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International

Entretien avec Dr Paul Kananura : Repenser les politiques et stratégies sécuritaires sur le continent


Rédigé par Wolondouka SIDIBE Lundi 29 Novembre 2021

Les récents évènements intervenus au Burkina Faso et au Mali quant à la présence des forces françaises pose avec acuité la délicate coordination ou cohabitation entre les troupes étrangères et la population locale. Manipulation ou incompréhension ? Toujours est-il que la sécurité en Afrique revient au-devant de la scène. Explications avec Paul Kananura, Président de l’Institut Mandela-Paris, Expert international en Géopolitique et Sécurité stratégique.



- Le trajet d’un convoi militaire français, qui faisait route vers le Mali, a été perturbé au Burkina Faso et au Niger. Quelle analyse faites-vous de ces incidents ?

- La sécurité au Sahel est une question primordiale tant pour les populations des pays de la région mais aussi du monde car cette partie de l’Afrique tend à devenir le nid du terrorisme international. Après une semaine de blocage par les populations en colère de Kaya au Burkina Faso, le convoi militaire français de ravitaillement a repris sa route vers le Niger avec pour destination Gao au Mali. Il a été encore chahuté et perturbé par les populations de Tera au Niger où des « infiltrés terroristes » ont provoqué l’extrême violence.

Par ces incidents, la jeunesse sahélienne exprime son mécontentement et exaspération de voir leurs pays sombrer dans le chaos chaque jour malgré la présence massive des armées du monde dans le Sahel. Ces manifestations sont liées à un manque de communication et à des informations erronées ou infondées. C’est aussi le fait d’une campagne de haine contre la France savamment orchestrée et l’arrogance d’une partie des diplomates français ne permet plus de faire face à la nouvelle donne de compétition géopolitique féroce des puissances en Afrique.


- On constate également que l’insécurité touche d’autres pays du continent. Comment l’expliquez-vous ?

- C’est un ensemble de conjonctions d’événements locaux et de géopolitique internationale qui sont à la base de l’insécurité grandissante que connait la Corne de l’Afrique. Après la Somalie, le Sud Soudan et le Soudan, le chaos politique et sécuritaire s’étend à l’Ethiopie et bientôt en Erythrée. La déstabilisation de cette région du continent préfigure l’implosion de l’Afrique car l’Afrique centrale est la prochaine cible avec trois pays dans la ligne de mire.


- Justement, la question sécuritaire a été au centre d’une visioconférence que l’Institut Mandela de Paris a organisé dernièrement en partenariat avec d’autres organismes. Pensez-vous que la sécurité est préoccupante aujourd’hui en Afrique ?

- Effectivement, la sécurité est dominante aujourd’hui au regard de ce que l’on voit dans les pays du G5 Sahel, du Lac Tchad et de la Corne de l’Afrique car sans sécurité, il n’y a point de développement et donc de paix. Comme le souligne le webinaire, il s’agit de repenser le système de défense et de sécurité collective du continent africain pour anticiper la nature hybride et éclectique des conflictualités et des insécurités en Afrique.

Pour nous, le temps de l’improvisation est révolu et nos Etats ont besoin d’outils d’analyse stratégique, d’anticipation et de prévention des menaces asymétriques qui guettent notre continent. Dans cette perspective, nous avons mobilisé des éminents intervenants : Hon. Roger Nkodo Dang (Cameroun), Col Auguste Denise Barry (Burkina Faso), Col Babacar Diouf (Sénégal), Ambassadeur Ezzeddine Zayani (Tunisie) et Ministre Housseini Amion Guindo (Mali). Dans cette vision globale, il faut repenser les politiques et stratégies nationales dans une optique de répondre aux besoins régionaux et continentaux. Cela oblige d’envisager la modélisation d’une architecture de défense et de sécurité africaine en repensant ses outils en fonction des menaces sans multiplier des structures de gestion inopérante.


- Autrement dit, il faut de l’anticipation et de la prévention ?

- Ce sont des conditions sine qua non pour contrecarrer les velléités déstabilisatrices et prédatrices. Pour cela, nous recommandons de construire des systèmes de défense et de sécurité extrêmement robustes et polyvalents qui soient en mesure d’anticiper les menaces hybrides et apporter les meilleures réponses, dans un contexte de guerre hors limites et hybrides.

La visioconférence a montré que la conception de sécurité continentale et régionale doit se fonder sur des outils adaptés aux besoins réels des peuples africains et efficaces face aux menaces sécuritaires. Seuls les Etats et les communautés qui se prépareront mieux, en structurant leur pensée doctrinale et leurs actions, dans une perspective globale, intégrale, anticipative et préventive, seront à même de s’en sortir avec moins de dégâts dans la lutte contre le terrorisme et les influences négatives


- Dans ces conditions, que pensez-vous de la Force d’attente de l’UA et qui tarde à se matérialiser sur le terrain ?

- Des initiatives multi et bilatérales ont permis la création de Forces pour lutter contre l’insécurité. C’est le cas de la Force Conjointe du G5 Sahel et de la MNJTF (Force multinationale conjointe) de la Commission du Bassin du Lac Tchad.

Ces initiatives prouvent à suffisance que la matérialisation de la Force d’Attente Africaine, efficiente et crédible, est un besoin de terrain avec des troupes mobilisables aux niveaux stratégique, opératif et tactique. Pas d’armée africaine sans identité panafricaine affirmée, pas de panafricanisme sans volonté de souveraineté stratégique commune. La coexistence des autonomies nationales et de souveraineté stratégique continentale, régulées par un Etat fédéral, est inéluctable avec l’autonomie stratégique et géopolitique de l’Afrique.



Propos recueillis
par Wolondouka SIDIBE


A propos des troupes régionales
 
A la question de savoir s’il est temps de penser à la mise en place de troupes régionales pour une meilleure défense continentale, Paul Kananura, Président de l’Institut Mandela de Paris, est on ne peut plus clair. « Il est plus que temps d’opérationnaliser les armées avec une mutualisation des forces de trois niveaux d’architecture de défense et de sécurité en Afrique », dit-il.

Pour ce faire, le niveau continental, avec son référentiel qui est l’Architecture de Paix et de Sécurité Africaine (APSA), doit progressivement quitter la doctrine normative onusienne pour se recentrer sur la doctrine opérationnelle permanente de protection du continent.

En outre, le niveau régional doit peaufiner la mutualisation des forces pour défendre les intérêts internes (gestion efficiente des crises) et continentaux en cas de besoin (lutte contre la transnationalité de criminalité).

Enfin, le niveau étatique ne doit plus être le seul à disposer du monopole de violence légitime. Il faut encourager fortement les processus et fondements des armées nationales (non-ethniques) au service de la collectivité et du continent. Cela exige des choix stratégiques et des référents doctrinaux à réévaluer constamment pour assurer l’interopérationnalité nationale, régionale et continentale contre les menaces avec le respect des principes fondamentaux de droits humains.
 








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