L’affaire a fait l’effet d’un coup de tonnerre à Alger : Nasser El Djinn, à bord d’une vedette rapide, a fui en pleine nuit, tel un migrant cla destin, pour se réfugier sur les côtes espagnoles. Qu’un homme de son rang, au cœur du système, choisisse l’exil clandestin illustre, mieux que tout, la déliquescence du régime et les luttes de clans qui déchirent la haute hiérarchie militaire depuis près d’une décennie.
Une chasse à l’homme digne des années noires est lancée à Alger. La réaction des autorités a pris des allures d’état de siège. Hélicoptères survolant la capitale, barrages routiers, perquisitions massives : tout le week-end, la ville a vécu au rythme d’une vaste « opération cage ». Les habitants, piégés dans d’interminables embouteillages, n’en comprenaient pas les raisons.
Haddad, vétéran de la guerre contre les groupes islamistes armés dans les années 1990, connaît mieux que quiconque les méthodes de traque et de contre-guérilla. Cette expérience lui a probablement permis de déjouer l’impressionnant dispositif sécuritaire. La presse nationale, fidèle à sa loi du silence, n’en a rien dit ; seuls les réseaux sociaux ont relayé l’évasion. L’agence officielle APS s’est bornée à annoncer une réunion exceptionnelle du Haut Conseil de sécurité, présidée par Tebboune, en présence du chef d’état-major Saïd Chengriha, sans préciser l’ordre du jour.
Une armée de généraux déserteurs
Haddad connaît bien l’Espagne, où il possède plusieurs biens. Déjà, en 2019, il y avait trouvé refuge pour échapper aux purges lancées par le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah, après l’éviction du tout-puissant général Mohamed Mediène et le démantèlement du DRS, le Département du renseignement et de la sécurité.
L’Espagne est devenue, au fil des années, le sanctuaire des dignitaires militaires algériens en disgrâce. Le général Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense, y avait élu domicile en juillet 2019, fuyant la justice militaire, qui l’avait condamné à 20 ans de prison, avant de regagner Alger peu avant sa mort, en 2023.
Quelques mois plus tôt, le général-major Habib Chentouf, ex-chef de la 1ʳᵉ Région militaire, avait déserté son poste pour s’installer en famille dans la péninsule ibérique. D’autres exils se sont achevés de façon dramatique, tel celui du colonel Omar Benchaid et de son fils, morts mystérieusement en 2001, percutés par un train à Alicante.
Quant au général-major Ghali Belksir, ancien commandant de la Gendarmerie nationale (2018-2019), il a préféré Paris, où il dispose d’importants biens immobiliers.
La mort brutale de Gaïd Salah en décembre 2019 avait permis à Haddad de regagner Alger. Promu général en juillet 2022, il fut successivement nommé directeur du Centre principal opérationnel, puis, en juin 2024, placé par Tebboune à la tête de la DGSI. Mais en Algérie, les fidélités sont éphémères.
Mais l’évasion du « Djen » de sa résidence surveillée qui n’est autre qu’une nouvelle villa qu’il tout récemment acquise, révèle bien plus qu’un simple dysfonctionnement. Elle met en lumière la fragilité d’un système où les clans se déchirent et où, en dix ans, près de 200 officiers supérieurs – dont plus d’une soixantaine de généraux – ont fini derrière les barreaux. Le tout au gré des humeurs du chef d’état-major Saïd Chengriha, maître absolu d’une armée où des hommes jadis tout-puissants sont réduits au silence et à l’humiliation.
L’Espagne, refuge… mais pas pour tous
Madrid n’a jamais livré de hauts gradés algériens à la justice de leur pays. En revanche, les officiers subalternes n’ont pas bénéficié de la même clémence. En 2022, le ministre espagnol de l’Intérieur Fernando Grande-Marlaska expulsa l’ex-gendarme Mohamed Benhalima, condamné à mort par un tribunal militaire algérien pour avoir dénoncé la corruption sur YouTube. Quelques mois plus tôt, Mohamed Abdallah, un autre ex-gendarme, avait connu le même sort, même si sa femme et ses enfants purent rester au Pays basque. Tous deux purgent aujourd’hui de lourdes peines de prison.
