Casque vissé sur les oreilles, voix déguisée et prénom emprunté, les jeunes employés des centres d’appels forment aujourd’hui les rouages tapis dans l’ombre d’une économie qui s’emballe. À des milliers de kilomètres des clients qu’ils assistent, ils portent un secteur qui s’enorgueillit par ses chiffres de croissance, mais bien moins par ses conditions de travail.
Au tournant des années 2000, l’offshoring s’est imposé comme une nouvelle vague porteuse d’espoir pour une génération urbaine en quête d’emploi. Pourtant, derrière cette promesse de prospérité, s’est creusé un fossé grandissant entre la quête de performance économique et la fragile protection sociale. C’est ce paradoxe que l’Institut Prometheus a mis en lumière lors d’une conférence dédiée à une étude approfondie sur le sujet.
Au tournant des années 2000, l’offshoring s’est imposé comme une nouvelle vague porteuse d’espoir pour une génération urbaine en quête d’emploi. Pourtant, derrière cette promesse de prospérité, s’est creusé un fossé grandissant entre la quête de performance économique et la fragile protection sociale. C’est ce paradoxe que l’Institut Prometheus a mis en lumière lors d’une conférence dédiée à une étude approfondie sur le sujet.
Travail précaire et stagnation salariale
Selon le Policy Paper présenté, les métiers du Geek Work, notamment dans les centres d’appels, restent profondément marqués par la précarité, des conditions de travail éprouvantes, des discriminations persistantes et un manque de protection sociale, particulièrement pour les jeunes. Il importe de préciser qu’au Maroc, ce secteur emploie beaucoup de personnes et génère près de 18 milliards de dirhams de chiffre d’affaires. Sa croissance, amorcée dès le Plan Émergence de 2007, avait favorisé l’installation de grands groupes internationaux, attirés par les atouts compétitifs du Royaume.
Désormais, plus de 100.000 professionnels évoluent dans l’offshore, devenu un pilier majeur de l’économie marocaine des services. Pourtant, une large part de la jeunesse active dans ce domaine se sent souvent invisibilisée, contrainte de naviguer dans un environnement professionnel de plus en plus instable et incertain.
Dans une déclaration à « L’Opinion », l’anthropologue Montassir Sakhi, auteur de l’étude, a souligné que : « Cette étude s’inscrit dans une recherche plus large sur les formes de travail précaires liées au Geeg Work, où se croisent les logiques du digital et du travail ouvrier, sous-payé et encadré par des contrats fragiles ». « Ce qui ressort de cette première enquête ethnographique fondée sur des entretiens avec les travailleurs dans les centres d’appels, c’est d’abord la stagnation salariale. Les salaires à l’embauche, au lieu d’évoluer, ont même reculé. Il y a 25 ans, ils étaient compris entre 4.000 et 6.000 dirhams, contre environ 3.800 dirhams aujourd’hui », explique-t-il.
Désormais, plus de 100.000 professionnels évoluent dans l’offshore, devenu un pilier majeur de l’économie marocaine des services. Pourtant, une large part de la jeunesse active dans ce domaine se sent souvent invisibilisée, contrainte de naviguer dans un environnement professionnel de plus en plus instable et incertain.
Dans une déclaration à « L’Opinion », l’anthropologue Montassir Sakhi, auteur de l’étude, a souligné que : « Cette étude s’inscrit dans une recherche plus large sur les formes de travail précaires liées au Geeg Work, où se croisent les logiques du digital et du travail ouvrier, sous-payé et encadré par des contrats fragiles ». « Ce qui ressort de cette première enquête ethnographique fondée sur des entretiens avec les travailleurs dans les centres d’appels, c’est d’abord la stagnation salariale. Les salaires à l’embauche, au lieu d’évoluer, ont même reculé. Il y a 25 ans, ils étaient compris entre 4.000 et 6.000 dirhams, contre environ 3.800 dirhams aujourd’hui », explique-t-il.
Loi obsolète privée de convention collective
Selon Sakhi, ce premier volet, consacré aux centres d’appels, met en lumière l’immobilisme du cadre légal, inchangé depuis des années, et l’absence de convention collective sectorielle. Derrière l’apparente réussite économique de l’offshoring, subsistent de profondes inégalités, comme la faiblesse de la protection sociale, la violation des droits fondamentaux au travail, les entraves à la liberté syndicale et les discriminations systémiques dans un contexte de vulnérabilités qu’il qualifie de néocoloniales.
Burn-out et turnover, un cercle vicieux
Le deuxième constat majeur, selon lui, concerne la souffrance au travail, liée à un rythme infernal qui expose les employés au burn-out, à un fort turnover ou à des licenciements dès lors que les objectifs de performance ne sont pas atteints. Ce climat de pression permanente favorise également l’émergence de phénomènes préoccupants, comme la consommation accrue de drogues dans ces milieux.
