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Apiculture : À la veille du Ramadan, les ruches s’effondrent [INTÉGRAL]


Rédigé par Rime TAYBOUTA Mercredi 7 Février 2024

A l’approche de chaque Ramadan, les Marocains affluent vers les vendeurs de miel pour préparer les délices du mois sacré. Sauf que cette année, la demande n’est pas au rendez-vous suite à la flambée des prix, dont les causes vont au-delà de la sécheresse. Reportage.



La végétation souffre depuis l’été dernier et les apiculteurs craignent le pire.
La végétation souffre depuis l’été dernier et les apiculteurs craignent le pire.
L’eau se fait rare et bientôt peut-être il n‘y aura plus une goutte de miel. Comme partout au Maroc, à Sidi Bennour, ville située dans la partie Sud de la région de Casablanca-Settat, à 70 km d’El Jadida, il n'a pas plu de manière significative depuis septembre dernier. La végétation souffre depuis l'été dernier et les apiculteurs craignent le pire. Et comme l’année dernière, les professionnels redoutent la sécheresse, qui induit un nombre de fleurs insuffisant pour permettre aux abeilles de se nourrir, et donc une baisse de la production de miel. « Pour avoir du bon produit en abondance, il faut nécessairement une longue période de pluie pour faire un bon arrosage de la nature », nous déclare M’barek, apiculteur depuis près de 30 ans, en montrant du doigt des fleurs ayant perdu leur brillance suite au manque d’eau. « La fleur qui est la matière première pour l’abeille, car elle procure son nectar et ses protéines, manque gravement, ce qui ruine nos ruches », ajoute ce cinquantenaire, déplorant la perte de 80 caisses (ruchers) l’année dernière.

Au niveau national, la production de miel a baissé d’environ 70% en 2022, à cause de l'effondrement des colonies d’abeilles. La situation ne s’est guère améliorée en 2023, ce qui a poussé les éleveurs à organiser, pour la première fois de leur Histoire, un sit-in devant la Direction de Développement des Filières de Production à Rabat.

Cela dit, Saïd Aboulfaraj, directeur d’un bureau d’études spécialisé en apiculture, ingénieur agronome et expert apicole, ne s’étonne pas de voir ces résultats, du moment que la faiblesse des pluviométries affecte quantitativement les sécrétions nectarifères des plantes qui sont la source des miels produits. « La production de miel en sera nécessairement affectée d’autant plus que la rareté des ressources va accentuer la concentration des colonies au niveau des zones les plus propices à la production, d’où un partage des faibles ressources disponibles entre un grand nombre de colonies », explique notre expert. De plus, les hautes températures notées cette année associées au stress hydrique « ont entraîné la floraison de certaines plantes à des moments inhabituels (certains agrumes ont fleuri au mois de décembre…) et d’autres qui vont connaître une floraison réduite (rosacées) à cause du manque de froid », ajoute Aboulfaraj. Au niveau des zones de montagnes et des zones à plantes spontanées exploitées par les apiculteurs, le stress hydrique va entraîner un développement végétal limité de ces plantes et par conséquent une floraison réduite jusqu’à absente. En clair, l’année s’annonce maigre. Mais ce qui inquiète le plus les apiculteurs, c’est que la catastrophe ne se limiterait pas à cette année. « Des années terribles sont à venir… que Dieu nous protège », soupirent Aïcha et Fatima, chargées d’une petite coopérative à Ouled Nemma, dans la région de Béni Mellal. Toutes deux partagent la même idée : « Si la situation reste la même, c'est toute la profession qui est remise en question » dans la zone où elles habitent.  

Dans ce sens, Saïd Aboulfaraj affiche un certain pessimisme, estimant que vu l’état actuel des choses, « l’équilibre de cette activité est impossible à rétablir ». « Les apiculteurs doivent améliorer et adapter leurs interventions aux contextes de sécheresse actuelle et seuls les apiculteurs professionnels disposant de technicité adaptée à de telles situations pourront contribuer à l’approvisionnement du marché », précise-t-il.
 
