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Enjeu de la gestion des barrages : Satisfaire la demande en boostant la résilience


Rédigé par Souhail AMRABI Mardi 26 Avril 2022

Lâcher l’eau pour les usagers en gardant des réserves suffisantes pour l’été sans pour autant porter préjudice aux écosystèmes naturels situés en aval. Tel est le double dilemme qui s’impose aux gestionnaires des barrages.



Les pluies qui ont visité le Royaume durant le mois dernier ont été salvatrices à plusieurs égards. En plus de permettre la régénération de superficies importantes du couvert végétal, elles ont également rechargé les retenues de barrages dont les niveaux étaient arrivés à des taux de remplissage historiquement bas. Ces précipitations n’ont cependant pas permis de sécuriser des volumes largement suffisants puisque le remplissage des barrages au niveau national ce 20 avril 2022 était de 34.4%, bien loin des 51.4% enregistrés à la même date de l’année dernière.

De ce fait, il n’est pas surprenant de constater que des fleuves comme le Bouregreg font actuellement état d’un niveau et d’un débit particulièrement bas. « Il suffit de regarder l’oued et de le remonter quelques kilomètres en amont pour constater que sa largeur a diminué. Je crois qu’avec l’avènement de l’été, les autorités de gestion du Barrage Sidi Mohamed Ben Abdellah tentent de retenir les eaux en amont pour permettre de satisfaire les besoins des usagers en attendant les prochaines pluies », spécule un promeneur rbati qui habite non loin du Bouregreg.

Un arbitrage délicat

En parcourant le rapport quotidien publié par les autorités concernant les taux de remplissage des barrages, il s’avère que le barrage de Sidi Mohamed Ben Abdellah (en amont du Bouregreg) accuse en effet le coup de l’année de sécheresse que notre pays est en train de traverser. Rempli actuellement à 41.2%, l’ouvrage qui constitue une réserve hydrique stratégique pour la capitale et ses environs est également bien en deçà des 67.6% enregistrés au 20 avril 2021.

« Dans le contexte que vit le Royaume actuellement, les autorités de gestion des barrages se retrouvent devant une mission délicate. Elles doivent bien sûr permettre à une partie de l’eau des barrages de s’écouler en aval pour satisfaire les besoins des divers types d’usagers, mais elles doivent également veiller à le faire avec parcimonie afin d’anticiper les prochains mois qui habituellement connaissent très peu de précipitations pluvieuses », affirme Pr Imad Cherkaoui, enseignant-chercheur à l’Université Ibn Tofail de Kenitra et président de l’association Nature Solutions.

« Un usager légitime »

« En plus des usagers classiques dont les besoins doivent être pris en considération au moment de déterminer les débits de l’eau qui est lâchée depuis un barrage (agriculture, tourisme et industrie essentiellement), il existe un autre usager tout aussi important, à savoir les écosystèmes naturels », précise la même source. L’écologiste fait ici référence au maintien des fameux services écosystémiques des habitats naturels.

« Pour simplifier, les écosystèmes naturels qui dépendent aussi des ressources hydriques d’un cours d’eau pour se régénérer et se maintenir, rendent différents services qui sont malheureusement souvent considérés comme acquis. Que ce soit à travers leur rôle de pourvoyeurs de matières premières ou de composante essentielle dans le cycle de l’eau qui leur permet de mitiger les impacts des phénomènes naturels extrêmes, ces habitats naturels –aquatiques ou terrestres- sont un allié précieux pour faire face aux divers impacts des changements climatiques », souligne le chercheur pointant par la même occasion «la nécessité d’intégrer ces habitats comme un usager légitime et à part entière de l’eau».

Le débit « écologique »

Parmi les écosystèmes naturels dont l’intégrité et la vitalité dépendent étroitement des eaux fluviales, les zones humides se retrouvent en première place. « Les zones humides sont reconnues au niveau international comme des amortisseurs des changements climatiques. Elles jouent un rôle important dans la prévention des risques d’inondation puisqu’elles agissent comme des éponges qui retiennent l’eau en période de crues. C’est un autre service écosystémique dont la valeur est inestimable surtout que les tendances pluviométriques au Maroc vont dans le sens d’années sèches marquées par des épisodes pluvieux brefs et intenses qui peuvent rapidement causer des inondations », poursuit la même source.

Si le débit écologique n’est pas encore institutionnalisé au niveau national, notre pays dans son orientation vers une gestion intégrée des ressources en eau se dirige cependant vers une implémentation de ce principe. Une expérience pilote pour définir ce débit à l’échelle du barrage de Allal El Fassi a par ailleurs été réalisée par l’Agence du Bassin Hydraulique du Sebou (ABHS) en partenariat avec le WWF Maroc. « Gageons que cette dynamique se poursuivra et se généralisera au niveau national», conclu Pr Imad Cherkaoui.



Souhail AMRABI

Repères

Situation des barrages
Le remplissage des barrages est actuellement marqué par des taux de remplissage qui varient d’une région à une autre. Alors que certaines régions continuent à pâtir d’une faiblesse des ressources hydriques, particulièrement la région de l’Oriental, Oued Ziz et Tansift, les taux de remplissage ont dépassé les 50% dans plusieurs barrages du Royaume (Oued El Makhazine 68%, Acharif El Idrissi 90% ou encore El Wahda 58,1%) et ont même atteint les 100% dans certains autres (Nakhla, Bouhouda et Tanger-méditerranée, et Smir).
 
