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Employabilité des jeunes : Miraoui face au défi des fabriques de chômeurs


Rédigé par Anass MACHLOUKH Jeudi 21 Juillet 2022

Réconcilier l’Université et l’Entreprise, un des défis auxquels doit répondre la nouvelle réforme portée par Abdelatif Miraoui. Interrogés par « L’Opinion », des experts nous livrent leur recette pour construire des « têtes bien faites ». Détails.



Employabilité des jeunes : Miraoui face au défi des fabriques de chômeurs
Jusqu’à cette heure, le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation, Abdelatif Miraoui, en fin connaisseur du monde académique, dont il provient, continue d’élaborer sa réforme du système qu’il veut hisser à la hauteur des préceptes du Nouveau Modèle de Développement. Digitalisation, réforme du statut des enseignants, ouverture sur les langues étrangères et notamment l’anglais, les grandes lignes sont d’ores et déjà connues. Loin des objectifs vagues et opaques, l’enjeu essentiel d’une telle réforme est l’employabilité des jeunes lauréats sachant qu’un grand fossé sépare l’Université et le monde de l’entreprise.

L’écart demeure grand puisque « 30% des diplômés se retrouvent, quatre ans après l’obtention de leur diplôme, sans emploi (soit au chômage, soit en inactivité, soit reprennent leurs études », selon l’enquête nationale du Conseil supérieur de l’Education. Le taux de chômage des diplômés concerne plus les universités, notamment celles à accès ouvert. Comment réconcilier l’Université et l’entreprise ? Ceci a fait l’objet d’une conférence abritée par l’Université Hassan Ier de Settat, dont les experts participants ont répondu à nos questions.

Le monde du travail appelé à mieux définir ses besoins

Si l’Université est peu capable de former les jeunes immédiatement « employables », l’entreprise n’est pas exempte de reproches. Rahma Bourqia, Directrice de l’Instance Nationale d’Evaluation auprès du Conseil supérieur de l’Education, estime que « le monde du travail est appelé à exprimer plus clairement ses besoins et dire ce qu’il attend de l’Université ». L’experte reproche aux entreprises ne pas être lucides sur ce point.

En effet, Mme Bourqia estime qu’il faut que l’entreprise elle-même contribue à prendre en charge le lauréat pendant son parcours et le familiariser avec le monde professionnel. « Il y a des chefs d’entreprises qui nous disent que des ingénieurs fraîchement recrutés ignorent le travail en équipe et ne savent pas régler des problèmes pratiques », a-t-elle poursuivi, soulignant un phénomène nouveau. Les entreprises veulent des lauréats prêts sans prendre la peine de les former. Cela pose problème.

Là, la question des stages et de l’enseignement alterné se pose, sachant qu’elle fait cruellement défaut au Maroc, où peu de lauréats arrivent au marché de travail avec assez de stages à leur actif. 65% seulement en disposent et ils sont souvent des ingénieurs et des gestionnaires. L’absence de stages rémunérés décourage souvent les étudiants, surtout que les lieux de travail se trouvent parfois loin de leur domicile.

Former des gens polyvalents

Compte tenu de la révolution numérique et la nouvelle cadence du marché de travail, de plus en plus internationalisé et plus ouvert sur les métiers du futur, la vocation même de l’université doit changer. Manuel Celio Conceição, professeur portugais à l’Université « Algarve », réfute l’idée que l’Université soit une usine à produire des employés.

« Aujourd’hui, la vocation de l’Université a tout à fait changé, l’Université ne sert plus à former des employés, mais à doter des étudiants des compétences nécessaires pour qu’ils soient utiles, dans leur milieu de travail », précise notre interlocuteur. Le professeur met en avant un paradoxe qui s’impose de plus à plus à nos sociétés. Celles-ci évoluent tellement vite que leurs besoins changent rapidement, condamnant ainsi les formations des générations au risque perpétuel d’obsolescence.

«Nous formons nos jeunes pour répondre à des besoins de la société, que nous ne connaissons pas encore. C’est ça le problème », a-t-il poursuivi, insistant sur le fait que les futurs lauréats seront appelés plus à être polyvalents qu’à apprendre à exercer un seul métier de façon immuable.

En effet, cette remarque traduit une réalité naissante au sein de notre société où les jeunes générations ne veulent plus exercer un seul emploi dans leur carrière, et préfèrent ne pas avoir une seule option dans leur vie. « Il faut se délester de cette idée de dire que je prends un diplôme pour faire une seule carrière, ce n’est plus le cas aujourd’hui » , reprend M. Conceição, faisant allusion à plusieurs cas de médecins qui finissent par devenir entrepreneurs, ou des ingénieurs informatiques qui font carrière dans le commerce et le marketing.

D’où la nécessité des Soft skills !

Pour être polyvalents et plus employables, les jeunes d’aujourd’hui doivent avoir des « Soft skills, que la nouvelle réforme devrait introduire dans les programmes d’enseignement.

« Personne ne peut nier le rôle des Soft skills dans l’insertion professionnelle des jeunes lauréats et accroître leur employabilité. C’est très important également pour la formation des bonnes têtes bien faites, c’est-à-dire des personnes assez douées de compétences relationnelles et de tact pour être en mesure de se faire une place dans un milieu professionnel », explique Razane Chroqui, professeur à l’Université Hassan 1er, jugeant cela « indispensable pour accompagner la transformation de l’Université 4.0 ».

