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Actu Maroc

Sahara : Les dessous des gesticulations de la droite espagnole [INTÉGRAL]


Rédigé par Anass MACHLOUKH Jeudi 17 Juillet 2025

L'accueil du Polisario au Congrès du Parti Populaire espagnol n’est que le point culminant d’une longue remise en cause du soutien de Pedro Sanchez à la marocanité du Sahara. Décryptage d’une animosité de plus en plus flagrante.



Lundi, devant les journalistes, le porte-parole du Parti Populaire espagnol, Borja Sémper, a répondu aux remontrances du Parti de l'Istiqlal sur la position de sa formation politique sur le Sahara. Avec un langage hermétique,   le porte-voix du PP est resté fidèle à son ambiguïté. "Notre position est publique et transparente, contrairement aux décisions prises par le gouvernement Sanchez», a-t-il déclaré, ajoutant que la politique étrangère de l'Espagne demeure indépendante et ne doit nullement être subordonnée à d'autres pays.

C’est en effet cette ambiguïté qui a poussé le Secrétaire Général du Parti de l'Istiqlal, Nizar Baraka, à adresser une lettre au patron du PP, Alberto Núñez Feijóo, où il fait part de sa préoccupation quant à cette attitude controversée sur le Sahara, surtout après avoir reçu une délégation du Polisario lors de son congrès général. Le représentant du front séparatiste en Espagne, Abdullah Arabi, a été reçu publiquement en tant qu’invité spécial avec une cordialité excessive comme si le Parti Populaire voulait signifier que le soutien espagnol au plan d’autonomie n’engageait que le gouvernement de Pedro Sanchez qui a pris cette décision en 2022. 
 
Une volonté de liquider l’héritage de Pedro Sanchez ?

D’ailleurs, le PP a assumé son opposition à la politique des socialistes en plaidant ouvertement pour le Droit international et les Résolutions des Nations Unies concernant l'affaire du Sahara. Dans son programme politique publié à l’issue du Congrès, le parti de l'opposition a appelé à des relations équilibrées à la fois avec le Maroc et l’Algérie. Allusion claire à une volonté de liquider l’héritage de Pedro Sanchez et détruire tout ce qu’il a bâti pendant son mandat où les relations maroco-espagnoles ont atteint leur apogée suite à la réconciliation triomphale des deux pays en 2022. 
Les objurgations du Parti de l'Istiqlal ne sont pas passées inaperçues dans la presse ibérique. Quelques médias sont allés jusqu’à accuser Nizar Baraka de vouloir faire pression sur le PP.  Mais cette mise en garde est une réaction à un acte jugé provocateur de la part d’un parti apte à gouverner un jour, qui demeure la principale force d’opposition en Espagne. Le Maroc devient ainsi un leitmotiv et un cheval de bataille dans le bras de fer de la droite contre les socialistes au pouvoir. “C’est certainement un acte provocateur, le PP veut manifestement se distinguer par rapport au Parti Socialiste, surtout sur la question du Sahara, à la veille d’une probable élection anticipée sur fond des accusations de corruption qui pèsent sur l'entourage de Pedro Sanchez”, nous explique Mohammed Badine El Yattioui, Professeur d'Études Stratégiques au Collège de Défense (NDC) des Emirats Arabes Unis à Abou Dhabi. Selon cet expert, le patron du PP, Alberto Nunez Féijoo, n’a pas encore digéré sa défaite aux élections précédentes et semble avoir du mal à s'imposer politiquement face à Pedro Sanchez qui se porte bien avec un bon bilan économique. D’où le pari sur la question du Sahara qui continue de peser dans le débat politique et médiatique en Espagne. Cela permet au PP de se distinguer des socialistes au Parlement. 

Le PP n’a eu de cesse de pourfendre la décision de Pedro Sanchez de soutenir le plan d’autonomie qu’il a essayé à maintes reprises de révoquer au Parlement à travers des motions et des propositions parlementaires.    
 
Ce que le PP fait semblant de ne pas voir !

En gros, la droite, y compris VOX, accuse le PS d’avoir sacrifié des intérêts de l’Espagne pour se réconcilier avec le Maroc.  Frôlant le complotisme, le PP soupçonne Pedro Sanchez de cacher les termes d’un accord prétendument secret conclu avec le Maroc à la veille de la réconciliation de 2022. 

