- Vous avez récemment publié votre ouvrage intitulé "L'Histoire du football africain" (octobre 2025). Cet ouvrage est-il né d'une volonté de déconstruire certains clichés occidentaux sur le football africain ?
- Dans un premier temps, j’avais l’envie de transmettre l’Histoire africaine aux personnes qui ne connaissent pas forcément leur Histoire, que ce soit sur le continent ou dans les diasporas. C’est important de ne pas oublier ce qu'il y a eu auparavant. Et évidemment, oui, l’idée était aussi de mettre un terme à ses clichés en se réappropriant notre Histoire. Il y a souvent ce problème de «paternalisme» de la part de l’Europe vis-à-vis de l’Afrique qui perdure. On apprécie le foot africain mais on a encore trop souvent cette tendance à le réduire au folklore et à de simples exploits. Exemple, en Coupe du Monde, on ne dit jamais qu'un Africain peut gagner. Et lorsqu'il y a une belle épopée, on en parle comme si c’était un petit poucet en Coupe de France. Pareil concernant le style de jeu africain qui ne serait que physique en Afrique subsaharienne ou fait de dribbleurs au Maghreb et que le seul moyen de les faire évoluer était d’amener un "Sorcier Blanc". Si pour des Hervé Renard et Bruno Metsu (paix à son âme), cela était plus du symbolique, l’idée du sauveur européen s’est un peu trop développée. Il est donc important de montrer que l’Afrique sait travailler d'elle-même avec ses talents. Autre exemple, lorsque la CAN approche, dans beaucoup de médias, on va évoquer les surnoms des équipes et les danses, etc. Mais le côté tactique n’arrive qu'après. Quand on parle de l’Euro, on ne procède pas ainsi. Il faut que les mentalités changent et respecter l’Afrique.
- Dans votre livre, vous parlez souvent de la transition entre la "passion pure" et les enjeux de "business". Selon vous, le football africain a-t-il réussi ce virage professionnel sans y perdre son âme ?
- C’est tout le pari du continent, aller de l’avant tout en conservant son originalité et son âme. Il y parvient au fur et à mesure. Le Maroc en est l’exemple parfait avec son développement exceptionnel en termes d’infrastructures, de formations et de détections. Les investissements sont nombreux et sont réussis. D’autres suivent comme le Sénégal. Ce n’est pas facile du tout car l’Afrique ne doit pas se dénaturer, mais globalement tous les acteurs du sport et de l'économie semblent enfin avoir une voix unique ces dernières années pour avancer dans ce chemin. Ce n’est que positif.
- Beaucoup de talents partent très jeunes pour l'Europe. Quelle est la clé pour que les académies locales deviennent la norme plutôt que l'exception ?
- Prenons l’exemple du Maroc, l’objectif est d’arriver un jour à 50-60% de joueurs formés localement dans la sélection A. C’est ce qui est entrepris ces dernières années chez les hommes et les femmes. Il y a une détection et une formation qui sont parfaitement effectuées. Et ce n’est pas tout puisque le Maroc forme aussi ses entraîneurs et ses techniciens. Et les résultats portent leurs fruits. Maintenant, la clé, c’est la continuité et l’encadrement. Il faut que cela perdure. Il convient de ne pas relâcher les efforts et de mettre les moyens humains et financiers pour continuer. C’est l'unique clé.
- Quel regard portez-vous sur l'organisation de la CAN 2025 au Maroc ? Est-ce là le nouveau gisement de croissance pour le sport africain ?
- La barre a été mise très haute de la part du Maroc, qui prouve qu'il est une véritable locomotive du continent. Cette organisation, avec des stades de dernière génération, a fait rougir de nombreux pays dans le monde entier, des complexes hôteliers de qualité et une expérience fan géniale avec des fan zones superbes, et va ouvrir la porte à une nouvelle ère du football et du sport africains. Avec les Jeux olympiques de la jeunesse l’an prochain au Sénégal et la Coupe du Monde 2030, sans oublier l'organisation de la BAL (Basket African League), l’Afrique prouve qu'elle est en pleine croissance dans ce secteur.
- Selon vous, le "modèle marocain" est-il exportable sur le continent ?
- Il est partiellement exportable en Afrique, on peut dire. Pourquoi ? Il repose sur une vision à long terme, des infrastructures modernes et une politique de formation efficace, qui peuvent inspirer d’autres pays africains. Mais il nécessite des moyens financiers importants et une stabilité institutionnelle. On peut plutôt parler d’un modèle d’inspiration que d’un modèle exportable.
- En quoi l'organisation conjointe du Mondial 2030 avec l'Espagne et le Portugal est-elle, selon vous, l'aboutissement d'une véritable "diplomatie sportive" marocaine entamée il y a plus d'une décennie ?
