Nous y sommes enfin. Les peines alternatives font partie de la vie quotidienne des prétoires. Les juges commencent à en faire usage comme c’était le cas, vendredi 22 août à Agadir. Pour la première fois au Maroc, une personne a vu sa peine de prison commuée en mesure alternative dans un procès correctionnel au Tribunal de Première instance d’Agadir. Le verdict est annoncé en grande pompe et diffusé partout dans les médias. La justice a fait en sorte que l’annonce soit à la hauteur de cette “métamorphose” de la politique pénale.
Le coupable a écopé théoriquement de deux mois de prison ferme et d'une amende de 500 dirhams. Le juge a jugé opportun de remplacer la peine de réclusion par une amende journalière de 300 dirhams pour chaque jour de prison. Ainsi, le condamné a dû verser 18.000 dirhams pour obtenir sa liberté. Cela n’aurait jamais été possible sans l’entrée en vigueur de la loi n°43.22 après un long périple législatif.
Châtier, mais loin des barreaux !
Le texte prévoit plusieurs mesures alternatives à la réclusion, à savoir les travaux d'intérêt général, le contrôle judiciaire par le bracelet électronique, la restriction des droits et l'amende journalière. Leur non-respect durant la période d’exécution entraîne leur annulation et le retour à la peine d'emprisonnement initiale.
Contrairement au reste des ajustements controversés de la procédure pénale qui continuent de faire couler beaucoup d’encre, les peines alternatives font l’objet d’un consensus national chez tous les acteurs judiciaires. C’est l’une des recommandations majeures du débat national sur la réforme de la Justice en 2015.
Loin d’être automatiquement applicables, elles ne sont applicables que dans les peines inférieures à cinq ans de prison et ne le sont guère en cas de crimes graves tels que les actes terroristes, les crimes touchant la sûreté de l’Etat, la corruption, les abus de pouvoir, la dilapidation des deniers publics, le blanchiment d’argent, la traite des êtres humains, le détournement de mineurs et de personnes en situation de handicap… La réforme consiste à ce que le châtiment soit proportionnel au crime pour éviter que des gens qui ont commis des délits simples soient jetés en prison et traités aussi durement que les graves criminels. Ce régime profite aux personnes sans antécédents judiciaires, qui se voient empêtrées dans des démêlés judiciaires indépendamment de leur volonté, souvent sans préméditation, comme c’est le cas des délits financiers ou les affaires conjugales.
Cas concret
Prenons un exemple concret et réel sans citer les protagonistes. Celui du bracelet électronique qui demeure le plus courant. Une femme a été condamnée à six mois de prison pour chèque sans provision. Le juge peut dans ce cas la libérer, en lui plaçant un bracelet électronique en vertu de l’article 35-10. La personne se voit assignée à résidence. Le juge fixe le périmètre de mobilité à ne pas dépasser selon sa propre appréciation en fonction de la gravité du crime, la sécurité de la victime et la situation socioprofessionnelle de la condamnée.
Une fois la peine prononcée, elle acquiert la force de la chose jugée, le procureur du Roi transmet l’arrêté d'application au juge d’application des peines qui, en vertu de la loi, prend toutes les mesures nécessaires pour que le contrôle judiciaire soit respecté. Le suivi du bracelet électronique incombe à l'administration pénitentiaire sous la supervision du juge conformément à l'article 38 du décret d'application de la loi.
Le guide élaboré par le Ministère public à l'intention des acteurs concernés regorge d’autres cas concrets, comme celui du jeune de 19 ans arrêté pour consommation de drogue. Ce dernier peut éviter la prison s’il accepte de se faire soigner de son addiction dans un centre de désintoxication. Là encore, l'administration pénitentiaire compétente veille à ce que le jeune suit scrupuleusement son traitement en coordination avec le centre d’affection.
