La promesse d’écriture au sens de Abdelkébir Khatibi a fait son temps : les arbres n’ont plus besoin de bourgeonner avant de fleurir, ils donnent directement des fruits ! La promesse d’abondance des épis naissants est une image de poètes, l’écrivain ou ce qui prend désormais ce nom ne connait ni semailles, ni irrigation, ni germinal, il est la moisson.
Pourquoi se présenter comme prémices quand on peut être ce que l’on veut que l’on soit : les mots sont là, serviles, malléables à loisir pour servir les égos alors qu’à une époque encore récente, le « je » était haïssable. L’écrivain n’est plus dans un cycle quelconque, dans une logique de mutation, il est de l’ordre de la génération spontanée.
Le compliment n’est plus d’objet direct ou indirect, il est l’alpha et l’oméga des propos sur la littérature tenus, souvent, par les écrivains eux-mêmes, sur eux-mêmes : comme si les bancs des applaudisseurs ne suffisaient pas, l’auteur en vient ainsi à s’autocongratuler, publiquement ! Le compliment est porté comme une ombre enfin par la flagornerie et les boniments des charlatans de la critique (la médecine a bien ses charlatans, pourquoi pas la critique littéraire !) qui font le siège de la presse écrite, souvent, sans supplément culturel spécialisé, à la merci et à la portée de n’importe quel aventurier de la plume.
Dans ce schéma de l’écrivain autoproclamé (croire en soi est une chose, se proclamer poète ou romancier, bref écrivain, en est une autre), Khalid Zekri décèle non pas un travail d’écriture mais un travail de rédaction. Comme dans la presse, il convient de ne pas confondre « blogueur et journaliste », « journalisme culturel » et « critique littéraire » ! Et à L’Opinion Culture on le sait d’autant mieux que la littérature appartient à l’ADN de cette page spécialisée créée à l’origine, au début des années 70, par Khalid Jamaï, lauréat de la Faculté des Lettres de Rabat, dirigée par la suite par Abdellah Memmes, professeur de littérature maghrébine (ça ne s’invente pas !), Khalil Raïs et moi-même, avec dans les CV des études en littérature.
Information n’est pas promotion
Mohamed Hmoudane peut ainsi écrire en toute impunité intellectuelle dans le désert du débat sur la littérature : « Héritier de Laâbi, Loakira, Khair-Eddine, Nissaboury et de je ne sais qui d’autre? Zobi! Moi, pas «Souffles»! Abdelfettah Kilito a analysé la possibilité de l’écrivain qui ne lit pas à partir d’une expérience vécue : il en ressort qu’écrire sans lire les autres écrivains est possible. Lire sans s’affilier est aussi dans la logique du possible : le dadaïsme n’a-t-il pas été une sorte de révolte contre le surréalisme.
L’écrivain qui ne lit pas se prive ainsi de combats d’idées, de formes, globalement, d’une esthétique de la révolte (ou de la soumission !) qui peuvent être salutaires. Ces remarques ne s’adressent pas, bien entendu, à Mohamed Hmoudane (poète, romancier et vilipendeur de ses ainés) qui ne dit pas qu’il ne lit pas mais qu’il ne se reconnait pas dans le rapport d’élève à maître, dans une sorte d’art d’écrire de la vulgarité comme en témoigne cette flèche, exprimée en darija, adressée à Abdelfettah Kilito : « Kilito est revenu à « sa mère » et non au roman », qu’il refuse de voir en romancier.
Dans le champ littéraire, il semble que l’on a perdu le sens des rôles, comme le rappelait encore une fois Khatibi à propos de l’image brouillée que l’on renvoyait de lui: « Je me suis demandé souvent si mon profil d’intellectuel est plus ou moins clair dans l’esprit des gens, lecteurs ou non, me connaissent personnellement ou pas. Ici ou là, on me dit sociologue, chercheur, professeur, poète, romancier, essayiste, sémiologue, critique d’art, philosophe, politologue même. Je suis accablé par cette non-identification des rôles. Mais me suis-je dit, cette confusion des rôles et des tâches est, en elle-même, un obstacle qui serait favorable à la connaissance de soi et d’autrui ».