Quelques cadres du PP jugent même que cette réconciliation est trop favorable au Royaume, faisant fi des nombreux avantages qu’en tire Madrid sur les plans migratoire, sécuritaire, économique… Les acquis sont nombreux : essor de la coopération sécuritaire grâce à laquelle l’Espagne a pu déjouer une série d'attentats terroristes et démanteler nombre de réseaux de narcotrafic, réouverture des douanes commerciales, maîtrise de l’immigration clandestine, organisation conjointe de la Coupe du Monde et les nombreux contrats juteux engrangés par les sociétés espagnoles au Maroc sont la parfaite illustration du partenariat mutuellement bénéfique que les deux pays ont réussi à édifier après la parenthèse aujourd’hui oubliée de “Ghali Gate”. 

Mais pour la droite espagnole, dont une partie reste encore prisonnière des vestiges de l’ère franquiste et des phalangistes, l’idéologie prime sur la Realpolitik. Une partie importante des nationalistes espagnols, y compris l’extrême droite de VOX, peine à accepter le fait que le Maroc et l’Espagne puissent coopérer d’égal et égal. D’où cette perception du Maroc comme ennemi historique qui remonte souvent dans les sondages et les déclarations politiques. Une perception souvent partagée par des franges conservatrices à la fois dans les services de Renseignement et dans l’Armée.       

La droite espagnole a de tout temps flirté avec le Polisario et considéré la question du Sahara comme un moyen de pression vis-à-vis du Maroc. Les déclarations de l’ancien Premier ministre José Maria Aznar le prouvent.  

Le PP serait-il disposé à faire marche arrière sur le Sahara s’il arrive un jour au pouvoir ?  Un scénario peu probable selon l'historien Abdelouahed Akmir, l’un des plus fins connaisseurs de la scène politique espagnole. 

“L’Histoire des relations maroco-espagnoles pendant la dernière décennie montre qu’elles sont régies par la Realpolitik. Raison pour laquelle la position espagnole devrait transcender les clivages politiques parce que les intérêts sont tellement enchevêtrés qu’un changement aurait des conséquences irréversibles", explique-t-il dans une déclaration à «L'Opinion». Selon notre interlocuteur, l’ancien gouvernement de Mariano Rajoy, de droite, était conscient que l’Espagne avait intérêt à soutenir le plan d’autonomie sans avoir le courage de le faire puisque le scénario d’un État fantoche au Sahara a été  jugé funeste par une étude de l'Institut royal d'études stratégiques Elcano. Pour sa part, M. El Yattioui estime que le PP aurait du mal à aller jusqu’au bout de sa contestation de la décision de Pedro Sanchez, car ses déclarations anti-marocaines ne sont qu’un discours destiné à la consommation interne.  
 
Anass MACHLOUKH

Trois questions à Mohamed Badine El Yattioui : “Il y a une volonté chez le PP de ne pas laisser la question du Sahara à l’extrême gauche”

Mohamed Badine El Yattioui, Professeur d’Études Stratégiques au Collège de Défense (NDC) des Emirats Arabes Unis à Abou Dhabi, a répondu à nos questions.
Mohamed Badine El Yattioui, Professeur d’Études Stratégiques au Collège de Défense (NDC) des Emirats Arabes Unis à Abou Dhabi, a répondu à nos questions.
  • Le PP semble très ambigu sur la question du Sahara. S’agit-il d’une conviction ou d’une stratégie politique ?

Cette ambiguïté est délibérément assumée sachant que l’ancien Premier ministre, José Maria Aznar, avait qualifié la décision de Pedro Sanchez d’erreur historique. Une partie du PP, surtout l’ancienne génération, qui est encore sur le devant de la scène, peine encore à considérer le Maroc comme un partenaire égal de l’Espagne car le Royaume avait imposé ses conditions à la veille de la réconciliation entre les deux pays en 2022. La déclaration conjointe a instauré une nouvelle ère et une coopération plus équilibrée qui tient compte des intérêts des deux pays. Pour le Maroc, la question du Sahara est le prisme par lequel il mesure la sincérité des partenaires. Cela est inacceptable pour une bonne partie de l’ancienne génération du PP qui semble vouloir revenir à tout prix à la position traditionnelle de la diplomatie espagnole. Là, il y a aussi une volonté de ne pas laisser le discours pro-Polisario à l’extrême gauche qui demeure l’un des plus fervents défenseurs du front séparatiste au Parlement. 
 
  • Pensez-vous que le PP puisse révoquer le soutien espagnol au Plan d’autonomie s’il arrive un jour au pouvoir ?