Il s’agit d’une révolution judiciaire, disent les avocats qui s’en félicitent, dans un pays où l'emprisonnement a été longtemps la règle chez les magistrats. D'autres parlent d'humanisation de la justice pénale qui, pensent-ils, confondait châtiment et emprisonnement. “Avant, on ne voyait que la justice de résider derrière les barreaux”, s’amuse à rappeler un ancien bâtonnier qui a préféré ne pas être cité. Selon lui, la perception de la justice dans la culture populaire fait qu’en cas de crime, quelle qu’en soit l’ampleur, quelqu’un devait être jeté en taule même si cela n’était pas nécessaire. D’où ce vieux réflexe d'incarcération ancré depuis si longtemps dans l'appareil judiciaire.
Il survit encore aujourd’hui bien qu’il s’amenuise au fil du temps avec les immenses efforts consentis par le Ministère public pour rationaliser la détention préventive avec un certain succès. Le taux de détention préventive dans la population carcérale a dégringolé à 30% en 2024 après avoir culminé à plus de 45% en 2021.
En quête de moyens qui ne sont toujours pas là !
Maintenant les choses changent. Ces alternatives à la réclusion ont été conçues principalement pour désengorger les prisons qui demeurent encore surpeuplées. 105.000 personnes croupissaient encore derrière les barreaux en 2025 alors qu’on était à 103.000 deux années plus tôt.
On espère donc que ces peines alternatives soient synonymes de réduction de la surpopulation carcérale. Le résultat escompté est loin d’être acquis. Le patron de la Délégation générale à l’Administration pénitentiaire et à la réinsertion, Mohamed Saleh Tamek, s’est montré dès le début réaliste en minimisant l’impact du nouveau mécanisme dont la réussite dépend, selon lui, des moyens mis à disposition de l'administration pénitentiaire sur laquelle pèse la lourde charge du suivi bien que ces moyens humains et matériels soient limités. M. Tamek n’a eu de cesse de réclamer des budgets plus généreux au Parlement, mais en vain.
Ce manque de moyens pénalise tout autant l'appareil judiciaire qui manque de magistrats, au moment où on réclame l'institution d’un juge dit “de détention et des libertés” chargé de statuer spécialement sur les décisions de mise en taule, indépendamment du parquet. Le déficit est abyssal. Le Maroc compte à peine 4190 magistrats, 1087 procureurs. Selon maître Omar Benjelloun, avocat au Barreau de Rabat, il faut doubler cet effectif, voire aller jusqu’ à 10.000 pour alléger la pression sur les tribunaux.
Le coupable a écopé théoriquement de deux mois de prison ferme et d'une amende de 500 dirhams. Le juge a jugé opportun de remplacer la peine de réclusion par une amende journalière de 300 dirhams pour chaque jour de prison. Ainsi, le condamné a dû verser 18.000 dirhams pour obtenir sa liberté. Cela n’aurait jamais été possible sans l’entrée en vigueur de la loi n°43.22 après un long périple législatif.
Châtier, mais loin des barreaux !
Le texte prévoit plusieurs mesures alternatives à la réclusion, à savoir les travaux d'intérêt général, le contrôle judiciaire par le bracelet électronique, la restriction des droits et l'amende journalière. Leur non-respect durant la période d’exécution entraîne leur annulation et le retour à la peine d'emprisonnement initiale.
Contrairement au reste des ajustements controversés de la procédure pénale qui continuent de faire couler beaucoup d’encre, les peines alternatives font l’objet d’un consensus national chez tous les acteurs judiciaires. C’est l’une des recommandations majeures du débat national sur la réforme de la Justice en 2015.
Loin d’être automatiquement applicables, elles ne sont applicables que dans les peines inférieures à cinq ans de prison et ne le sont guère en cas de crimes graves tels que les actes terroristes, les crimes touchant la sûreté de l’Etat, la corruption, les abus de pouvoir, la dilapidation des deniers publics, le blanchiment d’argent, la traite des êtres humains, le détournement de mineurs et de personnes en situation de handicap… La réforme consiste à ce que le châtiment soit proportionnel au crime pour éviter que des gens qui ont commis des délits simples soient jetés en prison et traités aussi durement que les graves criminels. Ce régime profite aux personnes sans antécédents judiciaires, qui se voient empêtrées dans des démêlés judiciaires indépendamment de leur volonté, souvent sans préméditation, comme c’est le cas des délits financiers ou les affaires conjugales.