Depuis une sorte de renversement s’est opéré. La confusion est entretenue par les auteurs eux-mêmes, sur eux-mêmes qui s’affublent de titres divers, tant ils sont livrés à eux-mêmes, sans les barrières protectrices des traditions et d’une critique littéraire qui s’aventure dans les textes, et seulement.
Abdelkébir Khatibi serait en peine de se retrouver sur Facebook où l’on peut lire des qualificatifs aussi variés que, souvent plus que parfois, vides de sens : « Universitaire et auteur », « journaliste-scénariste-actrice », « Ecrivain, critique littéraire », « Journaliste essayiste », « Ecrivain, psychiatre, psychanalyste », « journaliste et écrivain », « Ecrivain, poète et traducteur », « journaliste-analyste », « professeur freelance »… Au-delà des titres alambiqués et dont on ne trouve nulle trace dans la liste des professions reconnues, les écrivains font d’une simple présentation d’un livre à la télé, une chronique et même un reportage, d’un compte rendu de presse, une critique littéraire… et la liste des exagérations par méconnaissance et égo surdimensionné n’est pas close ! Dans les faits, on en vient ainsi à confondre promotion et information. Dans la presse, si l’information relève de la rédaction, la promotion dépend du service commercial…
Un sillon ne fait pas un labour
Le même Khatibi dont on oublie souvent qu’il est l’auteur d’un essai qui a fait date, « Le roman maghrébin », a tracé une sorte de profil idéal du lecteur qui peut parfaitement définir celui du critique littéraire : « Comme les écrivains, les lecteurs sont rares. On n’accède pas à la «bonne lecture». Elle exige à la fois une connaissance précise de la langue, une sensibilité aguerrie à l’art de la surprise et de l’étonnement, le goût du détail et de la forme, l’amour du risque de la pensée ».
Dans la même veine, il écrit encore « Comment un lecteur est-il possible ? Un bon lecteur absorbe le poison mais ne meurt pas de plaisir, il combine un poison plus pur aussi imbibe-t-il l’esprit d’autres lecteurs ». Et enfin ce constat toujours d’actualité du même Khatibi : « la critique est d’abord l’expression d’une bonne lecture. Je regrette, mais, elle est si rare que je me sens parfois triste devant les articles et les études qu’on écrit sur moi. J’ai l’impression qu’il ne s’agit pas de moi, mais d’une pure projection. Je cherche des lecteurs et des critiques complices ». La complicité n’est pas la complaisance mais l’intelligence du texte, celle qui comprend et analyse sans concession, sans corruption du texte et de la pensée.
Pour ne pas conclure : question personnelle, que je m’adresse à moi-même : si tu avais à conseiller la lecture de critiques littéraires, quel auteur conseillerais-tu ? Je réponds à moi-même, sans hésiter : Abdeljlil Lahjomri, pour l’érudition, la pureté de la langue et la pertinence de la lecture, car il dialogue avec les oeuvres analysées et s’adresse, rarement sinon jamais, à l’égo de l’auteur. Abdeljlil Lahjomri, avec une rare constance, a persévéré dans ses chroniques malgré les lourdes charges professionnelles qu’il assume, notamment, à la tête de l’Académie du Royaume.
Seconde question à moi-même, même si dans le journalisme, la règle est de s’effacer, de disparaître, de faire en sorte de ne pas exister derrière son propos : peut-on dire qu’il existe un potentiel de critique littéraire qui n’est pas exploité ? La réponse peut se situer du côté de Abdellah Baida, Rachid Khaless, Abdelghani Fennane ou encore Mokhtar Chaoui qui peuvent ou auraient pu faire oeuvre de critiques littéraires mais sont restés de l’autre côté du miroir.
Un gisement existe également du côté de l’université où des critiques littéraires en sommeil ne se manifestent que lors des colloques et autres rencontres académiques. Dans ce contexte, comment ne pas penser à Abderrahmane Tenkoul, El Houssine Diane, Khalid Zekri, Sanae Ghouati, Assia Belhabib, et tant d’autres encore ? Le sillon que trace Khalid Lyamlahy ne fait pas un labour, il peut et devrait s’enrichir d’autres sillons pour semer large et récolter abondant. En clair, l’expérience de Khalid Lyamlahy me parait bien isolée et sans autres noms à aligner de sa génération.