 

Les prix à la hausse, la demande en baisse

Dans ce contexte climatique difficile et à l’approche du Ramadan, les prix du miel connaissent une flambée. La hausse varie entre 15% et 25% selon le type végétal. « Pour le miel d’agrumes, les prix explosent. Résultat : les clients qui achetaient plusieurs kilogrammes se contentent de prendre 1 ou 2 kg », se désole Aïcha, qui engrangeait il y a quelques années des revenus importants à l’approche de chaque Ramadan. Pour les producteurs, la demande n’a pas changé par contre. « Nous vendons aux distributeurs tout ce que nous produisons, avec un prix légèrement plus élevé. Mais ça ne veut pas dire que les vendeurs parviennent à liquider leurs stocks », selon M’barek, notre apiculteur de Sidi Bennour. Mais une chose est sûre : cette augmentation se répercutera finalement sur le pouvoir d’achat du consommateur.

De son côté, le Syndicat National des Apiculteurs professionnels tient le Plan Maroc Vert (PMV) pour responsable de cette situation. La volatilité des prix et la fragilité de la filière sont dues à l’exclusion et la marginalisation des vrais professionnels de l’apiculture, selon le syndicat, qui appelle à « chasser les intrus » et protéger la filière. Et face à la fragilité du secteur, l’Etat s’ouvre aux importations, qui constituent, selon les professionnels, la ruine totale.
 
Le PMV en question

« Depuis des années, les besoins en miel du pays sont couverts en grande partie par les importations, car malgré les efforts déployés par le PMV, les objectifs n’ont pas été atteints. Les 16.000 T prévus par le PMV en 2020 n’ont été atteints qu’à hauteur de 6500T en 2022 et 7300T en 2021, soit une amélioration de 38% en 2022 par rapport à 2009 », détaille Saïd Aboulfaraj. Ceci a été le résultat du passage du nombre de ruches modernes totales de 111.000 à 640.000 durant la même période. L’augmentation est donc liée, selon l’expert, à l’accroissement du nombre et non à l’amélioration de la technicité qui devrait être le facteur d’accroissement de la production. « Le PMV a incité une catégorie d’exploitants, encouragés par les aides attribués par l’Etat, à s’investir en apiculture que nous pouvons qualifier d’apiculture de cueillette, d’où un gap important en productivité entre les apiculteurs techniquement professionnels et les autres », ajoute M. Aboulfaraj.

Pour cette année et à l’approche du Ramadan, il est fort probable que les importations explosent pour combler les besoins d’un marché déficitaire et pour pouvoir offrir aux consommateurs des miels plus abordables que les miels produits localement, estime notre interlocuteur. Le Syndicat National des Apiculteurs professionnels appelle ainsi à soutenir le miel local en activant des mécanismes d’accompagnement, car au-delà de la production de miel, le secteur est un garant de la biodiversité.

Trois questions à Saïd Aboulfaraj : « Je suis pessimiste, l’équilibre est impossible à rétablir. Il faut juste appliquer les mesures qui peuvent atténuer le déséquilibre »

Ingénieur agronome et expert apicole, Saïd Aboulfaraj diagnostique pour « L’Opinion » l’état du secteur apicole.
Ingénieur agronome et expert apicole, Saïd Aboulfaraj diagnostique pour « L’Opinion » l’état du secteur apicole.
 
  • La sécheresse impacte plusieurs activités agricoles et d’élevage, notamment l’apiculture, quels sont les dégâts générés par la sécheresse au niveau de ce secteur ?

- L’exercice de l’apiculture suppose l’adéquation de facteurs impliquant trois composantes principales : les conditions météorologiques, le couvert végétal et la colonie d’abeilles. Seule la 3ème composante est contrôlable par l’agent qui exerce le métier d’apiculteur. Celui-ci n’a aucune influence sur les conditions climatiques qui régissent dans la région et qui affectent principalement le couvert végétal qui constitue la source d’affouragement des abeilles. Elles affectent aussi directement la colonie et l’apiculteur qui doit s’adapter à chaque situation en choisissant les méthodes techniques d’intervention les plus adaptées à chaque situation.
Il est donc évident que si les conditions climatiques sont défavorables, le couvert végétal sera affecté qualitativement et quantitativement à travers les réactions des plantes pour essayer de s’acclimater aux conditions particulières.
 
