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ALE avec la Turquie : Comment les produits turcs résistent aux mesures prudentielles du Maroc [INTÉGRAL]


Rédigé par Mohamed ARHRIB Mardi 30 Avril 2024

Malgré la révision de l’Accord de Libre Echange (ALE) Maroc-Turquie, les exportations turques vers le Royaume explosent, tandis que les importations restent limitées, creusant davantage le déficit commercial. Quels sont les facteurs derrière cette contre-performance ? Décryptage.



En ce début de l’année 2024, les exportations turques vers le Maroc poursuivent leur courbe haussière. Durant le premier trimestre, leur valeur a atteint 733 millions de dollars, faisant de Rabat le second client africain d’Ankara. Au cours des 20 dernières années, les échanges commerciaux entre les deux pays sont passés de 700 millions de dollars à 4,4 milliards, avec une balance commerciale très déficitaire côté marocain. En 2019, l’ex-ministre de l’Industrie, Moulay Hafid El Alami, avait tiré la sonnette d’alarme appelant à une révision totale de l’Accord de Libre Echange (ALE), scellé en 2006 entre les deux pays. En 2020, le Maroc trouve un accord avec les Turcs, obtenant une liste négative de produits sur lesquels les droits de douanes seront rétablis à hauteur de 90% du droit commun. Il s’agit de plus de 1200 produits locaux impactés par les importations de Turquie et regroupés en 630 positions tarifaires. La liste porte sur des produits relevant des secteurs du textile et habillement, du cuir, de la métallurgie, de l’électricité, du bois et de l’automobile. Mais malgré ces mesures, la balance penche toujours vers l’économie turque. « Contrairement au Maroc, qui a du mal à rééquilibrer ses relations commerciales, la Turquie bénéficie de l’expertise et de la maturité industrielle de l’Union Européenne sans être soumise aux contraintes légales et salariales de celle-ci », explique Anas Abdoun, Senior Analyst Africa & Middle-East chez Stratas Advisors. Cette dynamique explique pourquoi le Royaume peine à trouver un avantage compétitif dans ses échanges commerciaux avec des partenaires tels que la France, ajoute l’expert.

De plus, l’offre d’exportations industrielles en Turquie est très diversifiée et abondante, ce qui n’est pas le cas au Maroc. « La Turquie dispose d’un tissu économique basé sur un modèle similaire à celui de l’Allemagne, axé sur les exportations industrielles et soutenu par un réseau dense de PME spécialisées. En revanche, au Maroc, l’industrie est davantage tirée par l’investissement étranger, ce qui limite la diversité et la compétitivité de son offre exportable », ajoute notre analyste. 
 
Industrie forte, mais pas que…

Tout en confortant les propos de Abdoun, Abdelghani Youmni, économiste et spécialiste en politiques publiques, rappelle que le Maroc subit localement et mondialement « une farouche concurrence turque souvent dénoncée comme déloyale et à forte tonalité en dumping en tout genre par l’AMITH ». En effet, les entreprises turques procèdent via des délocalisations d’enseignes dans la plupart des villes du Maroc, « un procédé connu en commerce international sous la dénomination de détournement du trafic », commente note économiste, soulignant que ce type d’entrisme détruit des milliers d’emplois localement dans des secteurs pourvoyeurs d’emplois pour les jeunes et les couches populaires. De son côté, El Hassane Hzaine, chercheur et ancien DG du Centre islamique pour le développement du commerce (CIDC), complète que « la compétitivité des produits turcs sur le marché marocain et arabe en général est stimulée par une combinaison de facteurs, notamment l’affinité culturelle, la proximité géographique, la diversité des produits, la qualité, les prix, les stratégies marketing, la qualité perçue et la reconnaissance de la marque par le système de promotion des exportations ». D’autre part, notre expert mentionne les différents obstacles commerciaux et administratifs auxquels « feraient face les produits marocains à l’entrée, d’après experts ».

