Il y a 75 ans, en plein cœur de l'emblématique avenue Hassan II à Casablanca, Oliveri fit ses premiers pas dans l’univers de la gastronomie, spécialité glacière, et développa son expertise de maître-artisan dans un temps record et dans le strict prolongement de la tradition. Mais si Oliveri a pu se lancer avec autant de succès, c’est parce que le Maroc s’ouvrait déjà à une nouvelle vague de saveurs venues d’Italie et d’Europe. "L’après-guerre avait vu s’installer au Royaume plusieurs familles européennes, qui importèrent avec elles leur savoir-faire culinaire, leurs recettes et leurs machines. Les Casablancais, avides de modernité et de découvertes, se prirent rapidement de passion pour ces douceurs glacées, qui s’accordaient parfaitement au climat ensoleillé du pays", nous explique Andrea Parasacco, un glacier italien vivant à Casablanca. C’est, d'ailleurs, dans ce contexte propice qu’Oliveri réussit à imposer sa signature. Aussitôt, le succès est au rendez-vous et son nom se mit à résonner très loin.
Pour tous les directeurs qui ont pris les rênes de la maison, le succès de la saga Oliveri repose sur une prise de conscience de la dimension artistique et artisane de ce métier, tout en sachant que c'est dans la continuité et la constance que s’installe la réputation des saveurs et des arômes des meilleures glaces et des meilleurs sorbets du monde.
Cela fait donc 75 ans, soit sept décennies et quelques piges qu’Oliveri perpétue une lignée aux couleurs d’Italie, sans jamais sacrifier la qualité de la matière première ni la richesse des formules. Cette discipline est la marque d'un métier qui ne s'improvise pas. Elle est la caution d'un savoir-faire qui permet aujourd'hui toutes les audaces, mais aussi toutes les réussites.
Ainsi, en se vouant à l'art de la glace en particulier, et des desserts dans l’absolu, depuis quatre générations, Oliveri a réussi sa mission au Maroc : celle d’ériger sa saga au grade d'un art célébrant les joies de la dégustation. Son expansion géographique en est une énième preuve.
Et si Oliveri a ouvert la voie, d’autres enseignes n’ont pas tardé à marquer elles aussi la mémoire gourmande des Marocains.
Mais Oliveri n’est pas, loin s’en faut, le seul élu des cœurs des Marocains. À la fin des années 1960, c’est le Franco-Marocain Charles Laik qui tenait, à la Cité blanche, un salon de thé réputé pour ses glaces artisanales capables de flatter les palais les plus exigeants. Son établissement, baptisé Igloo, n’était pas qu’un simple glacier : il représentait un véritable lieu de rendez-vous mondain et convivial. On y venait en famille le dimanche, entre amis après les cours ou en couple pour savourer une coupe glacée dans une ambiance à la fois élégante et détendue.
Igloo devint rapidement une adresse incontournable, presque institutionnelle, pour tous ceux qui voulaient goûter à la Dolce Vita et au "gelato italiano" au cœur du Maroc. "Le salon reflétait l’esprit cosmopolite de Casablanca de l’époque. Dans ce décor, les glaces de Charles Laik avaient une aura particulière : elles incarnaient non seulement une gourmandise, mais aussi un art de vivre, un moment de raffinement et d’évasion qui transportait, le temps d’une dégustation, sur les rives de la Méditerranée", se souvient Mohammed Bouzidi, un ancien du lycée Lyautey, aujourd'hui sexagénaire.
Cette notoriété n’était pas une illusion passagère : d’après des témoignages, le salon était littéralement pris d’assaut par une clientèle hétéroclite et bigarrée, représentative de la mosaïque sociale casablancaise de cette époque qu’on ne peut que qualifier d’épique. «Ce glacier ressemblait, à quelques détails près, à la salle d’attente d’un aéroport, car nous y trouvions toutes les nationalités du monde ou presque», se souvient Mercedes, une Casablancaise aujourd’hui installée près de Marseille. Et d’ajouter avec un brin de nostalgie : «Personne ne faisait les glaces comme monsieur Laik. Peut-être que plus tard, dans les années 70 ou 80, d’autres ont eu vent de la recette d’une glace à succès. Mais plus tôt, pas à ma connaissance. En tout cas, pas au Maroc ou, du moins, pas à Casablanca», conclut la septuagénaire.
Houda BELABD
3 questions à Andrea Parasacco : "L'ancienne génération marocaine était plus attachée aux classiques..."