« S’ajoute à cela la question syndicale, longtemps étouffée par une politique anti-syndicale systématique depuis les débuts du secteur. L’interdiction de se syndiquer participe d’une forme de domination hégémonique, caractéristique du modèle organisationnel imposé aux travailleurs », précise-t-il.
L’enquête met également en lumière la marginalisation de certains droits, comme les congés marocains et les fêtes religieuses, souvent écartés au profit du calendrier français. Elle pointe par ailleurs l’absence d’études approfondies et de données statistiques fiables, ce qui freine l’émergence d’un véritable débat national. Par exemple, on évoque régulièrement la création de 10.000 emplois par an, sans jamais mentionner le nombre de licenciements ni celui des travailleurs touchés par un turnover estimé à 50 %, selon les syndicats. De même, le chiffre de plus de 100.000 employés dans le secteur offshore reste inchangé depuis cinq ans, ce qui témoigne d’un essoufflement inquiétant et met en évidence la crise structurelle que traverse ce secteur.
« S’ajoute à cela la question syndicale, longtemps étouffée par une politique anti-syndicale systématique depuis les débuts du secteur. L’interdiction de se syndiquer participe d’une forme de domination hégémonique, caractéristique du modèle organisationnel imposé aux travailleurs », précise-t-il.
L’enquête met également en lumière la marginalisation de certains droits, comme les congés marocains et les fêtes religieuses, souvent écartés au profit du calendrier français. Elle pointe par ailleurs l’absence d’études approfondies et de données statistiques fiables, ce qui freine l’émergence d’un véritable débat national. Par exemple, on évoque régulièrement la création de 10.000 emplois par an, sans jamais mentionner le nombre de licenciements ni celui des travailleurs touchés par un turnover estimé à 50 %, selon les syndicats. De même, le chiffre de plus de 100.000 employés dans le secteur offshore reste inchangé depuis cinq ans, ce qui témoigne d’un essoufflement inquiétant et met en évidence la crise structurelle que traverse ce secteur.
Le secteur à l’épreuve de l’IA
En réaction à la vague de licenciements liée à l’émergence de l’Intelligence Artificielle, et dans le contexte de la nouvelle loi française anti-démarchage, Montassir Sakhi a souligné : « Il est évident que l’IA a un impact réel sur l’emploi. Cependant, les entreprises qui s’y sont préparées savent aussi adapter leurs modèles pour que cette transformation technologique devienne une opportunité, et non une menace. Cela passe notamment par la création de nouveaux métiers liés à l’IA et par l’accompagnement des salariés dans cette transition».
Pour lui, il serait réducteur, voire simpliste, de faire de l’Intelligence Artificielle un bouc-émissaire unique. Si l'on ne met pas en place des politiques de reconversion ambitieuses, des dispositifs de formation continue, et des stratégies d’adaptation aux mutations du travail, ces vagues de licenciements apparaîtront comme inévitables. Le véritable enjeu n’est donc pas tant l’IA elle-même, mais la manière dont les sociétés anticipent, gouvernent et accompagnent son déploiement.
Il s’agit aussi, dans ce contexte, de repenser le rôle des institutions publiques, des syndicats et des acteurs économiques dans l’élaboration de politiques actives de l’emploi capables de suivre le rythme des transformations technologiques. Car derrière les suppressions de postes, ce sont des trajectoires humaines, des compétences et des droits sociaux qui sont en jeu. Répondre au défi de l’IA, selon Sakhi, c’est avant tout construire une transition juste et inclusive, où l’innovation technologique ne se fait pas au détriment des travailleurs, mais avec eux.
Pour lui, il serait réducteur, voire simpliste, de faire de l’Intelligence Artificielle un bouc-émissaire unique. Si l'on ne met pas en place des politiques de reconversion ambitieuses, des dispositifs de formation continue, et des stratégies d’adaptation aux mutations du travail, ces vagues de licenciements apparaîtront comme inévitables. Le véritable enjeu n’est donc pas tant l’IA elle-même, mais la manière dont les sociétés anticipent, gouvernent et accompagnent son déploiement.
Il s’agit aussi, dans ce contexte, de repenser le rôle des institutions publiques, des syndicats et des acteurs économiques dans l’élaboration de politiques actives de l’emploi capables de suivre le rythme des transformations technologiques. Car derrière les suppressions de postes, ce sont des trajectoires humaines, des compétences et des droits sociaux qui sont en jeu. Répondre au défi de l’IA, selon Sakhi, c’est avant tout construire une transition juste et inclusive, où l’innovation technologique ne se fait pas au détriment des travailleurs, mais avec eux.