Ce précédent laisse penser qu’il sera difficile pour Alger d’obtenir l’extradition d’Abdelkader Haddad. D’autant que, contrairement à la Turquie – qui avait livré l’adjudant Guermit Bounouira, ancien secrétaire particulier de Gaïd Salah –, l’Espagne s’est toujours montrée réticente à céder aux pressions d’Alger. Or Bounouira détenait deux dossiers explosifs : l’un sur les liens compromettants de Tebboune avec des hommes d’affaires turcs, l’autre sur le réseau de trafic de haschich attribué au général Chengriha.
Le spectre de la justice internationale
Pour autant, Haddad n’est pas à l’abri de poursuites. Il fait déjà l’objet d’une plainte en Espagne pour son rôle présumé dans l’enlèvement de l’auteur de ces lignes, à Barcelone, le 17 octobre 2024 – un acte criminel commandité, selon plusieurs sources, en connivence avec un réseau de narco-trafiquants dirigé par un certain « Eltarta ».
Par ailleurs, des familles de disparus de la « décennie noire » envisagent de déposer contre lui une plainte pour crimes contre l’humanité. Selon un ancien sous-officier du renseignement, plusieurs disparus auraient été exécutés sommairement, de sang-froid, dans une caserne de Ben Aknoun par Nasser El Djinn et ses acolytes. Un témoignage glaçant corroboré sur YouTube par un certain sergent-chef Houari, lui-même auteur d’exécutions.
La désertion du général Abdelkader Haddad n’est pas une simple fuite : elle risque d’ouvrir la boîte de Pandore. Elle expose les fractures d’une armée dévorée par ses propres clans, révèle les secrets d’un pouvoir corrompu et délabré, et met en danger les figures les plus haut placées de l’État. L’Algérie, déjà fragilisée, n’avait pas besoin d’un scandale de plus. Mais celui-ci pourrait bien être le plus dévastateur de tous.
Une chasse à l’homme digne des années noires est lancée à Alger. La réaction des autorités a pris des allures d’état de siège. Hélicoptères survolant la capitale, barrages routiers, perquisitions massives : tout le week-end, la ville a vécu au rythme d’une vaste « opération cage ». Les habitants, piégés dans d’interminables embouteillages, n’en comprenaient pas les raisons.
Haddad, vétéran de la guerre contre les groupes islamistes armés dans les années 1990, connaît mieux que quiconque les méthodes de traque et de contre-guérilla. Cette expérience lui a probablement permis de déjouer l’impressionnant dispositif sécuritaire. La presse nationale, fidèle à sa loi du silence, n’en a rien dit ; seuls les réseaux sociaux ont relayé l’évasion. L’agence officielle APS s’est bornée à annoncer une réunion exceptionnelle du Haut Conseil de sécurité, présidée par Tebboune, en présence du chef d’état-major Saïd Chengriha, sans préciser l’ordre du jour.
Une armée de généraux déserteurs
Haddad connaît bien l’Espagne, où il possède plusieurs biens. Déjà, en 2019, il y avait trouvé refuge pour échapper aux purges lancées par le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah, après l’éviction du tout-puissant général Mohamed Mediène et le démantèlement du DRS, le Département du renseignement et de la sécurité.
L’Espagne est devenue, au fil des années, le sanctuaire des dignitaires militaires algériens en disgrâce. Le général Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense, y avait élu domicile en juillet 2019, fuyant la justice militaire, qui l’avait condamné à 20 ans de prison, avant de regagner Alger peu avant sa mort, en 2023.