Interrogé par « L'Opinion », Andrea Parasacco, glacier italien installé à Casablanca, revient sur le succès de la glace italienne dans notre pays, à l'aune des préférences des différentes générations et les défis de son métier.
- Comment expliquez-vous le succès de la glace italienne au Maroc et quelles sont, selon vous, les particularités de ce créneau ?
Le succès de la glace italienne au Maroc vient avant tout de son authenticité et de la qualité des matières premières. Les Marocains ont vite compris que ces glaces n’étaient pas seulement un dessert, mais une véritable expérience gustative. Ce créneau est particulier car il demande une maîtrise totale du produit, de la sélection du lait et des fruits à la manière dont on mélange les saveurs. Il faut trouver un équilibre subtil entre tradition italienne et adaptation locale, et je crois que les gens le reconnaissent immédiatement.
- Comment la nouvelle génération apprécie-t-elle la glace italienne en comparaison avec la génération précédente ?
L’ancienne génération était plus old school, attachée aux classiques comme la vanille, le chocolat ou la fraise. Elle était, donc, très fidèle à la tradition italienne. Aujourd’hui, la jeune génération aime défier les convenances. C’est pour cela que nous proposons des créations marocanisées, comme la glace au raïbi ou au thé à la menthe. Ces inventions, qui mêlent saveurs locales et techniques italiennes, cartonnent dans les grandes villes.
- Quelles sont les hauts et les bas que peut rencontrer un glacier italien exerçant au Maroc ?
La principale difficulté est de rester fidèle à la qualité artisanale dans un marché où la demande peut être très exigeante et parfois fluctuante. Mais c’est aussi la plus grande satisfaction : voir des clients de tous âges savourer une glace en sachant qu’on a respecté les techniques italiennes, tout en leur apportant quelque chose de nouveau. Ici, on ne vend pas seulement un produit, on partage un savoir-faire et une passion qui traverse les générations, les cultures et les frontières.
Histoire : Quand la glace fait fondre les frontières…
De l'Italie au Royaume, le voyage du gelato continue de faire fondre les cœurs. Car si Oliveri et Igloo ont façonné la mémoire collective des Marocains, il faut rappeler que cette Histoire locale s’inscrit dans une tradition beaucoup plus ancienne.
En Italie, c'est un certain florentin, Bernardo Buontalenti, qui la réinventa en 1565. Sa recette, mêlant lait, miel et œufs à des arômes délicats, fut considérée comme une véritable révolution culinaire. De ce fait, le gelato devint un symbole de raffinement et de créativité, porté par le prestige de la Renaissance italienne. Buontalenti mit aussi en lumière l’importance de la technique : sans méthodes de conservation et de réfrigération adaptées, cette douceur n’aurait jamais pu se diffuser au-delà des cercles princiers. Son nom a même retenti dans la cour de Catherine de Médicis, qui fit découvrir à la noblesse française ces délices venus de Toscane.
Quelques décennies plus tard, en 1686, c’est le Sicilien Francesco Procopio dei Coltelli qui entreprit de perfectionner et de moderniser le gelato. Installé à Paris, il ouvrit le célèbre Café Procope, premier établissement européen à proposer des glaces au grand public. Ses préparations, jusqu’alors réservées aux cours royales, devinrent accessibles aux artistes, aux philosophes et aux bourgeois de la capitale. Voltaire, Diderot et Rousseau y dégustèrent ses créations, contribuant à en faire un symbole des Lumières et du partage culturel.
Au fil du temps, la glace sortit peu à peu des salons aristocratiques pour conquérir les rues. Au XIXème siècle, l’Italie connut l’essor des premiers laboratoires artisanaux familiaux, souvent tenus par des dynasties de maîtres glaciers. Ces ateliers transmettaient de génération en génération un savoir-faire précis, où chaque geste comptait, de la pasteurisation du lait au dosage des arômes naturels. Le gelato se différenciait alors de la crème glacée industrielle par sa texture plus dense, moins grasse et plus riche en goût.
Dans les années 1920 et 1930, la consommation de glaces s'élargit à toutes les couches sociales. C’est à cette époque, dans la ville italienne de Varèse, qu'apparut le premier chariot mobile de glaces, permettant aux artisans d’aller directement à la rencontre des clients dans les rues et sur les places. Ces petits véhicules colorés, ancêtres des camions de glaces modernes, contribuèrent à démocratiser encore davantage la consommation de gelato.