En effet, le Nouveau Modèle de Développement (NMD) fait aussi le pari sur les vertus des Soft skills, le rapport de la Commission de Chakib Benmoussa recommande le développement des Soft skills à travers trois canaux principaux, à savoir l’Université, le Service civique national, et la formation professionnelle. Celle-ci doit être partie intégrante de la formation fondamentale, selon le NMD.

En somme, le rapprochement entre une université déphasée et un monde du travail peu accueillant nécessite du temps. Mme Bourqia estime qu’il n’existe pas une recette toute prête pour sceller une nouvelle alliance entre le monde du travail et le monde de l’entreprise. « Il faut avoir une approche systémique où chaque partie fasse sa part du travail. L’Université est amenée à changer parce qu’il s’agit d’une nécessité, vue que l’économie change, le monde change, et les méthodes d’éducation changent, les métiers aussi qui sont plus numérisés », a-t-elle conclu.



Anass MACHLOUKH

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Bachelor


On revient à la case départ
 
Lorsque le nouveau système de Bachelor fut annoncé pour la première fois, tout le monde a jubilé, espérant que ce système, inspiré du modèle anglosaxon, permettra d’aligner l’Université marocaine sur les standards internationaux et offrira aux étudiants une meilleure mobilité. Toutefois, ce fut un échec, sachant que les étudiants déjà inscrits dans de tels cursus seront transférés vers d’autres formations de licence.

Le Département d’Abdelatif Miraoui a tourné la page du Bachelor, signant l’arrêt de mort d’une réforme qui voulait encourager la mobilité et l’employabilité des jeunes diplômés. Pourquoi un tel échec ? « Il n’y avait pas assez d’ingrédients pour assurer la réussite du nouveau modèle », nous explique un membre du Conseil supérieur de l’Education, ajoutant que même les enseignants ne sont pas encore préparés à un tel changement. En attente d’un modèle alternatif, on retourne à la case départ et au schéma traditionnel : Licence-Master-Doctorat.
 

Emplois du futur


La fatalité du changement de l’offre de formation
 
« Durant ces vingt dernières années, nous avons assisté à un changement radical des métiers qui se sont métamorphosés compte tenu de la révolution numérique, dont le rythme devrait s’accentuer dans les années qui viennent. L’Université est appelée à se préparer et à adapter les programmes pédagogiques en permanence », estime Joao Guerreiro, expert dans l’évaluation de l’Enseignement supérieur.

Selon lui, les formations universitaires doivent, à l’aune de la révolution numérique et les nouveaux métiers qui apparaissent, inculquer aux étudiants les compétences transversales, c’est-à-dire le savoir-faire et les qualités exigées quelle que soit la nature de l’emploi. Là, c’est l’opposé des connaissances techniques. On parle de l’analyse, du travail en équipe, du leadership, de la responsabilité, de la capacité de résoudre des problèmes personnels dans l’espace de travail, de la maîtrise des outils informatiques et de la capacité d’exécuter des missions différentes, aussi éloignées soient-elles de la nature de l’emploi qu’on fait.

« Pour commencer, la meilleure solution serait de multiplier les initiatives conjointes entre les Universités et les entreprises de sorte à créer un climat de confiance. Ceci est d’autant plus urgent qu’il faut montrer aux entreprises que les universités regorgent de talents avec un potentiel énorme qu’il suffit de façonner et d’en sortir de la créativité », a-t-il recommandé.

 

Trois questions à Manuel Celio Conceição

Employabilité des jeunes : Miraoui face au défi des fabriques de chômeurs

« La formation par alternance est plus nécessaire que jamais »
 
Manuel Celio Conceição, Professeur à l’Université d’Algarve au Portugal, a répondu à nos questions sur les défis liés à l’employabilité des jeunes à l’ère de la révolution numérique.

- Dans quelle mesure les Soft skills sont-ils utiles pour l’insertion professionnelle ?

- L’Université n’est plus une machine à fabriquer des salariés, c’est fini ! Il y a longtemps, les Universités formaient des gens pour exercer un certain métier et faire une certaine carrière. A mon avis, vu les changements de nos sociétés, les jeunes générations doivent être dotées des techniques d’analyse et des qualités personnelles qui peuvent leur permettre d’être plus innovantes dans leur façon d’exercer leurs métiers. Des compétences durables.


- A votre avis, comment l’Université doit-elle s’adapter ?

- Permettez-moi d’insister sur les vertus de la formation par alternance, qu’il est recommandé de généraliser le maximum possible sur l’ensemble des cursus quels qu’ils soient. L’objectif ici est de mieux rapprocher la formation du monde réel et aboutir à ce frottement entre les deux. En définitive, je trouve qu’il est temps de réaliser que nous ne pouvons plus former les futures générations comme les nôtres ont été formées. Les techniques et les connaissances progressent tellement vite !


- Comment la révolution numérique va-t-elle bouleverser la nature des métiers ?

- Les technologies sont là, nous sommes dans la quatrième révolution digitale, voire post-numérique, puisqu’on parle désormais de l’Université 4.0. Je suis persuadé qu’il faut tirer bénéfice des nouvelles technologies du numérique et chercher à créer de nouvelles formations pour de nouveaux métiers. J’insiste ici sur le renforcement de l’apprentissage des compétences numériques des étudiants qui doivent évidemment évoluer.



Recueillis par Anass MACHLOUKH
 








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