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Autorisation des médecins étrangers : Une solution controversée à un problème structurel


Rédigé par Anass MACHLOUKH Jeudi 17 Juin 2021

Au moment où des centaines de médecins quittent le pays chaque année, l’autorisation des médecins étrangers ne cesse de susciter un vif débat national. Entre optimisme et prudence, le médecin étranger est loin d’être perçu comme le remède à une crise structurelle.



Pas moins de 7000 médecins ont fini par quitter le Maroc vers l’étranger en quête d’une carrière plus lumineuse, selon une moyenne de 600 départs par an. Un constat alarmant qui ressort du rapport du groupe de travail thématique sur le système de santé à la Chambre des Représentants. L’hémorragie des médecins date de longtemps et témoigne d’un malaise profond au sein de l’hôpital marocain, tellement dégradé au fil des années précédentes qu’il ne donne plus envie aux médecins marocains.

Ainsi, 30% des médecins formés par les Facultés marocaines finissent à l’étranger, dans la majorité des cas en France et au Canada. Par conséquent, le système de Santé est victime d’une pénurie dévastatrice qui ronge l’hôpital public, et même le secteur privé ne s’en sort pas mieux.

Ce dont convient le ministre de la Santé Khalid Ait Taleb qui a fait état d’un déficit de 97.566 professionnels, dont 32.522 médecins, sachant qu’il existe seulement 1,7 médecin pour 1000 habitants, ce qui est largement en deçà du cap fixé par l’OMS. Un besoin énorme que le gouvernement compte combler, en partie, en ouvrant la porte aux compétences étrangères dans le cadre de la réforme du système de Santé, à travers la modification de la loi relative à l’exercice de la médecine. Celle-ci a entamé son circuit législatif et a été discutée, mercredi, par les députés à la Commission des secteurs sociaux.

Le texte proposé par le gouvernement autorise les médecins étrangers et les non-résidents à exercer dans les secteurs privé et public selon des critères. L’objectif est double : attitrer les compétences marocaines à l’étranger (près de 14.000) et encourager les médecins étrangers à venir investir au Maroc.

Avant de songer au médecin étranger, valorisons le nôtre

Bien que présentée comme une solution au marasme de la Santé, cette réforme ne fait pas l’unanimité et suscite une vive contestation de la part du corps médical marocain. Le Conseil syndical national des médecins généralistes privés (CSNMSP), le Syndicat national des médecins généralistes (SNMG), le Syndicat national des médecins du secteur libéral (SNMSL) et l’Association nationale des cliniques privées (ANCP) ont tous critiqué le texte proposé par le département de Khalid Ait Taleb, relevant plusieurs carences qui constituent, selon Saïd Afif, Président du CSNMSP « un danger sur la Santé publique ».

« SM le Roi a parlé de compétences au vrai sens du terme », nous indique-t-il. Il s‘agit du manque de contrôle des médecins étrangers qui voudraient s’installer au Maroc, sachant que le texte exempte ceux, qui sont d’ores et déjà inscrits dans l’Ordre de leur pays d’origine, de la procédure d’équivalence. Ceci pose un problème de compétence, surtout pour les médecins venant de pays connus par la manipulation des diplômes comme certains pays d’Europe de l’Est.

« Nous ne sommes pas contre la venue des étrangers, mais nous sommes contre le fait de mettre en danger la Santé publique », prévient Afif sur un ton grave. Ce dernier estime qu’il faut être plus sélectif et rigoureux dans l’admission des étrangers pour s’assurer de leur compétence et leur qualité.

« C’est une question de sécurité sanitaire », plaide le Président du CSNMSP, qui insiste sur la mise en place d’une commission dédiée à cet effet et que le texte soumis aux députés prévoit de placer sous tutelle du ministre de la Santé.

En effet, le ministère de la Santé a répondu à cette préoccupation dans un document dont « L’Opinion » détient copie, estimant que les médecins étrangers ne constituent aucun danger du moment que leur inscription dans l’Ordre de leurs pays est une garantie de leur compétence. Pour sa part, l’Ordre national des médecins demande la réciprocité (que les pays d’origine des médecins autorisés à exercer au Maroc fassent de même pour les médecins marocains).

Somme toute, les quatre organisations estiment qu’il faut amender le texte. En plus de donner la priorité aux nationaux exerçant à l’étranger, elles exigent que le recrutement des médecins étrangers soit dirigé prioritairement vers le secteur public, qui manque cruellement de ressources humaines. Quant au secteur privé, elles revendiquent que les nouveaux arrivants s’installent dans les déserts médicaux et notamment dans les régions défavorisées.

Une fausse solution à un vrai problème ?

Toutefois, faire venir des profils étrangers pour étoffer les ressources humaines au Maroc ne permet pas de résoudre complètement la décadence de l’hôpital marocain qui pâtit d’une crise systémique. La crise est liée avant tout à la formation qui fait défaut. Avant de songer au médecin étranger, il convient de parier sur la formation des médecins marocains, aux yeux de Jaâfar Heikel, épidémiologiste et expert dans l’économie de la Santé, qui estime que le pari sur l’étranger n’est pas tout à fait judicieux.