Cas concret
Prenons un exemple concret et réel sans citer les protagonistes. Celui du bracelet électronique qui demeure le plus courant. Une femme a été condamnée à six mois de prison pour chèque sans provision. Le juge peut dans ce cas la libérer, en lui plaçant un bracelet électronique en vertu de l’article 35-10. La personne se voit assignée à résidence. Le juge fixe le périmètre de mobilité à ne pas dépasser selon sa propre appréciation en fonction de la gravité du crime, la sécurité de la victime et la situation socioprofessionnelle de la condamnée.
Une fois la peine prononcée, elle acquiert la force de la chose jugée, le procureur du Roi transmet l’arrêté d'application au juge d’application des peines qui, en vertu de la loi, prend toutes les mesures nécessaires pour que le contrôle judiciaire soit respecté. Le suivi du bracelet électronique incombe à l'administration pénitentiaire sous la supervision du juge conformément à l'article 38 du décret d'application de la loi.
Le guide élaboré par le Ministère public à l'intention des acteurs concernés regorge d’autres cas concrets, comme celui du jeune de 19 ans arrêté pour consommation de drogue. Ce dernier peut éviter la prison s’il accepte de se faire soigner de son addiction dans un centre de désintoxication. Là encore, l'administration pénitentiaire compétente veille à ce que le jeune suit scrupuleusement son traitement en coordination avec le centre d’affection.
Il s’agit d’une révolution judiciaire, disent les avocats qui s’en félicitent, dans un pays où l'emprisonnement a été longtemps la règle chez les magistrats. D'autres parlent d'humanisation de la justice pénale qui, pensent-ils, confondait châtiment et emprisonnement. “Avant, on ne voyait que la justice de résider derrière les barreaux”, s’amuse à rappeler un ancien bâtonnier qui a préféré ne pas être cité. Selon lui, la perception de la justice dans la culture populaire fait qu’en cas de crime, quelle qu’en soit l’ampleur, quelqu’un devait être jeté en taule même si cela n’était pas nécessaire. D’où ce vieux réflexe d'incarcération ancré depuis si longtemps dans l'appareil judiciaire.
Il survit encore aujourd’hui bien qu’il s’amenuise au fil du temps avec les immenses efforts consentis par le Ministère public pour rationaliser la détention préventive avec un certain succès. Le taux de détention préventive dans la population carcérale a dégringolé à 30% en 2024 après avoir culminé à plus de 45% en 2021.
En quête de moyens qui ne sont toujours pas là !
Maintenant les choses changent. Ces alternatives à la réclusion ont été conçues principalement pour désengorger les prisons qui demeurent encore surpeuplées. 105.000 personnes croupissaient encore derrière les barreaux en 2025 alors qu’on était à 103.000 deux années plus tôt.
On espère donc que ces peines alternatives soient synonymes de réduction de la surpopulation carcérale. Le résultat escompté est loin d’être acquis. Le patron de la Délégation générale à l’Administration pénitentiaire et à la réinsertion, Mohamed Saleh Tamek, s’est montré dès le début réaliste en minimisant l’impact du nouveau mécanisme dont la réussite dépend, selon lui, des moyens mis à disposition de l'administration pénitentiaire sur laquelle pèse la lourde charge du suivi bien que ces moyens humains et matériels soient limités. M. Tamek n’a eu de cesse de réclamer des budgets plus généreux au Parlement, mais en vain.
Ce manque de moyens pénalise tout autant l'appareil judiciaire qui manque de magistrats, au moment où on réclame l'institution d’un juge dit “de détention et des libertés” chargé de statuer spécialement sur les décisions de mise en taule, indépendamment du parquet. Le déficit est abyssal. Le Maroc compte à peine 4190 magistrats, 1087 procureurs. Selon maître Omar Benjelloun, avocat au Barreau de Rabat, il faut doubler cet effectif, voire aller jusqu’ à 10.000 pour alléger la pression sur les tribunaux.