- La diplomatie par le sport est une donnée que les Occidentaux ont énormément utilisée depuis plus de 50 ans. Cela n’a jamais été le cas, ou rarement, en Afrique. Le Maroc a très bien compris l’importance de ses passerelles entre les pays. Et c’est à merveille que cela a abouti à l’organisation conjointe de la Coupe du Monde. Elle prouve que l’on peut ressouder les liens diplomatiques à travers le sport. Depuis plus d’une décennie, le Maroc a investi dans des infrastructures sportives modernes, renforcé sa présence dans les instances du football africain et international, et multiplié les partenariats sportifs avec l’Europe et l’Afrique. Les performances sportives récentes, notamment en Coupe du Monde 2022, ont aussi renforcé sa crédibilité. Le soft power, ou sportocratie, est un élément stratégique qui permet le rayonnement international. Et tout le monde l’utilise depuis la nuit des temps dans le monde. Et le Royaume a compris son importance.
- Par ailleurs, comment le traitement médiatique du football africain a-t-il évolué depuis vos débuts ?
- À mes débuts, il était trop souvent résumé par des clichés (manque de discipline, folklore dans les tribunes, surnoms des sélections...) et peu couvert hors des grandes compétitions. Il y a encore en Europe ces sujets (notamment celui sur les surnoms) mais aujourd’hui, il est plus analysé et valorisé. On parle tactique, formation, projets fédéraux et de performances internationales. Les succès récents des sélections africaines, l’émergence de joueurs de classe mondiale et les infrastructures marocaines notamment ont contribué à donner au football africain une visibilité plus respectueuse et plus professionnelle, même si certains stéréotypes persistent encore...
- Dans un premier temps, j’avais l’envie de transmettre l’Histoire africaine aux personnes qui ne connaissent pas forcément leur Histoire, que ce soit sur le continent ou dans les diasporas. C’est important de ne pas oublier ce qu'il y a eu auparavant. Et évidemment, oui, l’idée était aussi de mettre un terme à ses clichés en se réappropriant notre Histoire. Il y a souvent ce problème de «paternalisme» de la part de l’Europe vis-à-vis de l’Afrique qui perdure. On apprécie le foot africain mais on a encore trop souvent cette tendance à le réduire au folklore et à de simples exploits. Exemple, en Coupe du Monde, on ne dit jamais qu'un Africain peut gagner. Et lorsqu'il y a une belle épopée, on en parle comme si c’était un petit poucet en Coupe de France. Pareil concernant le style de jeu africain qui ne serait que physique en Afrique subsaharienne ou fait de dribbleurs au Maghreb et que le seul moyen de les faire évoluer était d’amener un "Sorcier Blanc". Si pour des Hervé Renard et Bruno Metsu (paix à son âme), cela était plus du symbolique, l’idée du sauveur européen s’est un peu trop développée. Il est donc important de montrer que l’Afrique sait travailler d'elle-même avec ses talents. Autre exemple, lorsque la CAN approche, dans beaucoup de médias, on va évoquer les surnoms des équipes et les danses, etc. Mais le côté tactique n’arrive qu'après. Quand on parle de l’Euro, on ne procède pas ainsi. Il faut que les mentalités changent et respecter l’Afrique.
- Dans votre livre, vous parlez souvent de la transition entre la "passion pure" et les enjeux de "business". Selon vous, le football africain a-t-il réussi ce virage professionnel sans y perdre son âme ?
- C’est tout le pari du continent, aller de l’avant tout en conservant son originalité et son âme. Il y parvient au fur et à mesure. Le Maroc en est l’exemple parfait avec son développement exceptionnel en termes d’infrastructures, de formations et de détections. Les investissements sont nombreux et sont réussis. D’autres suivent comme le Sénégal. Ce n’est pas facile du tout car l’Afrique ne doit pas se dénaturer, mais globalement tous les acteurs du sport et de l'économie semblent enfin avoir une voix unique ces dernières années pour avancer dans ce chemin. Ce n’est que positif.
- Beaucoup de talents partent très jeunes pour l'Europe. Quelle est la clé pour que les académies locales deviennent la norme plutôt que l'exception ?
- Prenons l’exemple du Maroc, l’objectif est d’arriver un jour à 50-60% de joueurs formés localement dans la sélection A. C’est ce qui est entrepris ces dernières années chez les hommes et les femmes. Il y a une détection et une formation qui sont parfaitement effectuées. Et ce n’est pas tout puisque le Maroc forme aussi ses entraîneurs et ses techniciens. Et les résultats portent leurs fruits. Maintenant, la clé, c’est la continuité et l’encadrement. Il faut que cela perdure. Il convient de ne pas relâcher les efforts et de mettre les moyens humains et financiers pour continuer. C’est l'unique clé.
- Quel regard portez-vous sur l'organisation de la CAN 2025 au Maroc ? Est-ce là le nouveau gisement de croissance pour le sport africain ?
