Ce soir-là, le 29 décembre 2025, au Balatou, nous n’étions qu’une poignée à pressentir, sans vraiment le savoir, que quelque chose de grand allait se produire. La nuit semblait suspendue.
Nedjim était là, sur la petite scène, sans fracas, avec cette présence douce et magnétique qui donne l’impression que le monde ralentit pour mieux écouter. Sa voix éraillée se posait, s’installait, ouvrait des portes invisibles. Elle portait les routes du désert, le bleu de la Méditerranée, les nuits de fête et les douleurs muettes, celles des damnés de la terre. Elle racontait des peuples entiers, dans un style andalou-algérien, portée par une guitare qui prenait l’allure d’un navire en pleine traversée, glissant sur une mer bleue sous un ciel tout aussi bleu. Même Richard Desjardins avec ses Yankees, trouve place dans son répertoire.
Après son passage à Rabat où il y’a pas longtemps, Nedjim donnait un show à grand déploiement au grand théâtre Mohammed V, il est là, à Montréal, entièrement présent, dans cette salle modeste mais néanmoins mythique, le Balatou.
Chaque note semblait chercher une âme à rejoindre. La sienne trouvait les nôtres sans effort. Chez les soufis, on appelle ça un dialogue de cœur à cœur. On aurait dit que le temps se dépliait, que les murs du Balatou, lentement s’effaçaient pour laisser place à une vaste place publique, quelque part entre Alger, Marseille, Paris, Casablanca, Munich, Strasbourg, Grenade, Rabat, Bogota, en passant toujours par Montréal et par nulle part ailleurs. Jamais reçu à Tout le monde en parle, trop occupé à faire le tour du monde.
Avec Labess, tout va bien parce que tout ne va pas bien. La musique, mine de rien, n’est plus un divertissement, mais une manière de tenir debout, de rester humain quand toutes les guerres nous poussent à devenir les derniers...
Assis, au bord de la scène, parce que plus de places, je vivais pleinement le moment, le passage, quand Nedjim a libéré quelques mots d’une chanson que d’habitude, je n’entendais que derrière les murs d’une prison. Je me suis souvenu alors de la première fois où je l’avais reçu en automne 2014, à la prison de Bordeaux, en pleine période de fureur et d’injustice à Gaza. Il était venu avec le brillant percussionniste Tacfarinas, portant sa guitare comme on porte une promesse de libération. Ce jour-là, derrière les barreaux et sous les regards assoiffés de beauté, quelque chose avait cédé. Les murs s’étaient fissurés sous le poids de ses chansons. Les hommes enfermés étaient redevenus des hommes.
Depuis, Nedjim est revenu en prison à mon invitation, encore et encore, fidèle à cette idée simple que la musique doit aller là où elle est nécessaire, même là où personne ne souhaite aller. Avec Kattam, ils ont cassé la baraque, ils ont libéré les Souverains en reprenant, à la manière gitane, les paroles de leur chanson-thème "Je quitte ma cellule, je traverse les couloirs, je salue mes amis, je leur dis à plus tard, je ne quitte pas Bordeaux, du moins pas encore, je m'évade dans les mots, et la musique des noirs". Parmi les Souverains, Nedjim était un prince accompagné d'un autre prince, Kattam.
Je revois aussi ce moment suspendu, après un concert donné pour le 25me des Souverains anonymes, quand tout le monde était parti. Il ne restait que quelques présences, des voix basses, une guitare que le chanteur rangeait lentement. Dans un coin de la salle, les Souverains se sont mis à rapper pour eux-mêmes, comme ils le faisaient souvent. La guitare est ressortie de sa boîte. L’inexplicable s’est produit. Les murs ont disparu, la prison aussi, et il n’y avait plus que des hommes libres autour d’un prince sans couronne. Un prince dont le royaume est fait de routes, de rencontres et de chansons partagées. Il n’a pas de trône, seulement une guitare et quelques compagnons, et cela suffit à faire tenir debout un monde fatigué.
Hier encore, Nedjim a ouvert la scène avec Raphaëlle Toutlemonde, dans ce geste simple et généreux qui dit tout de lui. Partager, transmettre, ne jamais garder la lumière pour soi. Raphaëlle, autrice compositrice venue du Sud-Ouest de la France, est montée sur scène pour raconter ses voyages. De sa voix douce et de sa guitare qui butine dans plusieurs couleurs, elle a séduit le public. Pour les fidèles de LABESS, une petite étoile est née ce soir-là.
Pour le reste de la soirée, Kattam et Nedjim ont fait monter la salle, jusqu’à ce point où l’on ne comptait plus les corps mais les battements de cœur accordés au même rythme. La même voix.
Nous étions 150. À la fin de la soirée, 150 mille, nous étions!
