L'Opinion Maroc - Actuali
Consulter
GRATUITEMENT
notre journal
facebook
twitter
youtube
linkedin
instagram
search



Actu Maroc

Interview avec Mohamed Elfatih Saeed : « Washington peut aider le Maroc à raffermir son modèle agricole »


Rédigé par Anass MACHLOUKH Mercredi 10 Août 2022

Senior advisor dans les partenariats stratégiques, Mohammed Saeed nous parle des perspectives de la coopération agricole entre le Maroc et les Etats-Unis et la place du Royaume dans la nouvelle politique africaine de Washington.



Mohamed Elfatih Saeed, Senior advisor dans les partenariats stratégiques. Ph : Mehdi Moussahim
Mohamed Elfatih Saeed, Senior advisor dans les partenariats stratégiques. Ph : Mehdi Moussahim
- Vous avez participé au Sommet des affaires à Marrakech. Quel rôle joue votre Bureau de conseil dans la détection d’opportunités d’affaires entre les investisseurs américains et leurs homologues africains ?

- Notre Bureau a une longue expérience dans ce domaine et a une bonne connaissance des subtilités des marchés africains vu qu’il est fondé par des ex-ambassadeurs ayant été affectés en Afrique. Notre mission est simple : arranger des rencontres, rapprocher les points de vue, informer et établir des partenariats. Personnellement, en participant au Sommet de Marrakech, j’avais pour mission de déceler les besoins des pays africains et évaluer leur potentiel en termes d’attractivité. Tout cela pour accompagner les capitaux américains en destination d’Afrique.


- Quid du Maroc ?

- Je puis vous dire que je connais assez bien le Maroc que j’ai visité plusieurs fois sachant que je travaille beaucoup sur les investissements relatifs à l’agriculture. Le Maroc est assez préparé à tous les niveaux pour abriter les IDE américains dans la mesure où le pays s’est doté d’infrastructures gigantesques et a bien développé son climat des affaires. J’ajoute que le Maroc offre de nouvelles opportunités au Sahara, qui seront nombreuses après la mise en place du port de Dakhla. Le plus important encore, c’est que le Royaume est connu pour être l’un des pays les plus stables politiquement dans le monde arabe et en Afrique. Sans doute, ce potentiel fait du pays une porte d’entrée incontestable vers le continent africain.


- Vous dites que le Maroc intéresse les investisseurs américains, quels sont les secteurs les plus attractifs pour ces derniers ?

- Je suis convaincu que le Maroc peut se servir des capitaux américains pour développer le “Made in Morocco”, et développer des produits avec des critères internationaux capables de se faire une place à la fois en Europe et aux Etats-Unis. Permettez-moi de parler plus sur la production des voitures électriques, où le Maroc a l’ambition d’être un leader régional. Il n’y a pas mieux que la technologie américaine dans ce domaine, le Maroc, bien évidemment, s’en servira pour développer davantage ce secteur, surtout qu’il dispose d’un grand potentiel d’énergies renouvelables.


- On vit une crise alimentaire sans précédent qui menace toute l’Afrique, y compris le Maroc, quels plus peuvent apporter les Etats- Unis au Maroc pour rendre l’agriculture plus résiliente face aux aléas climatiques et géopolitiques ?

- Il ne vous a pas échappé que les Etats-Unis sont l’un des pays agricoles les plus avancés dans le monde avec un potentiel, une expertise et une technologie, si j’ose dire, inégalables aussi bien dans les plantations de masse que dans les autres cultures. Le Maroc peut évidemment tirer bénéfice de la technologie américaine.

Prenons un exemple simple : le Maroc a souffert cette année d’une sécheresse sans précédent avec un niveau de stress hydrique alarmant qui menace aussi bien les réserves d’eau potable que les réserves d’irrigation. Le Royaume semble parier sur le dessalement comme source alternative. C’est un choix judicieux, les Etats-Unis ont une expérience considérable dans la transformation des eaux salées en eau propice à l’irrigation. En outre, le Maroc peut également travailler sur les puits de forage de grande profondeur au niveau des nappes phréatiques. Donc, j’estime que ce sont des aspects sur lesquels le Maroc et les Etats-Unis peuvent coopérer.


- Le Maroc dispose de certaines cultures à grande consommation d’eau, y a-t-il de nouvelles technologies qui peuvent en réduire l’ampleur ?

