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Thema : Hyène du Maroc


Rédigé par Oussama ABAOUSS Samedi 3 Avril 2021

Une hyène rayée a récemment été signalée dans la région de Boujdour. L’animal a été retrouvé gisant sur une route nationale après qu’il eut été manifestement heurté par un véhicule. Si cette observation s’ajoute à d’autres résurgences récentes de l’espèce dans des régions frontalières de l’Oriental, elle est toutefois inédite pour la région du Sahara atlantique marocain. Considérée comme l’un des derniers grands carnivores encore présents dans le Royaume, l’hyène rayée est grandement menacée puisqu’elle représente un véritable sésame pour les braconniers qui cherchent à la capturer pour la revendre aux adeptes de sorcellerie. Zoom sur un animal méconnu et au bord de l’extinction qui, pourtant, joue un rôle écologique primordial.



Thema : Hyène du Maroc

 

14.000 dirhams. C’est la somme de l’amende qu’un chasseur marocain a dû payer en 2019, après qu’il ait tué accidentellement une hyène rayée lord d’une battue de sangliers organisée dans la région de Béni-Snassen.
 

Un braconnier qui cherche à capturer ou à tuer une hyène n’a aucune raison de le faire si ce n’est d’essayer de la revendre au plus offrant pour des pratiques de sorcellerie. Imad Cherkaoui

 

 

Après une disparition de plusieurs décennies, la vidéo d’une hyène rayée tuée dans la région de Boujdour a confirmé la présence dans cette région de l’animal sauvage le plus persécuté dans notre pays.
 

Une hyène rayée morte, gisant au bord d’une route, entourée de badauds qui s’activent à la photographier sous toutes ses coutures. Telles sont les images d’une vidéo relayée en début de semaine par une page Facebook au nom de « Dakhla Central ». Les commentaires qui accompagnent la publication évoquent un animal tué après avoir été heurté par un véhicule. Largement diffusée et commentée, la vidéo a cependant semé le doute dans la communauté des naturalistes et des scientifiques, car l’ hyène rayée n’a pas été observée dans les provinces du Sud depuis plusieurs années. Contacté par nos soins, Pr Abdeljabbar Qninba, enseignant chercheur à l’Institut Scientifique de Rabat, nous a cependant confirmé la véracité de l’observation. « J’étais dans la région il y a quelques jours et j’ai fait une petite enquête pour vérifier l’information. Mes sources ont attesté qu’une hyène a réellement été observée au Sud de Boujdour », souligne le Pr Qninba qui ajoute qu’une randonneuse a également relayé aux scientifiques les images d’empreintes d’hyène rayée qu’elle a pu photographier dans une autre région du Sud.

Une espèce persécutée

« La randonneuse a veillé à ne pas diffuser la localisation exacte », ajoute l’enseignant-chercheur. Cette mesure de précaution est justifiée, car la Hyène est, à ce jour encore, une espèce très recherchée par les braconniers qui tentent de la vendre à des prix exorbitants dans le marché obscur de la sorcellerie. « En Afrique du Nord, la cervelle, les pattes, les dents et les poils sont encore utilisés en sorcellerie, afin de suborner la volonté des personnes que l’on veut asservir », peut-on lire dans l’ouvrage de doctorat portant sur les grands mammifères du Royaume, réalisé vers l’année 1996 par Fabrice Cuzin. « Un braconnier qui cherche à capturer ou à tuer une hyène n’a aucune raison de le faire si ce n’est d’essayer de la revendre au plus offrant pour des pratiques de sorcellerie », confirme pour sa part  Imad Cherkaoui, enseignant chercheur à l’université Moulay Slimane de Khénifra. « Encore présente dans les écosystèmes marocains il y a quelques décennies, cette espèce a subi un recul drastique de ses populations en raison de la persécution dont elle fait l’objet », ajoute le scientifique.

Résurgence ou incursion sporadique ?

Les naturalistes qui ont sillonné les écosystèmes du Sud, ces dernières décennies, n’ont jamais pu mettre la main sur des traces de présence de l’hyène rayée. « Ces dernières années, il y a eu quelques observations, surtout dans l’Oriental. Ces signalements s’expliquent par des incursions d’animaux venus d’Algérie où l’espèce se porte mieux. À ce stade, et en l’absence de données scientifiques avérées, il n’est pas possible de dire si c’est un phénomène récurrent lié à la résurgence de l’espèce ou s’il s’agit uniquement d’incursions sporadiques et isolées », estime Abdeljabbar Qninba. Il n’en reste pas moins que dans d’autres pays, notamment au Moyen-Orient, l’hyène semble réapparaître dans des écosystèmes d’où elle avait complètement disparu. « L’hyène a une grande plasticité écologique. Dans des pays comme le Liban et la Jordanie, malgré plusieurs années de persécution, les naturalistes rapportent de nouvelles observations, notamment dans des zones périurbaines », confirme Imad Cherkaoui qui précise que l’espèce est « connue pour sa forte résilience et capacité de survie et d’adaptation ».
 