  • Le contexte de la sécheresse est confirmé, quelles sont les mesures à prendre par les différents acteurs concernés pour rétablir l’équilibre du secteur ?

- Je suis pessimiste, l’équilibre est impossible à rétablir. Il faut juste appliquer les mesures qui peuvent atténuer le déséquilibre. Ceci ne peut se faire que par les apiculteurs eux-mêmes qui doivent améliorer et adapter leurs interventions aux contextes de la sécheresse actuelle. Les interventions ne doivent pas être celles pratiquées dans les années climatiquement normales. D’autre part, ils doivent adapter le nombre de colonies dans une région aux capacités prévisionnelles de production. La concentration des colonies au niveau des sites ne contribue qu’à la propagation des maladies en l’absence d’un programme national de lutte contre les maladies et les ravageurs des abeilles et à une productivité limitée étant donné les rares ressources à partager entre les apiculteurs et entre les colonies.
 
  • Quel est l’impact de ce déséquilibre sur la biodiversité ?

- L’abeille ainsi que les autres insectes pollinisateurs sont un facteur important du maintien de la biodiversité. Or, l’absence ou la raréfaction des ressources végétales va affecter la population des insectes pollinisateurs qui va décliner. En déclinant, la pollinisation ne sera pas correctement réalisée et on va se retrouver dans un cercle vicieux où le serpent se mord la queue.

Ceci risque de s’aggraver par l’exploitation humaine de certaines plantes (aromatiques et/ou médicinales) pour d’autres usages. Or, en période de sécheresse, la fructification et le développement végétal de ces plantes sont limités d’où le risque de surexploitation et de disparition de certaines plantes qui constituent des composantes fondamentales de la biodiversité de certaines régions fragilisées par la succession des années sèches.

Le secteur apicole a donc encore besoin d’organisation. Il n’est pas nécessaire d’augmenter le nombre de colonies, ce qui génère des conflits entre apiculteurs et exploitants agricoles, il faut améliorer la technicité des exploitants (professionnaliser la profession) et créer une collaboration win-win entre agriculteurs et apiculteurs.
 
 
 

Production : L’impact du Plan Maroc Vert sur la filière apicole

 
Le secteur apicole joue un rôle socio-économique très important. En effet, plus de 36.000 apiculteurs tirent leur revenu en totalité ou en partie de cette activité. De plus, l’apiculture joue un rôle essentiel dans la pollinisation des plantes naturelles et cultivées, tout en améliorant la quantité et la qualité des productions végétales, notamment l’arboriculture fruitière, le maraîchage, et les cultures industrielles.

Les potentialités apicoles au Maroc sont très importantes grâce aux ressources mellifères très diversifiées, principalement les forêts d’Eucalyptus, les cultures industrielles (tournesol, colza...), les plantes naturelles de montagne (Thym, Euphorbe, Romarin, Lavande, Armoise), les plantes spontanées et les forêts.

La filière apicole compte désormais plus de sept types de miel labellisés : il s’agit du miel d’Euphorbe de Tadla-Azilal, du miel de l’Arbousier de Jbel Moulay Abdeslam, du miel d’Euphorbe du Sahara, région de Guelmim et de Souss-Massa, du miel de Zendaz de Fès-Boulemane, et du miel de Thym du Souss-Massa.

Grâce au Plan Maroc Vert (PMV), la filière a connu une évolution importante du nombre d’apiculteurs. Celui-ci est passé de 22.045 en 2009 à 36.300 apiculteurs en 2019 (soit un accroissement de +65%). La production est passée de 4.717 T en 2009 à 7.960 T de miel en 2019, soit un accroissement de +69%. Derrière cette nette progression, 850 unités de culture ont été équipées de matériaux destinés à favoriser leur production et 110 projets apicoles ont été réalisés dans le cadre des projets Pilier II, ainsi que quelque 19 projets d’agrégation autour des unités de valorisation et/ou conditionnement.