- En tant qu’observateur, je puis vous assurer que les technologies d’agriculture ont tellement évolué qu’il existe maintenant des procédés plus sophistiqués que le goutte-à-goutte. En effet, on peut désormais se servir des satellites pour faire des prévisions sur la pluviométrie, à cela s’ajoutent les nouvelles technologies de l’intelligence artificielle qui permettent même de détecter les zones d’eau. Je peux vous citer également les techniques de stockage que les Américains maîtrisent si bien. Donc, le Maroc a intérêt de tirer profit du savoir-faire américain sachant qu’il y a un potentiel de coopération énorme à exploiter. Pour ce faire, il faut parier davantage sur les partenariats privé-privé que sur la coopération interétatique.


- Vous avez pris part au Sommet de Marrakech, avez-vous réussi à établir des partenariats ?

- En réalité, le Sommet a connu une grande présence des représentants du secteur privé américain, il y avait également des Marocains. Ce genre de Sommet a vocation à faire tout simplement du business dans un schéma de “b to b”. Jusqu’à présent, en tant que représentant d’un cabinet de conseil, j’ai eu l’opportunité de faire des rencontres et de participer à des réunions. Il s’agit d’une première étape pour construire des projets communs.


- Le Maroc est le premier investisseur africain en Afrique de l’Ouest, les Etats-Unis avaient promis trois milliards de dollars pour soutenir des projets marocains en Afrique subsaharienne, peut-on s’attendre à des projets d’investissement communs ?

- Le Maroc est devenu un leader sur le marché d’Afrique subsaharienne. A travers sa compagnie aérienne et ses investissements bancaires et agricoles, le Maroc est en mesure de faire le trait d’union entre les Etats-Unis et l’Afrique de l’Ouest et être une passerelle ou un point de passage pour les investisseurs américains puisqu’il est en mesure de faciliter leur installation. Je n’écarte pas la possibilité de projets communs, surtout dans les secteurs des télécommunications, des minerais et dans le secteur bancaire.


- Quelle lecture géopolitique faites-vous du Sommet Etats-Unis/ Afrique à Marrakech ?

- Il est clair que la Chine a largement devancé les Etats-Unis en Afrique ces dernières décennies, ce qui a persuadé Washington à vouloir contrer l’influence chinoise sur le continent noir à travers de nouvelles alliances. C’est l’un des enjeux du Sommet de Marrakech. Donc, nous ne pouvons appréhender la démarche américaine et sa volonté de se rapprocher des pays africains sans l’inscrire dans le contexte de la rivalité montante entre la Chine et les Etats-Unis.


- Les Etats-Unis sont-ils prêts à proposer un projet aussi ambitieux que la Route de la Soie ?

- Il faut garder à l’esprit que les Chinois et les Américains ne procèdent pas de la même façon concernant la planification stratégique. Le mindset n’est pas le même. Force est de constater que la Chine est un régime à parti unique qui décide de tout tandis que les Etats-Unis sont un régime libéral où les choix stratégiques se font au gré du parti au pouvoir et conformément à la volonté du Congrès. Il est clair que l’Administration américaine a la volonté d’investir plus dans les pays africains, en témoigne l’annonce du fonds de 60 milliards de dollars destiné au développement, en plus du prochain Sommet qui va réunir les représentants du secteur privé.

À mon humble avis, cette politique dénote d’un virage dans la vision géostratégique américaine. Le Sommet de Marrakech l’a montré : les Américains se sont finalement décidés à faire du Business avec l’Afrique.



Recueillis par Anass MACHLOUKH


Un Fonds africain pour les investissements agricoles en gestation
 
“Actuellement, nous sommes en cours de préparation de ce fonds qui devrait être le fruit d’une association de plusieurs acteurs financiers impliqués en Afrique”, précise M. Saeed, qui insiste sur le fait qu’il s’agit d’un fonds purement privé et non pas étatique.

Selon notre interlocuteur, il est prévu au début de constituer le fonds sur la base d’un capital de 100 millions de dollars, avec l’ambition de le porter à 250 millions. Ce fonds a pour vocation de financer des projets agricoles en Afrique.

Si ce fonds est orienté spécifiquement vers l’Agriculture, c’est parce qu’il faut investir davantage dans ce secteur en Afrique qui dispose d’un potentiel important qui pourra répondre aux besoins alimentaires du continent. Il s’agit d’une idée américaine, mais le fonds reste ouvert aux pays africains qui peuvent y participer, nous explique M. Saeed, ajoutant que le Maroc pourrait y prendre part à son tour, via des investisseurs privés.