L'Opinion Maroc - Actuali
Consulter
GRATUITEMENT
notre journal
facebook
twitter
youtube
linkedin
instagram
search



Actu Maroc

Cultures «hydrivores» : L’Etat ferme le robinet des subventions


Rédigé par Omar ASSIF Lundi 3 Octobre 2022

Les projets d’irrigation locale destinés à des cultures d’avocatiers, de pastèques rouges ou à de nouvelles plantations d’agrumes ne seront plus subventionnés par le ministère de l’Agriculture.



Les cultures d’avocatiers, de pastèques rouges, ainsi que les nouvelles plantations d’agrumes ne sont plus éligibles à la subvention des projets d’irrigation locale. Cette nouvelle décision sera appliquée aux projets d’irrigation locale concernés pour lesquels les dossiers de demande des autorisations préalables ont été déposés à partir du 11 juillet 2022.

Officialisée le 22 septembre 2022 par une signature conjointe du ministre de l’Agriculture, de la Pêche, du Développement rural, des Eaux et Forêts, Mohamed Sadiki, et le ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaa, la nouvelle orientation stratégique s’inscrit dans le cadre de la mise en oeuvre de la « décision fixant les modalités d’octroi de la subvention financière de l’État pour l’aménagement hydro-agricole dans les exploitations agricoles », qui avait été par ailleurs préalablement signée, le 18 mai 2022, avec le ministère de l’Intérieur.

Réactions positives

Si l’arrêt des subventions des projets d’irrigation locale des cultures d’avocatiers, de pastèques rouges et des nouvelles plantations d’agrumes vient certainement perturber les plans d’agriculteurs qui n’ont pas vu venir ce nouveau virage, un grand nombre d’observateurs et d’environnementalistes ont pour leur part accueilli « une décision salutaire ».

Dans les réseaux sociaux, les commentaires foisonnent autour du sujet : « Mieux vaut tard que jamais. Espérons que c’est juste le début d’une transformation qui permettra de sauvegarder les nappes et les ressources hydriques contre la surexploitation. Il faudra penser à ajouter d’autres cultures à cette liste », commente un internaute.

« Je pense qu’il faut tout simplement commencer à interdire les cultures qui ne sont pas adaptées», s’emporte un autre commentateur, livrant ainsi une suggestion à laquelle le ministre de l’Agriculture avait pourtant répondu lors d’une précédente réunion à la Chambre des Conseillers.

Nouvelle ère de rationalisation

« Le département n’a pas le pouvoir d’empêcher les agriculteurs d’investir dans un certain type de cultures. Il oeuvre à les guider afin de choisir les cultures appropriées », avait souligné à cette occasion Mohammed Sadiki. Avec la multiplication des années de sécheresse et la chute des niveaux des retenues de barrages et des nappes phréatiques, le ministère de l’Agriculture semble cependant plus résolu à opérer le virage nécessaire vers la promotion de cultures plus résilientes et mieux adaptées.

« L’agriculture irriguée est entrée dans une nouvelle ère de la rationalisation et de la valorisation de l’eau d’irrigation, et ce, en adoptant une politique d’encouragement de la généralisation des techniques et des systèmes d’irrigation économes en eau, en améliorant le service de l’eau et en assurant la pérennité des infrastructures d’irrigation, à travers la modernisation et la réhabilitation des réseaux », avait ainsi souligné le ministre en juillet dernier.

Peut mieux faire ?

« La décision d’arrêter la subvention pour ces cultures signifie seulement que l’Etat ne participera plus à les encourager. Les agriculteurs concernés pourront cependant continuer leurs projets en prenant en charge la mise en place des équipements d’irrigation », nuance Redouane Chour-Allah, expert en agriculture durable. « Ce dont on a réellement besoin, c’est d’arrêter la dégradation des ressources hydriques.

D’autres cultures comme le bananier ou encore le palmier-dattier sont concernées puisqu’elles sont en train de détruire les écosystèmes dans lesquels elles ont été installées », poursuit l’expert qui estime par ailleurs que l’application de la loi de l’eau doit également être scrupuleusement appliquée.

Au-delà de l’arrêt des subventions pour les cultures hydrivores, doit-on tout simplement les proscrire ? « Il existe plusieurs pays qui ont franchi le pas et l’on fait en bannissant certaines cultures inadaptées dans leurs contextes. On peut citer l’exemple de l’Arabie Saoudite qui a interdit la production de fourrage et de blé pour privilégier l’import de ce genre de denrée », confirme l’expert.



Omar ASSIF

Repères

Appel d’offres de la DIAEA
La Direction de l’Irrigation et de l’Aménagement de l’Espace Agricole (DIAEA) a récemment lancé un appel d’offres concernant le suivi et le contrôle des projets d’irrigation au niveau des douze régions du territoire national. Selon l’appel d’offres - dont la clôture est prévue pour le 4 novembre 2022 - le prestataire retenu devra assister la DIAEA dans l’élaboration, l’examen et l’analyse des aspects techniques des projets relevant du domaine de l’irrigation et de l’aménagement de l’espace agricole.
 

Hausse des exportations d’agrumes
Du 1er septembre 2021 au 13 juin 2022, le Maroc a exporté environ 735.400 tonnes d’agrumes, soit une hausse de 42% par rapport à la campagne précédente, souligne un communiqué du ministère de l’Agriculture. Au terme de la campagne actuelle, le volume d’exportation des petits fruits d’agrumes est de 628.600 tonnes, en hausse de 40% par rapport à la campagne précédente. Quant aux exportations d’oranges (gros fruits), elles ont atteint 97.200 tonnes, enregistrant ainsi une croissance de 62%, indique la même source.


