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Culture

MAGAZINE : Abdelhadi Belkhayat, la vie aux chants


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 5 Octobre 2025

A 85 ans, le chanteur essaie d’oublier son passé et le public essaie de s’en souvenir encore et encore. Avec une santé nonchalante, il prie continuellement Dieu et invoque son pardon. Dans son exploitation agricole non loin de Casablanca, il reçoit depuis des années son nouveau public. Retiré de la scène musicale depuis 2012, il vit pleinement sa spiritualité et tente de transmettre son nouveau mode de vie.



S’il ne chante plus, il continue à donner de la voix autrement. Avec conviction comme pour tout ce qu’il entreprend dans son parcours d’homme à facettes multiples. Il le confie : « J’ai chanté l’amour, la douleur, la vie… Puis, un jour, j’ai compris que le silence pouvait être le chant le plus vrai. Quand on se retire, ce n’est pas pour fuir, mais pour écouter ce que la musique ne peut plus dire. » Ah, ce silence qui fait de nous tous des chanteurs… Abdelhadi Belkhayat parle, sa carrière durant, à un large public, à tous les publics. Parmi eux, ceux qui aiment la vie palpitante, ceux qui s’évaporent lorsqu’il fait preuve d’une maestria envoutante, ceux qui ne contaminent pas encore par leur proximité avec la prière débordante. En parcourant quelques écrits dédiés à sa personne et à son art, on tombe sur cet hommage joliment amené : « Figure emblématique de la musique marocaine, Abdelhadi Belkhayat incarne à la fois la grandeur artistique et la profondeur spirituelle. De ses débuts à Fès jusqu’à son retrait volontaire de la scène, il a su marquer des générations par sa voix grave et enveloppante, son élégance musicale et son intégrité personnelle, l’héritage qu’il lègue au patrimoine culturel marocain. Un homme dont la discrétion n’a fait que renforcer la résonance de ses chants (…) Les années 60 à 80 constituent l’âge d’or d’Abdelhadi Belkhayat. Il incarne l’élégance vocale et l’élévation artistique, dans un Maroc en pleine mutation. Sa voix, profonde, enveloppante, au vibrato maîtrisé, devient la bande-son de toute une génération (…) Abdelhadi Belkhayat, c’est la majesté, la gravité, la profondeur émotionnelle. Sa voix grave et posée, presque liturgique par moments, en fait un interprète de l’âme, un chanteur de l’intériorité, de la souffrance, de l’amour résigné, du silence qui parle plus que les mots. » Le chanteur vit alors la nuit et essaie de se reposer le jour. Non pas pour ses engagements nocturnes hors grand public et caméras, mais pour accessoirement flairer les bons plans. A une période où Samira Bensaïd boucle son premier séjour en Egypte, elle est attendu dans les studios de la RTM pour l’enregistrement d’une chanson écrite par Hassan Kadmiri. 

La séance avec la jeune capricieuse est pénible aussi bien pour le compositeur que pour l’orchestre. Kadmiri, furieux, claque la porte. A la sortie des locaux de la RTM se tient Abdelhadi Belkhayat qui interpelle l’homme aux cheveux dressés : « Alors maître, comment s’est passé l’enregistrement ? » Bref silence avant l’éclat de Kadmiri : « Pas d’enregistrement ! Et puis, j’en ai marre des toquades de ces jeunes ! Je lui retire la chanson. Si tu la veux, tu n’as qu’à venir à Casablanca l’apprendre. » Aubaine inespérée pour Belkhayat qui a vent de ce projet par son ami Ali Haddani auteur des paroles de ce futur tube, « Matakchi Biya ».
 
Retrait en deux temps

La playlist que passe à la postérité le grand chanteur forme une suite de succès d’une imposante et rare qualité. On en cite avec générosité : Ya El Bouhali, Kitar Al Hayat, Matakchi Biya, Ya Bent Ennass, Kif ydir Ya Sidi, Sannara, Al Kamar Al Ahmar, Al Mounfarija, Jorh Qdim, Mamennek Zouj, Ya Dak Al Inssane, La Tgoulich Nsani, Ayadhounou, Al Ams Al Qarib, Achchati’, Ya Mahboubi, Koune Aâla Bal, Damaât Lefraq, Sbar Tkada, Awam, Irhamini, Houbak Mouhal. Une carrière aussi dense se solde par un retrait effectué en deux temps. Le premier est abrégé suite à une entrevue avec le messager Driss Basri et le second qui ne risque pas de connaître de rebondissement. Il en donne la preuve exceptionnellement en 2015 lorsqu’il « enchante » de spiritualité le public du Théâtre Mohammed V de Rabat à l’occasion de la 14e édition du festival Mawazine et Rythmes du Monde. Un récital composé de chants spirituels, de poésies religieuses et d’invocations soufies, des chansons dédiées aux louanges à Dieu et aux éloges à son Prophète, puisées dans un répertoire mystique influencé par les psalmodies coraniques. Riche programme concocté par celui qui « un jour, a compris que le silence pouvait être le chant le plus vrai ». Il est loin le temps où Abdelhadi belkhayat multiplie les collaborations avec des auteurs comme Ahmed Taïeb El Alj, Abderrafiî Jaouhari et Ali Haddani, ainsi que des compositeurs de l’empreinte d’Abdessalam Amer, Abderrahim Essakat, Abdelkader Wahbi, Abdelkader Errachidi. En somme, ceux qui contribuent à populariser la facette classique et romantique du chanteur. Ténor classique et intemporel, il devient avec le temps la coqueluche de toute une audience maghrébine et au-delà. Ses chansons sont transmises de génération en génération avec le même engouement. 

Elles ne comptent apparemment pas baisser pavillon. Le chanteur et sporadiquement acteur, notamment sous la direction du réalisateur Abdallah Mesbahi (« Silence sens interdit », 1973 et « Où cachez-vous le soleil? », 1979 où il partage l’affiche avec Abdelwahab Doukkali, deux films entièrement tournés en Egypte), doit à ses débuts, après une audition concluante à la radio, faire face à des pyramides de la taille de Maâti Belkacem, Brahim Alami, Mohamed Fouiteh. 

La suite, on la connaît, entendue et… regrettée. Mais Abdelhadi Belkhayat restera cette voix aux fluctuations magiques.
 
Anis HAJJAM



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