Pourquoi se présenter comme prémices quand on peut être ce que l’on veut que l’on soit : les mots sont là, serviles, malléables à loisir pour servir les égos alors qu’à une époque encore récente, le « je » était haïssable. L’écrivain n’est plus dans un cycle quelconque, dans une logique de mutation, il est de l’ordre de la génération spontanée.
Le compliment n’est plus d’objet direct ou indirect, il est l’alpha et l’oméga des propos sur la littérature tenus, souvent, par les écrivains eux-mêmes, sur eux-mêmes : comme si les bancs des applaudisseurs ne suffisaient pas, l’auteur en vient ainsi à s’autocongratuler, publiquement ! Le compliment est porté comme une ombre enfin par la flagornerie et les boniments des charlatans de la critique (la médecine a bien ses charlatans, pourquoi pas la critique littéraire !) qui font le siège de la presse écrite, souvent, sans supplément culturel spécialisé, à la merci et à la portée de n’importe quel aventurier de la plume.
Dans ce schéma de l’écrivain autoproclamé (croire en soi est une chose, se proclamer poète ou romancier, bref écrivain, en est une autre), Khalid Zekri décèle non pas un travail d’écriture mais un travail de rédaction. Comme dans la presse, il convient de ne pas confondre « blogueur et journaliste », « journalisme culturel » et « critique littéraire » ! Et à L’Opinion Culture on le sait d’autant mieux que la littérature appartient à l’ADN de cette page spécialisée créée à l’origine, au début des années 70, par Khalid Jamaï, lauréat de la Faculté des Lettres de Rabat, dirigée par la suite par Abdellah Memmes, professeur de littérature maghrébine (ça ne s’invente pas !), Khalil Raïs et moi-même, avec dans les CV des études en littérature.
Information n’est pas promotion
Mohamed Hmoudane peut ainsi écrire en toute impunité intellectuelle dans le désert du débat sur la littérature : « Héritier de Laâbi, Loakira, Khair-Eddine, Nissaboury et de je ne sais qui d’autre? Zobi! Moi, pas «Souffles»! Abdelfettah Kilito a analysé la possibilité de l’écrivain qui ne lit pas à partir d’une expérience vécue : il en ressort qu’écrire sans lire les autres écrivains est possible. Lire sans s’affilier est aussi dans la logique du possible : le dadaïsme n’a-t-il pas été une sorte de révolte contre le surréalisme.
L’écrivain qui ne lit pas se prive ainsi de combats d’idées, de formes, globalement, d’une esthétique de la révolte (ou de la soumission !) qui peuvent être salutaires. Ces remarques ne s’adressent pas, bien entendu, à Mohamed Hmoudane (poète, romancier et vilipendeur de ses ainés) qui ne dit pas qu’il ne lit pas mais qu’il ne se reconnait pas dans le rapport d’élève à maître, dans une sorte d’art d’écrire de la vulgarité comme en témoigne cette flèche, exprimée en darija, adressée à Abdelfettah Kilito : « Kilito est revenu à « sa mère » et non au roman », qu’il refuse de voir en romancier.
Dans le champ littéraire, il semble que l’on a perdu le sens des rôles, comme le rappelait encore une fois Khatibi à propos de l’image brouillée que l’on renvoyait de lui: « Je me suis demandé souvent si mon profil d’intellectuel est plus ou moins clair dans l’esprit des gens, lecteurs ou non, me connaissent personnellement ou pas. Ici ou là, on me dit sociologue, chercheur, professeur, poète, romancier, essayiste, sémiologue, critique d’art, philosophe, politologue même. Je suis accablé par cette non-identification des rôles. Mais me suis-je dit, cette confusion des rôles et des tâches est, en elle-même, un obstacle qui serait favorable à la connaissance de soi et d’autrui ».
Depuis une sorte de renversement s’est opéré. La confusion est entretenue par les auteurs eux-mêmes, sur eux-mêmes qui s’affublent de titres divers, tant ils sont livrés à eux-mêmes, sans les barrières protectrices des traditions et d’une critique littéraire qui s’aventure dans les textes, et seulement.
