Alors que le recours des étudiants à ChatGPT et à ses équivalents, pour répondre aux questions les plus simples, est déjà massif, les réflexions se multiplient dans le monde universitaire pour identifier les voies les plus pertinentes afin d’accompagner cette transformation révolutionnaire et inquiétante à la fois. L’accent est ainsi mis sur de nouvelles méthodes d’apprentissage qui s’imposent, mais aussi sur de nouvelles approches dans la réalisation des projets, où le recours à l’IA apparaît de plus en plus évident face à l’impuissance, des outils de vérification et de détection du plagiat.
C’est d’ailleurs cette volonté qui a réuni universitaires, chercheurs, étudiants et professionnels en technologie dans le cadre d’un colloque international tenu les 11 et 12 décembre sous le thème: “Intelligence artificielle et mutations de l’information et de la communication”.
Initié par Logos, laboratoire de recherches en communication et philosophie de la Faculté des lettres et des sciences humaines Ben M’sik de Casablanca, cet événement a permis de s'arrêter ouvertement sur la dynamique de l’enseignement supérieur à l'ère de l’IA. De la production de contenus en quelques clics à l’optimisation du travail documentaire des doctorants, en passant par l’exécution de tâches répétitives, l’IA transforme les pratiques à l’université, se sont accordés étudiants et académiciens.
Les expériences d’utilisation de nombreux jeunes mises en lumière lors de cette rencontre scientifique ont montré comment l’IA s’impose désormais comme assistant de l’étudiant en l’aidant à raffiner la rédaction linguistique et en l’assistant dans la réalisation de tâches répétitives dans le cadre de la recherche scientifique.
Dans ce cadre, une enquête menée auprès de 148 étudiants révèle que 64 % d’entre eux utilisent fréquemment l’IA, laquelle exerce un impact positif sur leur motivation et leur gestion du temps, notamment quand les temps de forte pression.
Par ailleurs, une autre enquête met en évidence un taux d’adoption beaucoup plus élevé, atteignant 98,8 %, principalement via ChatGPT. Ce niveau d’utilisation remarquablement élevé s’explique par la curiosité des étudiants face à un outil perçu comme miraculeux voire salvateur et encore leur volonté de gagner du temps. Ils y recourent particulièrement pour résumer des cours, traduire des contenus, définir des concepts ou se préparer aux examens.
Comment l’Université s’adapte et à quel prix ?
Si cette révolution offre clairement aux étudiants et aux enseignants de nouvelles opportunités pour enrichir l’apprentissage, voire le personnaliser et assurer un gain de productivité notable, elle reconfigure désormais le rôle de l’enseignant et de l’Université et transforme le cadre pédagogique, souligne Omar Guemmi, Conseiller senior Microsoft en sécurité et protection des données et Auditeur IA et cybersécurité.
Pour lui, l’Université marocaine est confrontée tout en Suisse par exemple à un défi énorme lié à la nécessité de réinventer l’évaluation et la pédagogie. Cela dit, les étudiants ne doivent plus être évalués selon le rythme d’apprentissage traditionnel, mais plutôt selon une approche qui permet de tirer pleinement parti de cette technologie, tout en préservant la qualité, l’esprit critique et la responsabilité individuelle, insiste-il, soulignant le potentiel de l’IA de devenir un outil d’apprentissage encadré et bien intégré, soutenant la réflexion humaine plutôt que de la remplacer.
Face cet enjeu, de nombreuses solutions sont apparues dans le monde, notamment des plateformes de suivi de l’usage de l’IA, méthodes d’évaluation valorisant l’argumentation et la contextualisation, et pédagogies actives exploitant l’IA pour renforcer créativité et analyse critique, ajoute notre interlocuteur.