« Faire croire que les dysfonctionnements du système de Santé sont dus uniquement au problème du déficit est faux », a-t-il souligné, ajoutant, pour bien corroborer ses propos, que la stratégie de formation de 3300 médecins par an entre 2007 et 2020 a échoué. « En 14 ans, rien n’a été fait ni pour augmenter les capacités des Facultés de médecines ni pour ouvrir des Facultés privées dans les régions à fort besoin », s’est-il indigné. Selon Heikel, le marasme de notre système de Santé dépend plus du manque de Gouvernance que d’autre chose et notamment au manque d’organisation et d’harmonie entre le privé et le public.

« Un médecin libéral ne peut pas changer de région qu’après une procédure longue et complexe », a-t-il expliqué, arguant que cela exacerbe les disparités entre les régions. Dans ce sens, le Partenariat public-privé devrait être pris en compte. Partageant le même avis, Saïd Afif nous indique que la tutelle n’a pas concrétisé la convention relative au partenariat public-privé, signée en 2008, qui fluidifie la mobilité des médecins du privé vers le public en fonction des besoins des régions. « Malheureusement, cela n’a pas eu lieu », regrette-t-il.

Par ailleurs, Jaâfar Heikel considère que la productivité fait terriblement défaut dans le secteur public par rapport au privé. « Un médecin spécialiste ne fait que trois consultations par jour en moyenne, alors qu’il en faut plus de 10 », a-t-il fulminé, ajoutant qu’un chirurgien dans un hôpital public effectue moins d’interventions que ceux du privé. « Une intervention un jour sur deux, c’est incroyable », s’est-il écrié. S’ajoute à cela le taux d’occupation des lits qui ne dépasse pas en moyenne 60% dans le secteur public, alors que les rendez-vous sont très longs, selon notre interlocuteur.

Au-delà de la question de la gouvernance, la venue des médecins étrangers n’est pas aussi aisée qu’il paraît. Plus de défis se présentent dont la question de la langue, et des problèmes des déserts médicaux où les médecins étrangers ne devraient travailler que dans les hôpitaux publics vu que les habitants de ces régions n’ont souvent pas les moyens de s’offrir le luxe d’aller dans une clinique. En plus de ça, on trouve le souci de la concurrence avec les cliniques privées qui redoutent une concurrence déloyale.
Anass MACHLOUKH

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Trois questions à Allal Amraoui


« Si nous voulons accueillir les médecins étrangers, il faut que notre système de Santé soit attractif »
 
Allal Amraoui, député istiqlalien à la Chambre des Représentants, a répondu à nos questions sur les défis que pose l’autorisation des médecins étrangers à pratiquer au Maroc.

- Le Maroc s’apprête à accueillir les médecins étrangers à exercer ici au Royaume, en tant que député, êtes-vous d’accord avec ce principe ?
- D’abord, je rappelle que l’ouverture sur les compétences étrangères est une recommandation royale, que SM le Roi a exprimée dans deux discours. Actuellement, notre système de Santé manque cruellement de médecins et de staff médical, un déficit d’autant plus palpable que le gouvernement a failli à sa stratégie de formation de 3300 médecins en 2020 (contre 2200 seulement formés) et a échoué face à l’hémorragie des cadres qui immigrent chaque année. Ce qui témoigne d’un malaise profond au sein du système de Santé. Toutefois, si le Maroc veut s’ouvrir sur les compétences étrangères, il doit concomitamment renforcer la formation des médecins marocains dans le cadre d’une stratégie globale de formation.

- Comment peut-on attirer des compétences étrangères avec un système de Santé aussi détérioré que le nôtre?
- Quand on parle de compétences étrangères, il faut donner d’abord la priorité aux médecins marocains exerçant à l’étranger qui se comptent par milliers, avant de songer aux autres nationalités. Encore faut-il les motiver par des incitations pour les convaincre à rentrer au pays, en améliorant notre système de Santé pour le rendre plus attractif par rapport au marché international. C’est un travail de longue haleine. Ceci requiert un investissement considérable dans les infrastructures et une amélioration des conditions de travail des médecins en termes de salaires et de statut. Il est important que les médecins soient incités en fonction de leur rendement. Autrement, on ne pourrait pas faire venir les bons profils et on se contentera d’une main d’oeuvre peu qualifiée, ce qui est contraire à l’esprit même de la réforme.

- Comme le secteur privé redoute une concurrence déloyale des profils étrangers, qu’en pensez-vous ?
- Quand on parle du privé et surtout du risque de la concurrence déloyale, c’est l’Ordre des médecins qui doit veiller à l’éthique et la déontologie et s’acquitter de son devoir institutionnel. J’ajoute que l’Ordre des médecins a un rôle important, en matière de contrôle des profils étrangers qui voudront s’installer au Royaume et examiner leur conformité avec les conditions requises par le législateur.
Recueillis par A. M.