Abdelkébir Khatibi serait en peine de se retrouver sur Facebook où l’on peut lire des qualificatifs aussi variés que, souvent plus que parfois, vides de sens : « Universitaire et auteur », « journaliste-scénariste-actrice », « Ecrivain, critique littéraire », « Journaliste essayiste », « Ecrivain, psychiatre, psychanalyste », « journaliste et écrivain », « Ecrivain, poète et traducteur », « journaliste-analyste », « professeur freelance »… Au-delà des titres alambiqués et dont on ne trouve nulle trace dans la liste des professions reconnues, les écrivains font d’une simple présentation d’un livre à la télé, une chronique et même un reportage, d’un compte rendu de presse, une critique littéraire… et la liste des exagérations par méconnaissance et égo surdimensionné n’est pas close ! Dans les faits, on en vient ainsi à confondre promotion et information. Dans la presse, si l’information relève de la rédaction, la promotion dépend du service commercial…
Un sillon ne fait pas un labour
Le même Khatibi dont on oublie souvent qu’il est l’auteur d’un essai qui a fait date, « Le roman maghrébin », a tracé une sorte de profil idéal du lecteur qui peut parfaitement définir celui du critique littéraire : « Comme les écrivains, les lecteurs sont rares. On n’accède pas à la «bonne lecture». Elle exige à la fois une connaissance précise de la langue, une sensibilité aguerrie à l’art de la surprise et de l’étonnement, le goût du détail et de la forme, l’amour du risque de la pensée ».
Dans la même veine, il écrit encore « Comment un lecteur est-il possible ? Un bon lecteur absorbe le poison mais ne meurt pas de plaisir, il combine un poison plus pur aussi imbibe-t-il l’esprit d’autres lecteurs ». Et enfin ce constat toujours d’actualité du même Khatibi : « la critique est d’abord l’expression d’une bonne lecture. Je regrette, mais, elle est si rare que je me sens parfois triste devant les articles et les études qu’on écrit sur moi. J’ai l’impression qu’il ne s’agit pas de moi, mais d’une pure projection. Je cherche des lecteurs et des critiques complices ». La complicité n’est pas la complaisance mais l’intelligence du texte, celle qui comprend et analyse sans concession, sans corruption du texte et de la pensée.
Pour ne pas conclure : question personnelle, que je m’adresse à moi-même : si tu avais à conseiller la lecture de critiques littéraires, quel auteur conseillerais-tu ? Je réponds à moi-même, sans hésiter : Abdeljlil Lahjomri, pour l’érudition, la pureté de la langue et la pertinence de la lecture, car il dialogue avec les oeuvres analysées et s’adresse, rarement sinon jamais, à l’égo de l’auteur. Abdeljlil Lahjomri, avec une rare constance, a persévéré dans ses chroniques malgré les lourdes charges professionnelles qu’il assume, notamment, à la tête de l’Académie du Royaume.
Seconde question à moi-même, même si dans le journalisme, la règle est de s’effacer, de disparaître, de faire en sorte de ne pas exister derrière son propos : peut-on dire qu’il existe un potentiel de critique littéraire qui n’est pas exploité ? La réponse peut se situer du côté de Abdellah Baida, Rachid Khaless, Abdelghani Fennane ou encore Mokhtar Chaoui qui peuvent ou auraient pu faire oeuvre de critiques littéraires mais sont restés de l’autre côté du miroir.
Un gisement existe également du côté de l’université où des critiques littéraires en sommeil ne se manifestent que lors des colloques et autres rencontres académiques. Dans ce contexte, comment ne pas penser à Abderrahmane Tenkoul, El Houssine Diane, Khalid Zekri, Sanae Ghouati, Assia Belhabib, et tant d’autres encore ? Le sillon que trace Khalid Lyamlahy ne fait pas un labour, il peut et devrait s’enrichir d’autres sillons pour semer large et récolter abondant. En clair, l’expérience de Khalid Lyamlahy me parait bien isolée et sans autres noms à aligner de sa génération.
Abdallah BENSMAÏN