En d’autres termes, pour rester à la pointe et renforcer l’excellence académique, “l’enseignement supérieur est appelé à envisager d’aligner ses objectifs pédagogiques sur la vitesse et le potentiel de production offerts par l’IA, en adaptant l’évaluation et le rôle des enseignants, tout en veillant à ce que l’humain reste au centre du processus éducatif”, détaille-t-il. Tout l’enjeu est d’éviter de tomber dans la dépendance intellectuelle et la perte de créativité, que ce soit pour l’étudiant ou pour l'enseignant.
Ecrivain artiste multimédia, Philippe Boisnard a insisté, dans ce sens, sur la nécessité de maintenir une vigilance critique pour garantir des usages éducatifs équitables et responsables de l’IA face aux biais structurels implicites qui façonnent, parfois à l'insu de l’utilisateur, les contours de l’information et de la communication.
De son côté, Lamiae Ed-dahni docteur en éducation a invité les enseignants à apprendre aux apprenants une utilisation responsable et consciente des outils d’IA, en intégrant des activités pédagogiques mobilisant la pensée critique, le questionnement et la distanciation réflexive. L’objectif n’est pas seulement de former des usagers compétents, mais de former des sujets capables de penser avec et contre la technologie, sans s’y soumettre passivement. Une mission qui devrait s’inscrire nécessairement dans la réforme de l’enseignement supérieur que le ministre de tutelle, Azzedine El Midaoui, s’efforce de réussir.
Trois questions à Omar Guemmi “ L’IA doit rester un outil d’aide à la décision, et non un substitut à la responsabilité humaine”
- Alors que l’Union européenne a adopté en 2024 une réglementation stricte sur l’IA, le Maroc avance encore vers un cadre juridique avec la loi « Digital X.0 », tout en accélérant le déploiement de l’IA. N’assistons-nous pas, dès lors, à une évolution à deux vitesses, entre la volonté de réguler et celle d’accélérer simultanément l’innovation ?
La notion d’une évolution « à deux vitesses » mérite d’être relativisée. Elle repose sur une opposition apparente entre régulation et innovation, alors que ces deux dynamiques peuvent avancer de concert. L’Union européenne agit dans un contexte où les usages de l’intelligence artificielle sont déjà largement déployés, ce qui justifie un cadre réglementaire structuré et exigeant. Le Maroc me semble se situe dans une phase différente, orientée vers la mise en place progressive intelligente d’un cadre juridique et économique, tout en encourageant le développement et l’adoption de l’IA. Cela dit, il s’agit moins d’une contradiction que d’une question de rythme et de priorités. L’enjeu n’est pas de choisir entre réguler ou accélérer, mais d’ajuster la régulation au niveau de maturité des usages et aux capacités réelles, dans une logique durable et responsable.
- Comment l’IA est-elle modélisée pour être neutre ou non, et comment influence-t-elle l’expérience des utilisateurs ?
L’intelligence artificielle n’est pas neutre par nature. Elle est modélisée à partir de données, de choix techniques et d’objectifs définis par des humains. Cette modélisation influence directement l’expérience des utilisateurs, notamment à travers la manière dont l’information est sélectionnée, priorisée ou formulée. La neutralité relève donc moins de la technologie elle-même que des mécanismes de gouvernance, de transparence et de supervision mis en place autour de son usage.
- Les hallucinations de l’IA générative constituent-elles un point faible dans son utilisation à travers le monde ? L’apparition, à l’avenir, de versions plus fiables menace-t-elle la dimension humaine ?
Les hallucinations de l’IA générative constituent aujourd’hui une limite reconnue à l’échelle mondiale. Elles ne relèvent pas d’un dysfonctionnement ponctuel, mais d’une caractéristique structurelle de ces modèles, ce qui impose une vigilance particulière dans les usages sensibles ou à fort impact. L’émergence future de systèmes plus fiables ne remet pas en cause la dimension humaine. Au contraire, elle renforce la nécessité d’un rôle humain clair, centré sur le jugement, la validation et la responsabilité. L’IA doit rester un outil d’aide à la décision, et non un substitut à l’esprit critique ou à la responsabilité humaine.






















