La campagne oléicole 2025-2026 marque un retournement pour la filière marocaine de l’huile d’olive. Après deux années consécutives de forte tension, caractérisées par une production réduite et une hausse marquée des prix, le marché a changé de configuration en quelques mois. La récolte atteint cette saison un niveau inédit à l’échelle nationale, modifiant les équilibres économiques du secteur et les repères des acteurs de la filière. Cette augmentation de l’offre s’est traduite par une baisse des prix sur l’ensemble du territoire. Le litre d’huile d’olive, dont le prix dépassait localement les 120 dirhams lors de la campagne 2023-2024, s’échange aujourd’hui en moyenne autour de 70 dirhams, avec des niveaux compris entre 50 et 80 dirhams selon les régions de production. La baisse atteint ainsi près de 42% par rapport au pic observé l’an dernier. Ce basculement intervient alors que la filière doit absorber des volumes nettement supérieurs à ceux des campagnes précédentes, dans un contexte où les coûts de production restent élevés et où les équilibres entre offre, prix et débouchés sont en recomposition.
Pluviométrie et PMV
Selon Rachid Benali, président de la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural (COMADER) et de la Fédération marocaine interprofessionnelle de l’olive (Interprolive), cette situation s’explique par une combinaison de facteurs précis. «Il y en a deux», résume-t-il. Le premier tient aux conditions climatiques observées au printemps dernier. Rachid Benali souligne qu’une bonne pluviométrie en mars et avril, période clé pour l’olivier, a joué un rôle déterminant dans la reprise de la production. Le second relève d’un effet différé des politiques agricoles menées au cours de la dernière décennie. «Toutes les plantations qui ont été effectuées pendant le Plan Maroc Vert (PMV), dans le cadre de son pilier II, avec plus de 240.000 hectares plantés, sont arrivées à l’âge adulte pour produire». Après avoir longtemps coïncidé avec des années de sécheresse, ces nouvelles plantations sont ainsi entrées en production au même moment, générant un afflux massif d’olives sur le marché national et contribuant directement au basculement observé cette saison.
Qualité et rendement
Autre fait marquant de cette campagne : la reprise de la production ne se limite pas à quelques bassins traditionnels, mais s’observe à l’échelle nationale. Rachid Benali souligne que, pour la première fois, la production est généralisée sur l’ensemble du territoire, une situation inédite pour la filière oléicole marocaine. Cette homogénéité tranche avec les campagnes précédentes, souvent marquées par de fortes disparités régionales entre zones de production. Elle n’efface toutefois pas les contraintes agronomiques persistantes, liées notamment aux conditions hydriques. Si la qualité des huiles produites est jugée bonne par les professionnels, les rendements à l’extraction restent limités dans de nombreuses zones. Le président d’Interprolive indique ainsi qu’une large part de la production n’a pas bénéficié d’apports en eau pendant plus de six mois. Dans ces conditions, précise-t-il, les cultures en bour affichent des rendements plutôt faibles, accentuant l’écart entre le volume d’olives récolté et la quantité d’huile effectivement extraite.
Export et prix
Par ailleurs, cette reprise généralisée se traduit par un déséquilibre entre production et consommation, sans pour autant exercer de pression supplémentaire sur le marché intérieur. Interrogé sur l’impact que pourraient avoir les exportations sur les prix locaux, Rachid Benali se montre catégorique. La consommation nationale d’huile d’olive est estimée à environ 140.000 tonnes par an, alors que la production de la campagne en cours dépasse les 200.000 tonnes. «Il y a largement de quoi faire», assure-t-il. Reste la question de la gestion de l’excédent et de sa conservation dans le temps, au-delà de la période de récolte et de commercialisation immédiate (voir article ci-contre). Dans ce contexte, l’exportation s’impose comme un débouché nécessaire pour absorber les volumes disponibles. «Il faut bien les exporter parce qu’on ne peut pas faire autrement», souligne le président d’Interprolive, évoquant un surplus de plusieurs dizaines de milliers de tonnes, sans remettre en cause, selon lui, l’équilibre du marché national ni inverser la dynamique actuelle des prix.
3 questions à Rachid Benali, président de Interprolive : « L’olivier reste un être vivant : Sans eau, il n’y a pas de production»
Président de la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural (COMADER) et de la Fédération marocaine interprofessionnelle de l’olive (Interprolive), Rachid Benali répond à nos questions.
- L’évolution des prix a-t-elle eu un impact sur les producteurs et les coopératives ?
- Oui, malheureusement, et de manière très négative, sur deux plans. D’abord, les prix sont retombés à des niveaux d’avant Covid. Aujourd’hui, les prix sont très bas, à des niveaux que l’on n’avait plus connus depuis une dizaine d’années, alors que les intrants ont fortement augmenté après la période Covid. Ensuite, le problème le plus grave, et pour lequel nous n’avons pas encore trouvé de solution, reste la main-d’œuvre. Elle est devenue rare et très coûteuse. À la récolte, lorsqu’on a une bonne production, le coût de la main d’œuvre se situe autour de 1,5 à 2 dirhams par kilo d’olives. Or, lorsque les prix de l’olive se situent entre 4,5 et 5 dirhams le kilo, cela signifie qu’environ un tiers du revenu part directement dans la seule opération de récolte. À ce niveau de charges, si les rendements ne sont pas élevés, le producteur ne couvre même pas ses coûts.
- La baisse des prix observée chez les producteurs se répercute-t-elle automatiquement sur les prix payés par les consommateurs ?
- Malheureusement, non, et ce n’est d’ailleurs pas propre à l’huile d’olive. Ce phénomène concerne plusieurs produits. Lorsqu’il y a une baisse au niveau de la production, ou chez l’agriculteur, cela ne se traduit pas automatiquement par une baisse chez le consommateur. Aujourd’hui encore, si vous allez dans les grandes surfaces, vous constatez des prix élevés par rapport à ce qui est payé à l’agriculteur. À titre d’exemple, lorsqu’on est sur un prix sortie unité de trituration autour de 40 dirhams le litre, on peut trouver l’huile sur la route entre 45 et 50 dirhams. En revanche, dans certaines grandes surfaces, les prix restent à 80, parfois 90 ou même 100 dirhams le litre. Ce sont des niveaux qui n’ont plus de lien avec les prix à la production…
- Après cette campagne exceptionnelle, peut-on espérer une stabilisation durable du marché de l’huile d’olive ?
- Non, il n’y a pas de stabilité durable dans ce secteur. Le marché de l’huile d’olive est très fluctuant et suit directement la logique de l’offre et de la demande à l’échelle internationale. Le premier producteur mondial, qui représente environ 50% de la production, c’est l’Espagne. Or, il y a deux ans, pendant deux années consécutives, les prix y ont été multipliés par trois, voire par quatre. Le litre d’huile se vendait alors à plus de 12 euros, parfois jusqu’à 15 euros. Aujourd’hui, les prix sont redevenus plus normaux, autour de 4,5 à 5 euros le litre. C’est un fonctionnement cyclique. De notre côté, il ne faut pas croire que les pluies récentes vont transformer durablement l’oléiculture. Nous n’avons pas assez d’eau pour irriguer l’ensemble des bassins de production, et certains territoires ne disposent d’aucune irrigation. Il m’est donc impossible de dire comment se déroulera la prochaine campagne. L’olivier reste un être vivant : sans eau, il n’y a pas de production.












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