Les recommandations d’une réforme attendue
La restitution de l’étude a été l’occasion pour le chercheur Montassir Sakhi et Ayoub Saoud, secrétaire général de la Fédération Nationale des Centres d’Appels et des Métiers de l’Offshoring, de formuler un ensemble de recommandations. Parmi les principales pistes avancées figurent la nécessité de créer de nouvelles formes d’autodéfense syndicale, de renforcer la législation pour mieux protéger les salariés, de garantir une protection sociale effective, de soutenir le dialogue social, ainsi que de valoriser les compétences des jeunes et promouvoir l’égalité dans le secteur.
Ils appellent également à la tenue d’assises nationales, afin de réfléchir collectivement à l’avenir de ce secteur stratégique et de mieux l’inscrire dans la dynamique globale de l’économie marocaine.
Montassir Sakhi insiste sur l’importance d’une convention sectorielle, qu’il qualifie de nécessité urgente : « Ce que revendiquent les syndicats, c’est avant tout une convention sectorielle. Autrement dit, une loi claire qui définisse dès le départ les règles du jeu pour le patronat, ce qui est aujourd’hui totalement absent. Cette convention permettrait aussi de fixer les devoirs, et, surtout, de garantir aux salariés un cadre digne, avec des droits bien définis ».
Il évoque également le besoin d’un accompagnement à la sortie, comprenant le droit au chômage, des cotisations sociales claires, et la régulation des pratiques illégales, notamment celles de certains centres d’appels qui fonctionnent dans l’ombre et ne respectent pas les règles élémentaires, y compris en matière de salaires. « Nous sommes encore loin de ces réponses, reconnaît-il, mais il faut travailler au changement et garder l’espoir».
Ils appellent également à la tenue d’assises nationales, afin de réfléchir collectivement à l’avenir de ce secteur stratégique et de mieux l’inscrire dans la dynamique globale de l’économie marocaine.
Montassir Sakhi insiste sur l’importance d’une convention sectorielle, qu’il qualifie de nécessité urgente : « Ce que revendiquent les syndicats, c’est avant tout une convention sectorielle. Autrement dit, une loi claire qui définisse dès le départ les règles du jeu pour le patronat, ce qui est aujourd’hui totalement absent. Cette convention permettrait aussi de fixer les devoirs, et, surtout, de garantir aux salariés un cadre digne, avec des droits bien définis ».
Il évoque également le besoin d’un accompagnement à la sortie, comprenant le droit au chômage, des cotisations sociales claires, et la régulation des pratiques illégales, notamment celles de certains centres d’appels qui fonctionnent dans l’ombre et ne respectent pas les règles élémentaires, y compris en matière de salaires. « Nous sommes encore loin de ces réponses, reconnaît-il, mais il faut travailler au changement et garder l’espoir».
Trois questions à Ayoub Saoud : « Nous appelons les salariés à s’unir syndicalement pour défendre leurs acquis »

Ayoub Saoud, Secrétaire Général de la Fédération Nationale des Centres d’Appel et des Métiers de l’Offshoring, a répondu à nos questions.
- Compte tenu des défis que connaît le secteur des centres d’appels, quelles sont vos principales revendications et moyens d’action pour faire bouger les choses ?
En tant que syndicat représentatif dans les centres d’appels, nous militons depuis plusieurs années pour l’instauration d’une convention collective sectorielle capable d’encadrer les conditions de travail et de prendre en compte les spécificités du métier. Nous estimons que les politiques publiques concernant ce secteur doivent être revues, car les objectifs attendus ne sont pas atteints. Si rien n’est fait, des milliers de salariés risquent de perdre leur emploi, faute de perspectives et d’employabilité.
Il est donc urgent que l’État agisse, que le ministère du Travail renforce le contrôle des centres d’appels, réalise un état des lieux précis, et veille au respect effectif des droits syndicaux. Car malgré notre représentativité dans plusieurs entreprises, le terrain montre une réalité différente, marquée par des tentatives de contournement du fait syndical. Dans un Maroc qui se veut souverain et émergent, il est indispensable de mettre en place une politique nationale qui protège à la fois les travailleurs et l’intérêt général, sans céder aux pressions de certains investisseurs étrangers.
- La nouvelle loi française sur le démarchage a provoqué une vague de licenciements dans les centres d’appels. Quelle est votre position face à cette crise ?
Nous avons d’abord exprimé notre désaccord face à cette situation. Nous estimons que si des plans sociaux devaient être mis en place, ils doivent impérativement respecter la législation nationale. Il est inacceptable de surprendre les salariés avec des ruptures conventionnelles négociées à la hâte, sans leur garantir le minimum légal en matière d’indemnités et de droits.
Nous appelons donc les salariés à s’unir et à s’organiser syndicalement pour défendre collectivement leurs acquis. Il est essentiel de ne pas rester à la merci d’employeurs qui, au nom de la rentabilité, cherchent à réduire les coûts au détriment des travailleurs, sans se soucier des conséquences sociales.