L'info...Graphie

Cultures «hydrivores» : L’Etat ferme le robinet des subventions

Monde


Faudra-t-il bientôt choisir entre boire et se nourrir ?
 
Selon la FAO, l’agriculture s’accapare plus de 70% d’eau douce prélevée au niveau mondial. Dans son dernier rapport sur « L’état des ressources en terres et en eau pour l’alimentation et l’agriculture dans le monde », l’Institution souligne que la pénurie d’eau et la pollution mettent à rude épreuve les principaux systèmes agroalimentaires du monde entier.

Au total, 2,3 milliards de personnes vivent déjà dans des pays confrontés à un stress hydrique, dont plus de 733 millions – soit environ 10% de la population mondiale – vivent dans des pays où le stress hydrique atteint un niveau élevé et critique.

À noter que plus de 25% des cultures mondiales sont cultivées dans des régions qui connaissent de graves pénuries d’eau. Au Maroc, le stress hydrique extrême a été atteint avec une moyenne annuelle de 500 mètres cubes pour chaque personne. Certaines études prévoient par ailleurs une baisse de 80% des ressources en eau d’ici 25 ans au niveau national. En attendant, 87% de la consommation directe annuelle en eau au niveau national est accaparée par le secteur agricole (HCP).
 

Cartographie


Mieux investir grâce aux cartes de vocation agricole des terres

Le Programme National d’élaboration des Cartes de Vocation Agricole des Terres (PNCVAT), piloté par le ministère de l’Agriculture, est coordonné depuis 1988 par l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) avec des partenaires institutionnels sur toutes les zones agricoles Bour (pluviales) du pays.

Actuellement, le programme a réalisé près de 6 millions d’hectares de cartes pour les zones d’agriculture pluviale, dites Bour, soit environ deux tiers de la superficie cultivée du Royaume. « Ces cartes donnent une évaluation agronomique fine de l’aptitude des terres à être cultivées durablement, par un certain nombre de spéculations importantes au Maroc, aux échelles locale et régionale », souligne l’INRA dans son site officiel. Ces cartes permettent ainsi d’identifier des bassins de production homogènes des principales filières agricoles et d’orienter les investisseurs vers les zones et les filières adaptées.

«Elles permettent par ailleurs d’orienter les politiques publiques d’appui au secteur agricole dont, notamment, la modulation des subventions à accorder aux agriculteurs et aux investisseurs choisissant d’utiliser les terres selon leurs vocations. Les Cartes de Vocation Agricole des Terres offrent également une vue prospective sur les défis de l’agriculture de demain, sur sa vulnérabilité face aux risques climatiques, en général, et aux changements climatiques, en particulier », précise l’INRA.

À noter qu’à ce jour, la conformité des investissements agricoles vis-à-vis de ce référentiel n’est pas encore une condition obligatoire.
 

3 questions à Redouane Choukr-Allah


« Il existe un potentiel énorme dans la mise à profit agricole des eaux usées traitées, en particulier pour l’irrigation des cultures fourragères et arboricoles »
 
- Spécialisé en agriculture durable et en ressources hydriques, Redouane Choukr-Allah répond à nos questions sur les moyens de limiter la surexploitation agricole des ressources en eau.

- La cartographie de la vocation des terres développée par l’INRA peut-elle jouer un rôle dans la mise en adéquation entre le choix des cultures et les ressources hydriques disponibles ?

- Sans doute. D’autant plus que ce genre de cartographie indique les types de cultures qui sont adaptées à chaque zone. Son élaboration s’est basée sur une étude des conditions climatiques, des types de sol et de la disponibilité des ressources hydriques. C’est effectivement un outil qui peut servir comme une référence et une base d’orientation pour le choix des cultures. Cela dit, le plus important dans l’immédiat est d’arrêter les abus liés à l’exploitation des eaux d’irrigation, surtout dans les zones « sinistrées » par la pénurie hydrique.


- Dans un contexte de raréfaction croissante des ressources hydriques, quelles sont les solutions qui pourraient assurer l’irrigation des cultures sans impacter négativement les nappes phréatiques ?

- Je pense qu’il existe un potentiel énorme dans la mise à profit agricole des eaux usées traitées, en particulier pour l’irrigation des cultures fourragères et arboricoles. Prenons l’exemple de la plaine de Benguerir qui est sinistrée alors qu’il y a dans sa région des eaux usées traitées qui peuvent être mises à contribution pour les cultures de la zone. Il est question de près de 100.000 m3 par jour d’eau usées, parfois traitées, qui sont tout simplement perdues… Certains pays comme les Etats- Unis sont même arrivés à potabiliser les eaux usées. Bien sûr qu’il y a un coût pour réutiliser ces eaux dans l’irrigation, mais ça reste abordable, voire moins cher que le dessalement de l’eau de mer.


- Vous avez évoqué une surexploitation des ressources hydriques par les cultures de palmiers-dattiers et de bananiers. Quelle est l’ampleur des dégâts ?

- Actuellement, on est en train de désertifier nos oasis à cause des projets de palmiers- dattiers qui utilisent une ressource hydrique limitée, notamment dans les régions de Ksar Souk (Errachidia) et Guelmim.

Pour le bananier, il est question de 4000 hectares qui ont besoin de 20.000 m3 d’eau pas an et par hectare. Pour une année, c’est près de 80 millions de m3 ! C’est l’équivalent d’une retenue de barrage. Il serait plus judicieux et moins cher d’importer de la banane au lieu de la cultiver au Maroc.

 


Recueillis par O. A.