Débit minimal
La loi 36-15 relative à l’eau stipule que les concessions d’eau du domaine public doivent prendre en compte les exigences du plan de gestion des zones humides lorsqu’il existe (article 25) et garantir un débit d’eau minimum (défini par une loi réglementaire) pour protéger les droits des tiers et des animaux et plantes aquatiques en aval (articles 96, 97). Ces dispositions ne sont cependant pas systématiquement respectées en absence des textes d’application qui précisent les modalités de détermination et de mise en oeuvre du débit écologique.

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Enjeu de la gestion des barrages : Satisfaire la demande en boostant la résilience

International


L’Afrique du Nord face au risque d’un stress hydrique extrême
 
Selon le World Resources Institute (WRI) le quart de la population mondiale est concernée par de fortes pénuries d’eau. C’est principalement le cas dans les zones à fortes chaleurs, en particulier le Moyen-Orient et le nord de l’Afrique. Dans ces territoires, le phénomène est amplifié par le réchauffement climatique et pourrait engendrer des pertes économiques allant de 6 à 14% du PIB d’ici 2050.

Juste après les 17 pays classés dans la catégorie de stress hydrique extrême, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie se retrouvent dans la catégorie des 27 pays menacés par un stress hydrique élevé, et sont classés respectivement en 22ème, 29ème et 30ème positions. Le stress hydrique n’est cependant pas une fatalité selon le WRI qui propose de le réduire grâce notamment à une consommation plus raisonnée de l’eau dans l’agriculture et au recours à la réutilisation des eaux usées.

À noter que les besoins en eau au Maroc, estimés à 17 Milliards de m3/an sont largement dominés par l’agriculture (87%) avec 1,5 Million d’hectares de surface agricole irriguée.
 

Etude pilote


Vers la mise en place d’un débit écologique au Maroc
 
Le débit écologique est un processus qui prend en considération l’écoulement naturel des cours d’eau avant l’intervention humaine, notamment par la construction des ouvrages de retenue ou de dérivation pouvant menacer l’équilibre des écosystèmes aquatiques. Dans cette optique, l’Agence du Bassin Hydraulique du Sebou (ABHS) et le WWF Maroc ont réalisé en 2017 une étude pilote sur le débit écologique à appliquer au niveau du barrage Allal El Fassi.

Des études faunistiques, floristiques, hydrologiques et qualitatives de l’eau ont permis de définir le débit écologique nécessaire à la sauvegarde de la biodiversité dans le cours d’eau correspondant et à la préservation de la qualité écologique des eaux de surface. L’intégration réglementaire d’un débit écologique pour une meilleure gestion intégrée des ressources en eau, constituerait une opportunité incontournable pour assurer l’utilisation durable de la ressource hydrique et sauvegarder la biodiversité et les services écosystémiques d’eau douce.

La mise en place de cet outil contribue à la lutte contre les effets du changement climatique, des épisodes de pénurie d’eau et de la pression croissante exercée sur les ressources naturelles dans certaines régions du Maroc.

Aujourd’hui, le débit écologique a fait ses preuves et son application a lieu dans une trentaine de cours d’eau à travers le monde. Il a permis non seulement de protéger les écosystèmes aquatiques, mais aussi les avantages sociaux, économiques et culturels fournis aux populations.
 

3 questions au Pr Imad Cherkaoui, président de Nature Solutions


« L’écoulement de cette eau douce vers la mer fait partie d’un cycle écologique et hydrique dont il ne faut pas oublier l’importance »
 
Enseignant-chercheur à l’Université Ibn Tofail de Kenitra et président de l’association Nature Solutions, Pr Imad Cherkaoui répond à nos questions sur le débit écologique.

-Quels sont selon vous les enjeux nationaux qui se profilent en matière de bonne gestion des eaux des retenues de barrage ?

-Je pense qu’il faut d’abord souligner que la sécheresse que vit notre pays est une tendance qui est actuellement en train de se normaliser. Les défis que nous connaissons actuellement en matière de gestion des ressources en eau vont de ce fait perdurer. Le principal défi est celui de la rationalisation de la consommation de l’eau.

La question qui se pose est de savoir par exemple si les cultures connues pour leur consommation importante en eau sont encore adaptées au contexte actuel. Pour répondre à cette question, il faut cependant veiller à intégrer dans le calcul, la perte des services écosystémiques pour bien déterminer l’apport économique réel de ces cultures.



-Qu’en est-il du captage des eaux fluviales qui se perdent en mer ?

-Penser que toutes les eaux fluviales qui arrivent à l’océan sont perdues est à mon sens une erreur, au moins partiellement. L’écoulement de cette eau douce vers la mer fait partie d’un cycle écologique et hydrique dont il ne faut pas oublier l’importance. Je donnerai ici l’exemple des nutriments qui sont charriés par ces eaux et qui permettent aux estuaires de jouer le rôle de frayères pour les poissons. S’il fallait empêcher toute cette eau d’arriver à l’océan, l’impact sur la disponibilité des ressources halieutiques littorales ne manquerait pas de se faire ressentir.


-Quelle est donc la juste mesure à adopter pour optimiser la gestion de ces eaux ?


-Notre pays, qui fait partie des nations qui ont démontré leur engagement pour conduire une bonne transition environnementale et climatique, a également adopté le principe de gestion intégrée des ressources en eau. L’enjeu maintenant est de pouvoir mettre en place des arbitrages à même de revoir la pertinence et la rationalisation des usages tout en veillant à donner leur chance aux écosystèmes naturels de maintenir leur rôle d’alliés climatiques pour les générations futures. De ce fait, la mise en place et la généralisation du principe de débit écologique seront un atout décisif.


Recueillis par S. A.