommé meilleur humoriste marocain du XXe siècle par la Fondation des Nuits de l’humour arabe à Anvers en 2011. Adieu clown classieux.

Anis HAJJAM



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