Nedjim était là, sur la petite scène, sans fracas, avec cette présence douce et magnétique qui donne l’impression que le monde ralentit pour mieux écouter. Sa voix éraillée se posait, s’installait, ouvrait des portes invisibles. Elle portait les routes du désert, le bleu de la Méditerranée, les nuits de fête et les douleurs muettes, celles des damnés de la terre. Elle racontait des peuples entiers, dans un style andalou-algérien, portée par une guitare qui prenait l’allure d’un navire en pleine traversée, glissant sur une mer bleue sous un ciel tout aussi bleu. Même Richard Desjardins avec ses Yankees, trouve place dans son répertoire.
Après son passage à Rabat où il y’a pas longtemps, Nedjim donnait un show à grand déploiement au grand théâtre Mohammed V, il est là, à Montréal, entièrement présent, dans cette salle modeste mais néanmoins mythique, le Balatou.
Chaque note semblait chercher une âme à rejoindre. La sienne trouvait les nôtres sans effort. Chez les soufis, on appelle ça un dialogue de cœur à cœur. On aurait dit que le temps se dépliait, que les murs du Balatou, lentement s’effaçaient pour laisser place à une vaste place publique, quelque part entre Alger, Marseille, Paris, Casablanca, Munich, Strasbourg, Grenade, Rabat, Bogota, en passant toujours par Montréal et par nulle part ailleurs. Jamais reçu à Tout le monde en parle, trop occupé à faire le tour du monde.
Avec Labess, tout va bien parce que tout ne va pas bien. La musique, mine de rien, n’est plus un divertissement, mais une manière de tenir debout, de rester humain quand toutes les guerres nous poussent à devenir les derniers...
Assis, au bord de la scène, parce que plus de places, je vivais pleinement le moment, le passage, quand Nedjim a libéré quelques mots d’une chanson que d’habitude, je n’entendais que derrière les murs d’une prison. Je me suis souvenu alors de la première fois où je l’avais reçu en automne 2014, à la prison de Bordeaux, en pleine période de fureur et d’injustice à Gaza. Il était venu avec le brillant percussionniste Tacfarinas, portant sa guitare comme on porte une promesse de libération. Ce jour-là, derrière les barreaux et sous les regards assoiffés de beauté, quelque chose avait cédé. Les murs s’étaient fissurés sous le poids de ses chansons. Les hommes enfermés étaient redevenus des hommes.
Depuis, Nedjim est revenu en prison à mon invitation, encore et encore, fidèle à cette idée simple que la musique doit aller là où elle est nécessaire, même là où personne ne souhaite aller. Avec Kattam, ils ont cassé la baraque, ils ont libéré les Souverains en reprenant, à la manière gitane, les paroles de leur chanson-thème "Je quitte ma cellule, je traverse les couloirs, je salue mes amis, je leur dis à plus tard, je ne quitte pas Bordeaux, du moins pas encore, je m'évade dans les mots, et la musique des noirs". Parmi les Souverains, Nedjim était un prince accompagné d'un autre prince, Kattam.
Je revois aussi ce moment suspendu, après un concert donné pour le 25me des Souverains anonymes, quand tout le monde était parti. Il ne restait que quelques présences, des voix basses, une guitare que le chanteur rangeait lentement. Dans un coin de la salle, les Souverains se sont mis à rapper pour eux-mêmes, comme ils le faisaient souvent. La guitare est ressortie de sa boîte. L’inexplicable s’est produit. Les murs ont disparu, la prison aussi, et il n’y avait plus que des hommes libres autour d’un prince sans couronne. Un prince dont le royaume est fait de routes, de rencontres et de chansons partagées. Il n’a pas de trône, seulement une guitare et quelques compagnons, et cela suffit à faire tenir debout un monde fatigué.
Hier encore, Nedjim a ouvert la scène avec Raphaëlle Toutlemonde, dans ce geste simple et généreux qui dit tout de lui. Partager, transmettre, ne jamais garder la lumière pour soi. Raphaëlle, autrice compositrice venue du Sud-Ouest de la France, est montée sur scène pour raconter ses voyages. De sa voix douce et de sa guitare qui butine dans plusieurs couleurs, elle a séduit le public. Pour les fidèles de LABESS, une petite étoile est née ce soir-là.
Pour le reste de la soirée, Kattam et Nedjim ont fait monter la salle, jusqu’à ce point où l’on ne comptait plus les corps mais les battements de cœur accordés au même rythme. La même voix.
Nous étions 150. À la fin de la soirée, 150 mille, nous étions!
Mohamed Lotfi
30 Décembre 2025
30 Décembre 2025
