Une espèce à protéger d’urgence
 

« L’hyène rayée joue un rôle écologique important puisqu’elle agit comme un éboueur de la nature, ce qui participe à limiter les risques de diffusion des maladies. Comme son régime alimentaire ne se limite pas seulement aux charognes et qu’il lui arrive parfois de chasser, elle peut également jouer un rôle important de régulation des espèces nuisibles comme le sanglier dont la prolifération nuit à l’équilibre des écosystèmes naturels », souligne Imad Cherkaoui qui estime qu’il est important que l’espèce fasse l’objet d’un suivi scientifique afin de mieux connaître ses effectifs et les zones qu’elle fréquente. « Même en l’absence de données, il est urgent de déployer un programme de conservation de l’hyène rayée en intégrant un volet dédié à la sensibilisation », recommande Imad Cherkaoui. Si la sorcellerie reste un sujet tabou dans la société marocaine, les mesures prévues pour détruire les restes d’une hyène attestent que les autorités savent que l’animal est convoité par les charlatans de tous bords : elle est la seule espèce dont la dépouille doit être inhumée en présence de représentants des autorités avec établissement d’un PV en bonne et due forme...
 

 
 

 

 



 


Des pratiques obscures et moyenâgeuses qui ont la peau dure

Thema : Hyène du Maroc

 

L’hyène rayée a disparu au Maroc à cause de pratiques d’empoisonnement qui ont contribué à la décimation d’une partie de sa population. La dégradation des habitats naturels où évoluait l’espèce est également un facteur déterminant qui a participé au recul de ses effectifs. Les scientifiques s’accordent cependant sur le fait que les pratiques liées à la sorcellerie - qui ont considérablement augmenté la valeur de cet animal dans le marché noir - constituent la raison principale du déclin de l’espèce. « Ces pratiques moyenâgeuses sont non seulement préjudiciables à la survie de l’hyène, mais constituent également un danger pour la santé et l’intégrité des personnes qui en sont victimes. C’est également un phénomène qui nuit à l’image du Royaume », souligne Imad Cherkaoui. « La lutte contre la sorcellerie doit à mon sens se faire grâce à l’implication de plusieurs départements. Cet effort, pour endiguer un phénomène considéré encore comme un tabou, devrait par exemple faire l’objet de prêches dans les mosquées. Toutes les mesures possibles doivent être entreprises afin de mettre fin à ces pratiques dangereuses et obscures. Au-delà de la lutte directe contre ce phénomène, je pense qu’il faut également lutter contre les superstitions et les idées reçues qui forment un terreau propice à des dérives comme la sorcellerie », précise Imad Cherkaoui pour lequel un programme de conservation de l’hyène rayée au Maroc « ne peut pas être envisagé sans un volet important et complet dédié à la sensibilisation ».

 

3 questions à Imad Cherkaoui, écologiste

Thema : Hyène du Maroc

« Pour protéger l’hyène, il faudra d’abord localiser les zones où pourrait subsister de petites populations »

 

Écologiste et enseignant-chercheur à l’université Moulay Slimane de Khénifra, Imad Cherkaoui a répondu à nos questions sur la situation de l’hyène rayée au Maroc.
 

L'Opinion : Quel est le statut de conservation de l’hyène rayée dans notre pays ?

- Au Maroc, l’hyène rayée appartient à la sous-espèce « Barbara » qui est endémique du Nord-Ouest africain et qui est considérée comme menacée dans l’ensemble de son aire de répartition. Il existe une population relativement prospère de cette sous-espèce en Algérie, mais dans le reste de son aire de répartition, c'est-à-dire en Tunisie et au Maroc, l’hyène rayée peut être considérée comme « en danger critique d’extinction ».
 

L'Opinion: L’écologie et la répartition de l’hyène rayée au Maroc sont-elles suffisamment connues par les scientifiques ?

L’écologie de l’hyène rayée au Maroc n’est pas vraiment bien connue. On sait que c’est une espèce qui se trouvait dans presque tous les écosystèmes du Royaume (sahariens, forestiers, steppiques, et même dans les plaines atlantiques). À cause des persécutions qu’elle a subies et à l’instar des autres grands prédateurs, sa présence s’est progressivement cantonnée aux zones reculées les moins fréquentées par les populations humaines.
 

L'Opinion : Comment faut-il agir pour sauvegarder cette espèce dans les habitats où elle vit encore ?

Le Maroc s’est engagé depuis plusieurs années dans la réintroduction d’espèces herbivores. Les forestiers ont acquis beaucoup d’expérience dans cette dynamique de réintroduction des ongulés. Ces efforts apportent actuellement leurs fruits. Je pense qu’il est actuellement pertinent de commencer à penser à faire la même chose pour les prédateurs et les carnivores. Pour protéger l’hyène au Maroc, il faudra d’abord localiser les zones où pourraient subsister de petites populations. Grâce aux nouvelles technologies qui existent actuellement (drones, caméras pièges, smartphones), il est possible de lancer un suivi scientifique qui permettra de mettre en place un programme de conservation dédié.

 








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