Peu après la Seconde Guerre mondiale, l’émigration italienne joua un rôle décisif dans la diffusion mondiale du gelato. Des familles entières de glaciers quittèrent la péninsule pour s’installer en France, en Allemagne, en Belgique ou encore en Amérique latine. Elles emportèrent avec elles leurs recettes, leurs machines et leur passion. Le Maroc, et plus largement l’Afrique du Nord, profita de ce mouvement : les grandes villes côtières virent s’implanter des enseignes italiennes, qui s’adaptèrent peu à peu aux goûts locaux tout en préservant la rigueur du savoir-faire ancestral.
Insolite : La glace est le fruit d’un joyeux retard !

L'on peut lire dans les annales gastronomiques que la glace italienne artisanale, onctueuse et légère à la fois, était le fruit d'une anecdote. Un pneu crevé d'un camion à glace obligeait son conducteur à vendre les glaces qui commençaient à fondre sous les hautes températures d'été, et ce pseudo-ratage a cartonné à la plus grande surprise du vendeur qui s'est vite mis à essayer d’avoir une texture de glace presque fondue, d’où la naissance de la glace à l’italienne. Avez-vous dit "légende" ? Nous en doutons car il s'agit d'une narration largement relayée dans l'Histoire italienne et dans certaines encyclopédies.
Ainsi, la glace italienne est devenue une référence parmi les différentes glaces traditionnelles dans le monde, à l’instar de l’ice-cream américanisé à souhait, le sorbet sans matières grasses, et le yaourt glacé. Par sa consistance, la glace italienne est le fruit d’une préparation réalisée, la plupart du temps à la maison ou chez l'artisan. Elle est, donc, réalisée à base de lait, de fruits et d’eau, donnant ainsi à la glace une texture de crème si légère.
La glace artisanale est inscrite dans la culture italienne. La crème glacée, telle qu'elle existe aux Etats-Unis, est plutôt consommée dans le Nord du continent américain. La différence entre la crème glacée et les glaces italiennes, c’est le mode de barattage et de congélation et parfois même les ingrédients.
Pour la préparation d’une glace italienne, à Rome, comme à Rabat ou Tokyo, il suffit d’avoir les bons ingrédients et, surtout de la bonne machine à glace.
En revanche, c'est aux États-Unis que les glaces en forme de cône ont fait leur entrée sur le marché. En dépit de cette évolution, la glace italienne a dû se plier à d'autres méthodes de production et composer avec d'autres cultures. Désormais, il existe plusieurs variétés industrialisées de gelato qui n'ont absolument rien à voir avec les glaces italiennes d'origine.
Archives : La France, très tôt entrée dans la danse !
En Europe, la glace artisanale, traditionnelle comme on en fait peu, a longtemps été la spécialité des Italiens. Leur savoir-faire, transmis de génération en génération, a essaimé à travers le continent grâce aux vagues migratoires et aux dynasties de maîtres glaciers qui ont exporté leurs recettes et leurs machines. Très vite, d’autres pays se sont emparés de cette gourmandise. La France, un pays très tôt entré dans la danse, a su tirer profit de cette passion venue d’Italie en l’adaptant à son propre terroir et à sa culture gastronomique raffinée. Dès le XVIIème siècle, les cours royales françaises, séduites par les recettes introduites par Catherine de Médicis et perfectionnées par Procopio à Paris, ont donné à la glace une place d’honneur sur les tables aristocratiques.
Au fil du temps, la glace s’est démocratisée, quittant les palais pour rejoindre les cafés parisiens, les places publiques et, plus tard, les vitrines des artisans. Ce développement a façonné une véritable tradition française du gelato revisité à la française, où la recherche de l’authenticité et des saveurs naturelles s’est imposée comme une valeur centrale.
C’est dans cette continuité qu’est née, beaucoup plus tard, la Manufacture des Belles Glaces, une entreprise artisanale française créée en 1992. Installée au cœur de la vallée des vergers du Rhône, elle s’est imposée comme un exemple de ce retour aux sources de la glace artisanale. Ses recettes, célébrées par de nombreux gastronomes, reposent sur une sélection exigeante d’ingrédients et sur le savoir-faire de son artisan glacier. Le catalogue compte aujourd’hui un peu plus de 40 références, allant de la régressive barbe à papa jusqu’à la classique vanille au lait entier.