Au-delà des facteurs administratifs, Anas Abdoun estime que la conjoncture aurait également dopé les exportations turques vers le Maroc. « La dévaluation de la livre a rendu les produits turcs plus attractifs sur le marché international, favorisant ainsi leur compétitivité. En parallèle, Bank Al-Maghrib a augmenté les taux d’intérêt au Maroc pour contrôler l’inflation, ce qui a pu freiner la demande intérieure et réduire la compétitivité des produits locaux par rapport aux importations turques », note l’analyste. 
 
Prendre des mesures prudentielles

Pour résorber le déficit, Abdelghani Youmni prône une « attention particulière à l’intelligence économique et à la veille sectorielle et concurrentielle ». « Cette veille doit cibler l’artisanat et les artisans comme les menuisiers, les ferronniers et le prêt à porter et prêt à manger qui risquent de passer sous le contrôle de petites et moyennes structures turques qui pratiquent le business du collier de perles (tout prendre) et le transfert des bénéfices et des dividendes en temps réel », précise l’économiste. « Il n’y a pas de recette miracle. Le Maroc doit poursuivre et approfondir les réformes de son économie conformément au Nouveau Modèle de Développement prôné par SM le Roi Mohammed VI en améliorant le climat des affaires et en attirant plus d’investisseurs nationaux et étrangers dans de nouvelles filières », selon El Hassane Hzaine. 

3 questions à El Hassane Hzaine : « Il n’y a pas de recette miracle pour résorber le déficit commercial »

El Hassane Hzaine, chercheur et ancien DG du Centre islamique pour le développement du commerce, répond à nos questions.
El Hassane Hzaine, chercheur et ancien DG du Centre islamique pour le développement du commerce, répond à nos questions.
  • Pourquoi les produits turcs sont-ils toujours performants malgré l’amendement de l’ALE ? 

Le bilan de l’implémentation de l’Accord n’est pas en faveur de la partie marocaine, principalement en raison de la compétitivité des produits turcs, d’une part, et, d’autre part, des différents obstacles commerciaux et administratifs auxquels feraient face les produits marocains à l’entrée, d’après experts. La compétitivité des produits turcs sur le marché marocain et arabe en général est stimulée par une combinaison de facteurs, notamment l’affinité culturelle (le soft power turc cinéma, culture, musique soufisme… etc.) la proximité géographique, la diversité des produits, la qualité, les prix, les stratégies marketing, la qualité perçue et la reconnaissance de la marque par le système de promotion des exportations. Tous ces facteurs contribuent collectivement au succès des produits turcs sur les marchés étrangers.
 
  • Le déficit commercial reste énorme, malgré les initiatives engagées par l’Etat marocain. Quelle en est la raison ? 

Le Maroc fait face à des compétiteurs féroces et il doit mettre les moyens pour préserver et élargir ses parts de marché à l’extérieur et affronter la concurrence des produits étrangers au marché domestique. Il n’y a pas de recette miracle pour résorber le déficit commercial avec tous les partenaires. Le Maroc doit poursuivre et approfondir les réformes de son économie conformément au Nouveau Modèle de Développement prôné par SM le Roi Mohammed VI en améliorant le climat des affaires et en attirant plus d’investisseurs nationaux et étrangers dans de nouvelles filières, en particulier celles à forte demande au Maroc et à l’étranger. Par exemple, il faudra restaurer notre tissu industriel dans les industries des produits électroménagers, les matériaux de construction, plasturgie, et d’innover dans le secteur du textile et cuir, l’agroalimentaire et l’industrie pharmaceutique. Il faut, par ailleurs, poursuivre la réforme et l’innovation de l’écosystème du commerce extérieur qui devrait passer d’un système fonctionnant en silos à un système interdépendant plus harmonieux avec un mécanisme de coordination des parties prenantes. A cela s’ajoute le renforcement du département international de la CGEM, l’ASMEX et les CRI pour accompagner l’internationalisation des PME-PMI. (NDLR : voir le reste des recommandations en article annexe).
 
  • De fortes mesures de défense commerciale seraient-elles efficaces dans le cadre de cet ALE ?