- La barre a été mise très haute de la part du Maroc, qui prouve qu'il est une véritable locomotive du continent. Cette organisation, avec des stades de dernière génération, a fait rougir de nombreux pays dans le monde entier, des complexes hôteliers de qualité et une expérience fan géniale avec des fan zones superbes, et va ouvrir la porte à une nouvelle ère du football et du sport africains. Avec les Jeux olympiques de la jeunesse l’an prochain au Sénégal et la Coupe du Monde 2030, sans oublier l'organisation de la BAL (Basket African League), l’Afrique prouve qu'elle est en pleine croissance dans ce secteur.
- Selon vous, le "modèle marocain" est-il exportable sur le continent ?
- Il est partiellement exportable en Afrique, on peut dire. Pourquoi ? Il repose sur une vision à long terme, des infrastructures modernes et une politique de formation efficace, qui peuvent inspirer d’autres pays africains. Mais il nécessite des moyens financiers importants et une stabilité institutionnelle. On peut plutôt parler d’un modèle d’inspiration que d’un modèle exportable.
- En quoi l'organisation conjointe du Mondial 2030 avec l'Espagne et le Portugal est-elle, selon vous, l'aboutissement d'une véritable "diplomatie sportive" marocaine entamée il y a plus d'une décennie ?
- La diplomatie par le sport est une donnée que les Occidentaux ont énormément utilisée depuis plus de 50 ans. Cela n’a jamais été le cas, ou rarement, en Afrique. Le Maroc a très bien compris l’importance de ses passerelles entre les pays. Et c’est à merveille que cela a abouti à l’organisation conjointe de la Coupe du Monde. Elle prouve que l’on peut ressouder les liens diplomatiques à travers le sport. Depuis plus d’une décennie, le Maroc a investi dans des infrastructures sportives modernes, renforcé sa présence dans les instances du football africain et international, et multiplié les partenariats sportifs avec l’Europe et l’Afrique. Les performances sportives récentes, notamment en Coupe du Monde 2022, ont aussi renforcé sa crédibilité. Le soft power, ou sportocratie, est un élément stratégique qui permet le rayonnement international. Et tout le monde l’utilise depuis la nuit des temps dans le monde. Et le Royaume a compris son importance.
- Par ailleurs, comment le traitement médiatique du football africain a-t-il évolué depuis vos débuts ?
- À mes débuts, il était trop souvent résumé par des clichés (manque de discipline, folklore dans les tribunes, surnoms des sélections...) et peu couvert hors des grandes compétitions. Il y a encore en Europe ces sujets (notamment celui sur les surnoms) mais aujourd’hui, il est plus analysé et valorisé. On parle tactique, formation, projets fédéraux et de performances internationales. Les succès récents des sélections africaines, l’émergence de joueurs de classe mondiale et les infrastructures marocaines notamment ont contribué à donner au football africain une visibilité plus respectueuse et plus professionnelle, même si certains stéréotypes persistent encore...
Portrait
Saïd El Abadi, un archiviste de la passion africaine
Journaliste au carrefour de deux rives, Saïd El Abadi ne se contente pas de commenter les scores, il analyse les trajectoires d’un continent. Visage bien connu du groupe Canal+ en France et voix écoutée sur les ondes de nombreuses radios, émissions et podcasts consacrés au football, à la culture et à la diaspora, il incarne cette nouvelle génération de reporters qui refusent de dissocier le sport de la sociologie et de l’Histoire.
D’origine franco-marocaine, Saïd El Abadi puise dans sa double culture une sensibilité particulière. Son regard est celui d’un observateur capable de comprendre les codes européens tout en vibrant pour les réalités africaines.
Avec la publication de son premier ouvrage, “L’Histoire du football africain”, ce jeune de 39 ans quitte le direct et l’immédiateté de l’actualité pour s’immerger dans le temps long. Sa mission est claire : documenter la dimension tactique, la rigueur institutionnelle et la capacité du continent à produire ses propres techniciens et cadres.
Journaliste au carrefour de deux rives, Saïd El Abadi ne se contente pas de commenter les scores, il analyse les trajectoires d’un continent. Visage bien connu du groupe Canal+ en France et voix écoutée sur les ondes de nombreuses radios, émissions et podcasts consacrés au football, à la culture et à la diaspora, il incarne cette nouvelle génération de reporters qui refusent de dissocier le sport de la sociologie et de l’Histoire.
D’origine franco-marocaine, Saïd El Abadi puise dans sa double culture une sensibilité particulière. Son regard est celui d’un observateur capable de comprendre les codes européens tout en vibrant pour les réalités africaines.
Avec la publication de son premier ouvrage, “L’Histoire du football africain”, ce jeune de 39 ans quitte le direct et l’immédiateté de l’actualité pour s’immerger dans le temps long. Sa mission est claire : documenter la dimension tactique, la rigueur institutionnelle et la capacité du continent à produire ses propres techniciens et cadres.






















