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Culture

Littérature : Jorge Luis Borges, l’écrivain dans son labyrinthe


Rédigé par Abdallah BENSMAÏN le Mercredi 29 Septembre 2021

Lire Borges, c’est faire l’expérience du labyrinthe… l’angoisse en moins. Le labyrinthe est physique à travers l’écriture, mental dans l’appréhension temporelle du récit, du vécu des personnages. Une esthétique où l’incertitude n’est jamais le doute.



Lire Borges comme il écrit pour dire l’incertain… est-ce possible ? Celui qui disait « Il n’est pas nécessaire de construire un labyrinthe quand l’Univers déjà en est un », s’ingénie pourtant à le dessiner par le récit, poussant plus loin les limites de la perception du monde : « Personne ne peut savoir si le monde est fantastique ou réel, et non plus s’il existe une différence entre rêver et vivre ».

Dans « Les ruines circulaires », il est écrit ainsi que « dans le rêve de l’homme qui rêvait, le rêve s’éveilla », un récit dans Fictions qui se termine (sans fin !) par cette phrase : Avec soulagement, avec humiliation, avec terreur, il comprit que lui aussi était une apparence, qu’un autre était en train de le rêver ».

Moins que de sortir du labyrinthe de cette écriture avec des certitudes, rassuré et libéré de l’angoisse de celui qui avance pour revenir à son point de départ, au mieux sans savoir réellement où il va, vers quel lieu diriger ses pas, avec la certitude de la sortie au bout du chemin, l’écriture de « l’aveugle le plus célèbre depuis Homère » avance à tâtons, revient souvent en arrière mais sans jamais emprunter le même chemin.

Dans cette esthétique du flottement de l’écriture… et de la lecture, il n’est pas nécessairement approprié de parler de circularité : les chemins empruntés ne sont jamais les mêmes, des variations aussi minimes soient-elles font penser au mouvement du yoyo qui revient à son point de départ sans emprunter une trajectoire stricte et identique et à l’envers, en fait à reculons !

Dans Essai d’autobiographie, cette incertitude s’impose dès l’entame du récit, supposé d’une vie : « Je ne saurais dire si mes premiers souvenirs remontent à la rive orientale ou à la rive occidentale du lent et boueux fleuve de la Plata, à Montevideo… ou à Buenos Aires où je suis né ». Cette incertitude n’est pas motif à silence. Elle se donne comme point d’appui à des développements linéaires mais sinueux du récit : le lecteur a bien une entrée et une sortie, un début et une fin mais du paysage traversé il n’aura retenu aucune unité, au sens de finalité du récit sinon celle d’une déconstruction insidieuse et fatale des certitudes qui le portent à travers le récit.

Le labyrinthe est physique et temporel

Le passé comme point de repère a même valeur que l’avenir : celui-ci doit advenir comme le fit le passé. Il est le point de départ d’autres bifurcations, en une sorte de point d’origine comme a pu l’être le passé. Le futur est possible comme a pu l’être le passé. « Le temps bifurque perpétuellement vers d’innombrables futurs ». Et c’est en cela que le labyrinthe n’est pas physique mais temporel ! Dans « Les jardins qui bifurquent », il est écrit : « Je pensais à un labyrinthe de labyrinthes, à un sinueux labyrinthe croissant qui embrasserait le passé et l’avenir », avec une sorte d’éternité pour horizon, dans lequel un « mort » pourra être rencontré « vivant » ultérieurement, comme dans l’oeuvre de Ts’ui Pén. Ts’ui Pén, « Gouverneur de sa province natale, docte en astronomie, en astrologie et dans l’interprétation inlassable des livres canoniques, joueur d’échecs, fameux poète et calligraphe » avait abandonné le pouvoir pour se consacrer à l’écriture d’un livre et d’un labyrinthe, sans que personne pensât qu’il s’agissait d’un seul et unique ouvrage, le livre et le labyrinthe.

Dans « Les deux rois et les deux labyrinthes », le roi de Babylone fait construire un labyrinthe dans lequel il fit entrer un roi arabe qui lui rendait visite. Il en trouve la sortie grâce à Dieu qu’il appela à son secours. Rentré en Arabie, ce roi décide de se venger, met à feu et à sang les royaumes de Babylone, capture le roi, l’attache au dos d’un chameau, l’emmène dans le désert et lui dit : « à Babylone tu as voulu me perdre dans un labyrinthe de bronze aux innombrables escaliers, murs et portes. Maintenant, le Tout-Puissant a voulu que je te montre le mien, où il n’y a ni escaliers à gravir, ni portes à forcer, ni murs qui empêchent de passer ».

Le désert est métaphore de l’oeuvre de Borges lui-même qui cherche à travers elle à créer son propre labyrinthe qui aurait « la complexité modeste et secrète » du désert dans lequel le lecteur peut avancer librement, sans murs - ces simulacres de repères ! - pour guider ses tâtonnements… vers son point de départ (un peu à la Sindbad des 1001 Nuits où il est écrit que « chaque voyageur doit partir vers son lieu de départ »), un point de départ dont il n’a, par ailleurs, aucune certitude, Borges s’évertuant à en faire disparaître la réalité qui, peut-être, n’a, d’ailleurs, jamais existé.

Abdallah BENSMAÏN







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