Le recours aux mesures de défense commerciale prévues par les différents accords n’est pas suffisant en soi, ce n’est qu’un palliatif limité dans le temps et dans l’espace, pour paraphraser Napoléon : « On peut tout faire avec les mesures de défense commerciale sauf s’y asseoir dessus ». Afin d’éviter à chaque fois de recourir aux mesures de défense commerciale, il serait judicieux d’engager des pourparlers bilatéraux dans le cadre du comité mixte avec la Turquie pour identifier et abaisser les obstacles commerciaux et les BNTs et poursuivre d’une manière sereine la révision périodique de l’Accord bilatéral et élargir la liste négative pour y intégrer de nouveaux produits ou en retirer ceux qui peuvent supporter la concurrence turque. On peut noter avec satisfaction que l’appel du Maroc commence à être entendu au pays du Bosphore puisque non seulement on a accepté de réviser la copie de l’accord en entérinant l’avenant à l’accord, mais surtout on a assisté depuis 2022 à une nouvelle dynamique prometteuse dans le domaine des IDE en provenance de Turquie. Toutefois il ne faudrait pas dormir sur ses lauriers et crier à la victoire ni se contenter des industries de substitution aux importations qui vont s’essouffler, en raison des contraintes du marché, mais il faudra aller au-delà et monter en gamme pour créer de nouveaux produits maroco-turcs en créant des chaînes de valeur fabriquant des produits d’origine sur la base du cumul diagonal prévu par l’accord destinés aux marchés européen, africain et arabe, voire américain.

Office des Changes : Baisse du déficit commercial global

Les récents chiffres de l’Office des Changes révèlent une amélioration notable des échanges extérieurs du pays, notamment portés par le secteur aéronautique. Ces dernières données de l’Office des changes du Maroc apportent un souffle de soulagement aux observateurs économiques. En effet, le déficit commercial du pays s’est réduit de 12,4% au cours des deux premiers mois de l’année 2024, s’établissant ainsi à 41,75 milliards de dirhams (MMDH). Cette tendance est le fruit d’une combinaison de facteurs, mettant en lumière une diminution des importations conjuguée à une augmentation des exportations. Selon les statistiques de l’Office des Changes, les importations de biens ont enregistré un recul de 1,4%, atteignant 115,5 MMDH. Parallèlement, les exportations ont connu une progression significative de 6,1%, totalisant ainsi 73,75 MMDH. Cette dynamique a permis au taux de couverture de gagner 4,5 points, se hissant à 63,9% à la fin du mois de février dernier. 
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Déficit commercial : Recommandations d’experts

Selon El Hassane Hzaine, le Maroc doit poursuivre ses réformes au niveau du tissu économique pour booster sa présence à l’international. Voici quelques recommandations :
  • L’utilisation de notre soft power (culturel, sportif, gastronomique, musical, religieux… etc.) pourrait contribuer à l’amélioration de la réputation des produits made in Morocco, ça été démontré par notre diplomatie dans la défense de notre intégrité territoriale ; 
  • Continuer et accélérer le Plan d’accélération industrielle et de substitution aux importations ;
  • Renforcer la compétitivité des entreprises existantes et développer l’internationalisation des PME ;
  • Développer les exportations des services, notamment les services professionnels, aux entreprises (développement des solutions informatiques aux entreprises), l’enseignement supérieur, et les services financiers où le Maroc dispose d’un avantage comparatif, à en juger par les performances des banques marocaines en Afrique qui ont damé le pion aux concurrents européens (banques, assurances, monétique…etc.) ;
  • Renforcer notre présence dans les institutions internationales économiques, financières et commerciales (ZLECAf, OMC, ITC, CNUCED, OMPI…etc.) et recourir aux services des institutions de support du commerce (Afric EximBank, ITFC-BID, ITC, CIDC, IFC… etc.).
  • Reconstituer le tissu industriel et inciter les anciennes familles d’industriels à retourner à l’industrie et développer l’enseignement des familles en affaires afin de préparer la relève des pères fondateurs ;
  • ​Renforcer le département de défense commerciale et le professionnaliser afin d’éviter d’être poursuivi à chaque fois par nos partenaires auprès de l’ORD de l’OMC. 



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