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Inondations : Peut-on réduire les nouveaux risques hydriques ? [INTÉGRAL]


Rédigé par Omar ASSIF Mardi 23 Décembre 2025

​Les récentes inondations montrent que le risque ne dépend plus seulement des pluies, mais de sols fragilisés, d’oueds réactivés et de territoires où l’eau circule différemment.



Depuis la mi-décembre 2025, le Maroc est confronté à un épisode d’intempéries marqué par des pluies fortes à localement très intenses, accompagnées d’orages et de ruissellements soudains dans plusieurs régions du pays. Ces pluies ont provoqué des crues-éclair particulièrement violentes dans la ville de Safi le 14 décembre, où des précipitations exceptionnelles tombées en moins d’une heure ont transformé les rues en torrents boueux, submergé des quartiers entiers et causé des pertes humaines sévères : au moins 37 personnes ont perdu la vie, et de nombreux blessés ont été pris en charge dans des structures hospitalières locales, selon le bilan officiel. Les dégâts matériels sont importants, avec des habitations, des commerces et des véhicules inondés. Parallèlement, d’autres villes du Royaume ont enregistré des accumulations pluvieuses substantielles, perturbant la circulation, suspendant l’enseignement dans certaines zones et appelant à la vigilance des autorités locales face à la poursuite des conditions météorologiques instables.
 
Écoulement et recharge

Si ces épisodes pluvieux provoquent aujourd’hui des dégâts aussi brutaux, ce n’est pas seulement en raison de leur intensité, mais aussi de la manière dont les territoires y réagissent. Plusieurs experts en hydrologie et en gestion de l’eau soulignent que les années de sécheresse successives ont modifié l’état des sols et réduit leur capacité d’infiltration. «Lorsqu’il est question de précipitations vraiment torrentielles, nous voyons des inondations où l’imperméabilité des sols joue également un rôle puisque la masse d’eau n’arrive pas à s’infiltrer rapidement dans la nappe», explique Pr Laila Mandi, experte dans le domaine de l’eau. Autrement dit, même lorsque le sol n’est pas entièrement artificialisé, l’averse peut être si intense que l’eau tombe plus vite que le terrain ne peut l’absorber : elle ruisselle alors en surface, se concentre dans les pentes et les points bas, et transforme en quelques minutes des écoulements ordinaires en ruissellements violents, capables d’envahir des rues et d’emporter des véhicules.
 
Averses traîtresses

Plusieurs études en hydrologie montrent par ailleurs que ces phénomènes s’expliquent aussi par le fonctionnement des bassins versants et des réseaux naturels d’écoulement. Les spécialistes rappellent que les oueds intermittents, caractéristiques des régions semi-arides, ne disparaissent jamais réellement, même lorsqu’ils restent à sec pendant de longues périodes. «Un oued n’est jamais définitivement inactif : il peut se réactiver dès lors que les conditions hydrologiques sont réunies», souligne Pr Laila Mandi. Lors d’averses très intenses, l’eau suit à nouveau des pentes, des dépressions et d’anciens lits parfois effacés du paysage ou de la mémoire collective. L’absence de crues pendant des années a favorisé l’implantation d’habitations et d’infrastructures dans ces zones perçues comme sûres, sans que leur fonction hydraulique ne disparaisse pour autant. Lorsque la pluie survient avec une intensité exceptionnelle, ces axes d’écoulement se réactivent brutalement à l’échelle du bassin, concentrant les volumes d’eau vers des points bas et exposant des quartiers qui n’avaient plus connu d’inondation depuis longtemps.
 
Gestion des inondations

Ces événements rappellent, comme le soulignent les agences de bassin hydraulique, la Direction générale de la météorologie et plusieurs spécialistes marocains de la gestion de l’eau, que le risque d’inondation ne peut plus être évalué uniquement à partir des crues observées par le passé. La gestion actuelle repose sur la cartographie des zones inondables, la modélisation hydrologique à l’échelle des bassins versants et les systèmes d’alerte précoce destinés à anticiper des scénarios extrêmes. Mais les experts s’accordent sur un point central : la difficulté ne réside pas tant dans la production de l’information que dans sa traduction opérationnelle, notamment dans l’aménagement du territoire et l’occupation du sol. Dans un contexte de pluies plus intenses, plus concentrées et moins prévisibles, l’enjeu n’est donc plus seulement d’anticiper l’arrivée de ces volumes d’eau pour en limiter les dégâts, mais, aussi, chaque fois que les conditions le permettent, de les capter, les ralentir et les stocker, afin qu’une ressource rare ne se transforme pas systématiquement en facteur de risque.
 