Quelques mois plus tôt, le général-major Habib Chentouf, ex-chef de la 1ʳᵉ Région militaire, avait déserté son poste pour s’installer en famille dans la péninsule ibérique. D’autres exils se sont achevés de façon dramatique, tel celui du colonel Omar Benchaid et de son fils, morts mystérieusement en 2001, percutés par un train à Alicante.
Quant au général-major Ghali Belksir, ancien commandant de la Gendarmerie nationale (2018-2019), il a préféré Paris, où il dispose d’importants biens immobiliers.
La mort brutale de Gaïd Salah en décembre 2019 avait permis à Haddad de regagner Alger. Promu général en juillet 2022, il fut successivement nommé directeur du Centre principal opérationnel, puis, en juin 2024, placé par Tebboune à la tête de la DGSI. Mais en Algérie, les fidélités sont éphémères.
Mais l’évasion du « Djen » de sa résidence surveillée qui n’est autre qu’une nouvelle villa qu’il tout récemment acquise, révèle bien plus qu’un simple dysfonctionnement. Elle met en lumière la fragilité d’un système où les clans se déchirent et où, en dix ans, près de 200 officiers supérieurs – dont plus d’une soixantaine de généraux – ont fini derrière les barreaux. Le tout au gré des humeurs du chef d’état-major Saïd Chengriha, maître absolu d’une armée où des hommes jadis tout-puissants sont réduits au silence et à l’humiliation.
L’Espagne, refuge… mais pas pour tous
Madrid n’a jamais livré de hauts gradés algériens à la justice de leur pays. En revanche, les officiers subalternes n’ont pas bénéficié de la même clémence. En 2022, le ministre espagnol de l’Intérieur Fernando Grande-Marlaska expulsa l’ex-gendarme Mohamed Benhalima, condamné à mort par un tribunal militaire algérien pour avoir dénoncé la corruption sur YouTube. Quelques mois plus tôt, Mohamed Abdallah, un autre ex-gendarme, avait connu le même sort, même si sa femme et ses enfants purent rester au Pays basque. Tous deux purgent aujourd’hui de lourdes peines de prison.
Ce précédent laisse penser qu’il sera difficile pour Alger d’obtenir l’extradition d’Abdelkader Haddad. D’autant que, contrairement à la Turquie – qui avait livré l’adjudant Guermit Bounouira, ancien secrétaire particulier de Gaïd Salah –, l’Espagne s’est toujours montrée réticente à céder aux pressions d’Alger. Or Bounouira détenait deux dossiers explosifs : l’un sur les liens compromettants de Tebboune avec des hommes d’affaires turcs, l’autre sur le réseau de trafic de haschich attribué au général Chengriha.
Le spectre de la justice internationale
Pour autant, Haddad n’est pas à l’abri de poursuites. Il fait déjà l’objet d’une plainte en Espagne pour son rôle présumé dans l’enlèvement de l’auteur de ces lignes, à Barcelone, le 17 octobre 2024 – un acte criminel commandité, selon plusieurs sources, en connivence avec un réseau de narco-trafiquants dirigé par un certain « Eltarta ».
Par ailleurs, des familles de disparus de la « décennie noire » envisagent de déposer contre lui une plainte pour crimes contre l’humanité. Selon un ancien sous-officier du renseignement, plusieurs disparus auraient été exécutés sommairement, de sang-froid, dans une caserne de Ben Aknoun par Nasser El Djinn et ses acolytes. Un témoignage glaçant corroboré sur YouTube par un certain sergent-chef Houari, lui-même auteur d’exécutions.
La désertion du général Abdelkader Haddad n’est pas une simple fuite : elle risque d’ouvrir la boîte de Pandore. Elle expose les fractures d’une armée dévorée par ses propres clans, révèle les secrets d’un pouvoir corrompu et délabré, et met en danger les figures les plus haut placées de l’État. L’Algérie, déjà fragilisée, n’avait pas besoin d’un scandale de plus. Mais celui-ci pourrait bien être le plus dévastateur de tous.