- Quelle est la prochaine action envisagée ?
Notre projet actuel consiste notamment à syndiquer davantage d’entreprises, en particulier celles du marché canadien récemment installées au Maroc, et à développer des propositions en vue de négocier une convention collective avec le patronat.
Modérateurs de contenu : Nettoyer l’horreur numérique au prix de sa santé mentale
Sous la surface du numérique propre, il y a aussi ceux qui filtrent l’impensable. Dans le monde de l’offshore, la modération de contenu est l’un des secrets les mieux gardés. Un métier invisible, méconnu du grand public, et pourtant essentiel au bon fonctionnement des plateformes en ligne. Dans l’ombre des écrans, ces “nettoyeurs du web” sont confrontés chaque jour à l’horreur numérique, sans que personne n’en parle vraiment.
Cette tâche, aussi essentielle qu’invisible, a un prix. Modérer du contenu violent est désormais considéré comme l’un des emplois les plus dangereux du XXIème siècle. En effet, ces professionnels sont exposés quotidiennement, souvent entre 8 et 10 heures, à des images et vidéos extrêmement choquantes, allant de l’automutilation au suicide en passant par la pédophilie sur les réseaux sociaux. C’est ce qu’explique Nabil Benjoua, manager chez UMT Teleperformance.
Selon lui, ce travail est très sensible et soumis à des règles strictes de confidentialité. Avant même de commencer leur formation, les salariés doivent signer un contrat de non-divulgation les empêchant de parler de leur employeur, du lieu ou de la nature de leur travail. « Ce métier demande un fort engagement émotionnel, ce sont des “cleaners” du web, souvent rémunérés au SMIC, et pour la plupart diagnostiqués avec un syndrome de stress post-traumatique sévère. Face à cette réalité, les entreprises recrutent sans cesse de nouveaux jeunes modérateurs, dont le contrat prend fin dès que leur charge émotionnelle devient insupportable », précise-t-il.
Nabil Benjoua révèle aussi que ces modérateurs sont dans l’incapacité d’évoquer leur travail, même avec leurs proches. « Beaucoup souffrent aujourd’hui de dépression, de dépendance, voire consomment des stupéfiants pour oublier les scènes de violence qu’ils ont vues ». Face à ce silence imposé et aux conséquences psychologiques profondes que subissent ces travailleurs de l’ombre, le constat devient alarmant. Ce n’est plus seulement une question de conditions de travail, mais de santé mentale, de dignité et de responsabilité collective. Il appelle donc à un véritable accompagnement psychologique et à une politique de santé et de sécurité adaptée pour protéger ces modérateurs. Par ailleurs, il rappelle que l’Intelligence Artificielle pourrait aider à traiter une partie de ces flux, mais que cela demande un investissement technologique conséquent et immédiat.
Cette tâche, aussi essentielle qu’invisible, a un prix. Modérer du contenu violent est désormais considéré comme l’un des emplois les plus dangereux du XXIème siècle. En effet, ces professionnels sont exposés quotidiennement, souvent entre 8 et 10 heures, à des images et vidéos extrêmement choquantes, allant de l’automutilation au suicide en passant par la pédophilie sur les réseaux sociaux. C’est ce qu’explique Nabil Benjoua, manager chez UMT Teleperformance.
Selon lui, ce travail est très sensible et soumis à des règles strictes de confidentialité. Avant même de commencer leur formation, les salariés doivent signer un contrat de non-divulgation les empêchant de parler de leur employeur, du lieu ou de la nature de leur travail. « Ce métier demande un fort engagement émotionnel, ce sont des “cleaners” du web, souvent rémunérés au SMIC, et pour la plupart diagnostiqués avec un syndrome de stress post-traumatique sévère. Face à cette réalité, les entreprises recrutent sans cesse de nouveaux jeunes modérateurs, dont le contrat prend fin dès que leur charge émotionnelle devient insupportable », précise-t-il.
Nabil Benjoua révèle aussi que ces modérateurs sont dans l’incapacité d’évoquer leur travail, même avec leurs proches. « Beaucoup souffrent aujourd’hui de dépression, de dépendance, voire consomment des stupéfiants pour oublier les scènes de violence qu’ils ont vues ». Face à ce silence imposé et aux conséquences psychologiques profondes que subissent ces travailleurs de l’ombre, le constat devient alarmant. Ce n’est plus seulement une question de conditions de travail, mais de santé mentale, de dignité et de responsabilité collective. Il appelle donc à un véritable accompagnement psychologique et à une politique de santé et de sécurité adaptée pour protéger ces modérateurs. Par ailleurs, il rappelle que l’Intelligence Artificielle pourrait aider à traiter une partie de ces flux, mais que cela demande un investissement technologique conséquent et immédiat.