3 questions au Pr Laila Mandi, experte dans le domaine de l’eau : « Il faut réconcilier urbanisme et hydrologie »

Professeure universitaire, membre de l’Académie de l’Eau de France et anciennement directrice du Centre National d’Études et de Recherche sur l’Eau et l’Énergie, Laila Mandi répond à nos questions.
Professeure universitaire, membre de l’Académie de l’Eau de France et anciennement directrice du Centre National d’Études et de Recherche sur l’Eau et l’Énergie, Laila Mandi répond à nos questions.
  •  Du point de vue des choix d’aménagement et de la planification, quel est, selon vous, le principal angle mort des politiques publiques face au risque d’inondation au Maroc ?
 
- Le principal angle mort, c’est que l’aménagement et la planification ne tiennent pas suffisamment compte des phénomènes extrêmes. Il y a aussi un certain manque de coordination entre les acteurs, et parfois une responsabilité qui n’est pas clairement attribuée. En même temps, il faut le dire : il y a eu beaucoup de choses qui ont été faites, avec des mesures et des projets après des catastrophes comme à Ourika ou sur certains oueds. Le point qui interroge, c’est qu’on produit aussi des diagnostics, des cartographies, des notes techniques, et qu’on les laisse dans les tiroirs jusqu’à ce que la catastrophe arrive. À Safi, par exemple, une étude menée en janvier 2022 avait identifié et cartographié des zones vulnérables et une population exposée estimée à environ 850 individus. Quand on commence une étude, il faut prioriser pour en tenir compte sans attendre.
 
  • Quel est, selon vous, le déficit principal entre l’anticipation météorologique des pluies extrêmes et la capacité opérationnelle à gérer ces volumes d’eau lorsqu’ils arrivent ?
 
D’abord, quand on alerte, est-ce que tout le monde est réellement alerté et comprend l’alerte ? Il faut mieux communiquer, sensibiliser la population et la préparer à ce type d’événements. Cela passe aussi par l’éducation, dès le primaire, pour apprendre comment se comporter face à un phénomène extrême. Ensuite, on n’est pas encore assez préparé pour ce genre d’événement très rapide. Les autorités font ce qu’elles peuvent, mais il faut plus de préparation et une capacité à mobiliser plus largement l’aide et la solidarité, au-delà du seul territoire touché. Il faut retenir des leçons et formaliser des contenus simples sur ce qu’il faut faire et ne pas faire, avec un rôle important possible pour la société civile.
 
  • Quelles sont, selon vous, les conditions concrètes à réunir pour collecter, ralentir et valoriser ces apports exceptionnels, afin qu’ils contribuent durablement à la gestion de la ressource en eau ?
 
D’abord, il faut rappeler que le Maroc n’est pas parti de zéro: il y a la loi 3615, le Plan national de l’eau, et les plans directeurs (PDAIRE) qui reconnaissent l’importance de la collecte des eaux pluviales, de la recharge des nappes et de la maîtrise du ruissellement. Il existe déjà des dispositifs (seuils de recharge, petits barrages, matfias, réservoirs) et, selon le ministère de l’Équipement et de l’Eau, plus de 187 projets de collecte et de valorisation des eaux pluviales ont été réalisés, dans certaines zones, ces ouvrages peuvent couvrir jusqu’à 30% des besoins en eau conventionnelle. Mais ces solutions ne sont pas encore généralisées, donc il y a beaucoup à faire, en adaptant les réponses aux régions.Il faut réconcilier urbanisme et hydrologie : intégrer les lits d’oueds et les zones inondables dans l’urbanisme, limiter les constructions exposées, et combiner ouvrages classiques et solutions fondées sur la nature pour ralentir, infiltrer et stocker. Enfin, il faut des conditions non techniques : gouvernance, participation, responsabilités clarifiées et diagnostics rendus publics, car les récentes inondations mettent en avant une certaine difficulté qui persiste lorsqu’il s’agit d’articuler dans la pratique sécurité hydrique et sécurité face aux inondations.
 