3 questions à Maître Rabii Chekkouri : “Le recrutement de juges d’application des peines et de fonctionnaires qualifiés est indispensable”

Avocat au Barreau de Rabat, Maître Rabii Chekkouri a répondu à nos questions sur les peines alternatives.
- Les peines alternatives sont désormais entrées en vigueur, mais les moyens de leur application ne semblent pas être assez mobilisés. Partagez-vous ce constat ?
La mise en œuvre effective de cette loi exige des moyens adéquats, indispensables à la réduction de la surpopulation carcérale. Le recrutement de juges d’application des peines et de fonctionnaires qualifiés au sein de l’administration pénitentiaire, chargés d’assurer l’exécution pertinente des peines alternatives, s’avère indispensable.
- Aujourd’hui, le nombre de juges ne dépasse pas 4190. A quel point est-ce pénalisant pour le système judiciaire ?
Le sous-effectif des magistrats ne saurait être sans conséquence sur le bon fonctionnement de la justice. Un juge du siège peut, en effet, se retrouver à traiter plusieurs milliers de dossiers par an. En matière pénale, où les enjeux sont d’autant plus graves qu’ils touchent à la privation de liberté, cette pénurie de magistrats dans les juridictions répressives compromet inévitablement la qualité des jugements. Le juge, avant d’être une institution, demeure un être humain soumis au stress et à l’épuisement. Comment concevoir qu’après douze heures de débats, des délibérations puissent encore s’étaler sur plus de deux heures ? Il arrive que des décisions soient rendues à l’aube, après l’examen de dizaines d’affaires criminelles, dans des conditions qui interrogent sur la sérénité et la rigueur requises par l’acte de juger.
- A votre avis, à quel point l'institution d'un juge des libertés et de la détention est-elle décisive pour une application saine et efficace des peines alternatives ?
Si une réforme instaurait un juge des libertés et de la détention, celui-ci serait chargé de statuer sur le placement en détention préventive et d’autoriser, à titre dérogatoire, certains actes d’enquête. En revanche, la mise en œuvre des peines alternatives relèverait exclusivement des prérogatives du juge d’application des peines.
Recueillis par Anass MACHLOUKH
3 questions à Maître Jilali Fejjar : “L’idée est de donner une seconde chance, pas d’excuser la délinquance”

Maître Jilali Fejjar, avocat au Barreau d'El Jadida, a répondu à nos questions sur les peines alternatives.
- Quels à votre avis les effets concrets qu’on espère des peines alternatives après leur mise en œuvre ?
Il s’agit d’un tournant majeur. La loi 43.22 introduit les peines alternatives à l’emprisonnement, une innovation attendue depuis longtemps. Elle propose une autre manière de sanctionner, en privilégiant la réinsertion à la punition, et la responsabilité à l’exclusion. L’impact est multiple. D’abord, désengorger les prisons, qui souffrent d’une surpopulation chronique. Ensuite, rompre avec la spirale de la récidive, qui touche souvent les petits délinquants emprisonnés pour de courtes peines. Enfin, restaurer l’utilité sociale de la peine : punir sans détruire, responsabiliser sans marginaliser.
- D’aucuns craignent que les peines alternatives soient le prélude d'une justice laxiste. Qu’en pensez-vous ?
C’est tout le contraire. La justice alternative n’est ni indulgente ni naïve. Elle est exigeante, ciblée et constructive. Elle ne ferme pas les yeux, elle ouvre une voie : celle de la réparation, de l’effort, et du changement.
- À qui s’adressent particulièrement ces peines ? Des criminels pourraient-ils en bénéficier ?
Non, absolument pas. Elles ne concernent que les délits mineurs, punis de moins de deux ans de prison. Le juge évalue soigneusement le profil du condamné, ses antécédents, son comportement, et surtout son potentiel de réinsertion. L’idée est de donner une seconde chance, pas d’excuser la délinquance.
Recueillis par notre correspondant à El Jadida Mohamed LOKHNATI