Je ne pense pas que le PP soit en capacité de le faire sachant qu’une telle décision aurait des conséquences majeures sur la coopération avec le Maroc aux niveaux sécuritaire, migratoire et économique. N’oublions pas qu’il y a des intérêts majeurs avec 800 millions d’euros d’investissements et d’accords à long terme. Raison pour laquelle je ne pense pas que le PP fasse volte-face car cela engendrerait immédiatement une réaction marocaine, sans oublier l’opposition des cercles d’affaires espagnols et une partie importante de la classe politique à un tel sacrifice de ce qui a été bâti durant l’ère Sanchez. Cela est d’autant plus improbable que l’Espagne n’a rien à gagner, au moment où le conflit s’approche de son dénouement aux Nations Unies. Un tel scénario ne ferait qu’isoler l’Espagne dans le cercle des pays qui pèsent sur le conflit à l’ONU, dont la majorité soutient la marocanité du Sahara. 
 
  • La droite espagnole, en général, et le PP, en particulier, semblent porter une hostilité historique à l’égard du Maroc. Comment analysez-vous cette sensibilité ?

Cela remonte à l’époque coloniale. N’oublions pas que le PP est un agrégat de tendances libérales, conservatrices et réactionnaires, y compris les franquistes de la Phalange. Une partie de la droite espagnole a vécu la récupération du Sahara comme une humiliation. Il y a également cette sensibilité qui existe chez les nationalistes espagnols, y compris dans l’Armée qui voit le Maroc comme une menace substantielle. Raison pour laquelle ils sont nombreux à croire que le règlement de la question du Sahara donnerait lieu à des revendications marocaines sur Sebta et Mellilia. Le PP est tout de même face à un paradoxe puisqu’une grande partie des cercles d’affaires vote pour lui. Les entrepreneurs et les hommes d’affaires ont une vision plus pragmatique du Maroc. Donc, la Realpolitik s’impose souvent face aux considérations historiques et idéologiques. 
 
Recueillis par
Anass MACHLOUKH 

Idylle maroco-espagnole : Les gains mutuels qu’on ne veut pas voir !

Depuis la réconciliation maroco-espagnole, la coopération n’a jamais été aussi étroite entre Rabat et Madrid. Chacun semble trouver son compte dans la refondation des relations qui a visiblement instauré un nouveau climat de confiance ô combien vital dans une relation aussi sensible entre deux pays condamnés par la géographie à coopérer. Pour l’instant, les gains sont mutuellement bénéfiques. En témoigne le commerce bilatéral qui a atteint des records historiques en 2024 avec un volume d’échanges de 22,7 milliards d’euros. En quatre ans (2020-2024), les exportations espagnoles ont flambé passant de 7,4 à 12,5 milliards d’euros, faisant du Maroc le septième client mondial de l’Espagne et le troisième hors de l’Union Européenne. Idem pour les investissements espagnols au Maroc qui ont culminé à 1,905 milliard d’euros. Un stock qui devrait augmenter dans les années à venir sachant que le Premier ministre Pedro Sanchez avait annoncé 800 millions d’euros d’investissements en marge du Conseil d’affaires en 2023. Par ailleurs, le commerce a progressivement repris à Sebta et Mellilia, en dépit des contraintes logistiques et techniques. 

VOX : Le piège électoral du PP

Bien qu’il soit arrivé premier aux élections législatives anticipées de 2023, le Parti Populaire n’a pas pu reconquérir le pouvoir après avoir échoué à construire une coalition. Son alliance avec l’extrême droite de VOX ne lui a pas suffi pour obtenir la majorité au Congrès des députés. Ce fut un camouflet douloureux pour le patron du PP, Alberto Nunez Feijoo, qui a promis de redonner à la droite sa gloire perdue après le départ humiliant de Mariano Rajoy, renversé impitoyablement en 2018 par une motion de censure qui l’a contraint à remettre les clés du pouvoir à son rival Pedro Sanchez. Maintenant, le Parti Populaire compte toujours sur VOX pour gouverner. Or, l’extrême droite demeure tiraillée sur la question du Sahara puisqu’il y a un fort courant hostile au Polisario qu’il considère comme une organisation terroriste suite aux assassinats de plusieurs ressortissants espagnols aux Îles Canaries durant les années 80. “Compte tenu de cela, les deux partis peinent à parler d’une même voix sur le front séparatiste”, fait remarquer Mohamed Badine El Yattioui. 

Cependant, le PP et VOX ne tiennent pas moins le même discours sur Sebta et Mellilia qu’ils accusent sans cesse le Maroc de vouloir étouffer économiquement bien que les douanes commerciales soient rétablies. Cette hostilité partagée pour le Maroc n’est que le reflet d’une vieille animosité qu’entretiennent les cercles nationalistes espagnols. Un récent sondage de l’Institut royal Elcano a montré que 55% des Espagnols interrogés considèrent encore le Maroc comme un ennemi et une menace substantielle.







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