 

Prévention des risques : Le rôle discret mais important des milieux naturels face aux crues

Les crues-éclair montrent que le risque d’inondation ne dépend pas seulement des pluies, mais aussi de la capacité des territoires à interagir avec l’eau lorsqu’elle arrive brutalement. Zones humides, prairies inondables ou mares temporaires jouent un rôle d’amortisseur en stockant temporairement les volumes et en ralentissant les écoulements vers l’aval. Dans les espaces urbains et péri-urbains, cette fonction tampon s’est fortement réduite. L’artificialisation des sols et la disparition progressive de milieux naturels ont limité la capacité d’absorption des territoires. L’eau ruisselle alors plus vite, se concentre dans les points bas et accentue les dégâts lors d’épisodes intenses. Ces écosystèmes rendent pourtant des services bien identifiés. Ils contribuent à atténuer les pics de crue, à filtrer les eaux chargées en sédiments et, lorsque les conditions le permettent, à favoriser l’infiltration. Sans constituer une réponse unique, leur préservation apparaît comme un levier complémentaire pour réduire l’exposition aux inondations.
 

Cartographie des risques : Quand les cartes ne suffisent plus à prévoir les inondations…

Pendant longtemps, l’évaluation du risque d’inondation s’est appuyée sur l’analyse des crues observées par le passé. Or, plusieurs travaux récents soulignent que cette approche montre aujourd’hui ses limites face à l’évolution rapide des régimes de pluie. Dans un ouvrage scientifique consacré à la gestion des risques au Maroc, publié en 2021, les auteurs indiquent que des progrès ont été réalisés dans l’évaluation du risque d’inondation, tout en relevant des difficultés à adapter les outils existants aux nouvelles réalités climatiques. Des études universitaires menées au Maroc montrent pourtant que des cartographies plus précises peuvent être élaborées à l’échelle locale. Une recherche consacrée à la plaine de Martil, publiée en 2020, souligne que la cartographie des zones à risque permet d’identifier les secteurs exposés en croisant relief, écoulements et occupation du sol. Ces travaux confirment l’utilité de ces outils, mais aussi leur caractère encore limité à certains bassins. Plus récemment, une étude publiée en 2024 dans une revue scientifique internationale montre que l’utilisation d’images satellitaires et de méthodes d’analyse avancées permet de mieux identifier des zones vulnérables aux inondations, parfois absentes des cartes traditionnelles. Ces recherches convergent vers un même constat : tant que la cartographie du risque restera principalement fondée sur les crues passées, elle peinera à anticiper des événements rares mais violents, devenus plus probables dans un contexte climatique changeant.


Réhabilitation des zones sinistrées

À la suite des inondations meurtrières survenues à Safi, une réunion de coordination s’est tenue le 20 décembre 2025 afin de lancer un programme de réhabilitation des zones sinistrées. Ce dispositif, mis en œuvre sur Hautes Instructions Royales, prévoit une aide d’urgence aux familles touchées, la prise en charge des logements et commerces endommagés, ainsi qu’une mobilisation des autorités locales pour accélérer la réparation des infrastructures et accompagner le retour progressif à la normale.

L’exception devient la norme
Selon les analyses climatiques nationales, les épisodes de pluies intenses sur de courtes durées tendent à se répéter au Maroc. Longtemps considérées comme exceptionnelles, ces situations s’inscrivent désormais dans une nouvelle normalité marquée par une forte variabilité climatique. L’alternance de longues périodes sèches et d’averses très concentrées augmente la probabilité de crues-éclair, invitant les gestionnaires et les territoires à intégrer ces événements non plus comme des anomalies, mais comme un risque récurrent.



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