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Rétro-verso : L'Institution Guessous ou le plaidoyer nationaliste par l'éducation


Rédigé par Houda BELABD Mercredi 12 Avril 2023

L'Association des parents d'élèves de l'Institution Guessous à Rabat a célébré, dimanche dernier, le 33ème anniversaire de la mort de feu Ahmed Balafrej, l'un des leaders nationalistes de la lutte de libération marocaine. Retour sur la saga d'une école qui a savamment su ancrer les couleurs d'un Maroc postcolonial.



Rétro-verso : L'Institution Guessous ou le plaidoyer nationaliste par l'éducation
C'est dans la capitale du Royaume que se trouve l'Institution M'hammed Guessous. Riche de près d'un siècle de militantisme pour la consécration de l'identité marocaine, dès la maternelle jusqu’au lycée, cet organe d'enseignement privé est l'un des premiers à avoir su allier nationalisme et apprentissage de la langue de Molière au Maroc.
Fondée en 1934 par le nationaliste de première ligne et de première heure Ahmed Balafrej, l'école a d’emblée fait figure de référence pour les nationalistes marocains au point de devenir le porte-drapeau de leur cause.

En effet, de génération en génération, ses lauréats sont devenus des diplomates et des messagers de la pensée nationale, indépendantiste, moderne et post-coloniale du Mouvement National Marocain. Car en accédant à des postes dignes de ce nom et en se plaçant à l'avant-garde des sphères politiques et scientifiques, ces détenteurs du savoir forment, aujourd'hui, l'intelligentsia marocaine à laquelle aspirait le regretté Balafrej.

Construite au cœur du quartier des Orangers de Rabat, sur un foncier qui avait été légué à Ahmed Balafrej par son oncle M'hammed Guessous, elle doit son nom à ce dernier.
Mais avant que le Protectorat français ne cesse de se livrer au durcissement des méthodes de répression des dirigeants du Mouvement national marocain, allant de l'intimidation aux poursuites judiciaires en passant par d’autres mesures d'isolement, l'Institution Guessous est temporairement aménagée en caserne française avant d'être évacuée lors du retour d'exil de son fondateur.

Quelques années plus tard, soit en 1975, compte tenu du nombre croissant de demandes d'inscription, l'école a décidé de se doter d'une annexe en plein quartier Souissi, en vue de satisfaire les attentes des parents qui aspirent tant à améliorer le niveau d'éducation de leur progéniture.

D’ailleurs, la conséquence logique de cette grande prouesse en est qu’en 2004, l'école M'hammed Guessous a été classée en tant que patrimoine national par l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture, et ce à la plus grande satisfaction de ses dirigeants, de ses lauréats et de ses élèves.
 
L’école des VIP
 
Parmi les lauréats de l’école M’hammed Guessous de Rabat, il y a lieu de nommer Ahmed Pirou, chanteur du répertoire gharnati, Adil Douiri, ancien ministre du Tourisme, Abdelhak El Merini, Directeur du Protocole Royal et de la Chancellerie, Brahim Frej, chambellan du défunt Roi Hassan II puis de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Abdelfettah Frej, ancien chef du secrétariat privé du Roi Hassan II, Driss Chraïbi, auteur marocain d'expression française, Abderrahman Tazi, ancien membre du Conseil d'administration de la Banque mondiale et membre du comité directeur de la Chambre de commerce internationale, entre autres hauts fonctionnaires, penseurs, professeurs universitaires et hommes de science et de lettres.
 
Quid du système éducatif d’alors ?
 
Au milieu des années 1950, dans le contexte de la quête d'indépendance politique du Mouvement nationaliste marocain, l'école Guessous a abouti à la mise en avant de plusieurs milliers de bacheliers qui ont pu passer le relais aux nouvelles générations, auxquelles ils ont insufflé les valeurs nationalistes du Maroc indépendant. La conjoncture progressiste était telle que les fonctions gouvernementales et de direction économique sont tout de suite confiées aux plus méritants, aux plus compétitifs, et non à une quelque élite cooptée. 
Au moment de l'indépendance, le programme politique des nationalistes prône le volontarisme en matière d'éducation, dénonçant le fait que la colonisation a négligé l'éducation de ceux qu'elle se plaisait à appeler les «indigènes».

Pour les nouveaux constructeurs du Maroc contemporain, il s'agissait indubitablement d'élargir le périmètre de la scolarisation afin de doter le pays des cadres et des techniciens nécessaires à son progrès. La coopération éducative et universitaire, lancée dès 1957, se devait de répondre à un besoin vital pour le Maroc : celui de vivre pleinement son indépendance.
 
Houda BELABD

Pionniers : Balafrej et Jorio, le tandem réussi !

Parler de feu Ahmed Balafrej sans évoquer son binôme de principes, Haj Othman Jorio, c'est faire table rase de la complicité qu’il y a eu entre deux des principaux artisans du Maroc indépendant.
 
Né en 1916 à Rabat et décédé le 6 décembre 2009 à l'âge de 93 ans, Haj Othman Jorio fut l'un des signataires du Manifeste de l'Indépendance.

En 1948, ce nationaliste de premier rang a obtenu des diplômes prestigieux, dont celui de «la Alimiya » à l'Université Al Quaraouiyine. Auteur de plusieurs ouvrages scientifiques et littéraires, dont le manuel Al Moutalaâ Al Arabia pour l'école primaire (1943), il a aussi écrit plusieurs textes littéraires et patriotiques. Il est également l’auteur de plusieurs textes littéraires et chants patriotiques qu'il enseignait à ses élèves, bravant la censure des autorités du protectorat qui l'empêchaient de les publier.

En 1932, il officie au sein de l'Association islamique de bienfaisance. Aussi, est-il l'un des fondateurs de l'enseignement privé national avec l'école Rhamania. Il garde une relation privilégiée avec Ahmed Balafrej à l'école M'hammed Guessous, dont il écrit l'hymne.
Auteur de multiples motions qui ont débouché sur le Manifeste de l'Indépendance, adressé par les oulémas, les jeunes militants, les travailleurs, leurs commerçants et les hommes d'affaires au Roi Mohammed V. Il fait paraître plusieurs articles dans le journal Al Atlas et la revue Al-Maghreb. Il poursuit son action nationale dans le cadre de l'enseignement privé à la tête des écoles Mohammed V qui ont joué un rôle pionnier en matière de préparation des générations nationalistes et de valorisation de la langue arabe et des valeurs islamiques.

Rappelons que le Manifeste de l'indépendance est un acte éminemment symbolique dans l’histoire de la lutte nationale du Maroc, venant concrétiser et donner un fort élan aux positions nationalistes adoptées dans le Manifeste contre le Dahir berbère du 28 août 1930.
Le 11 janvier est officiellement consacré comme jour férié au Maroc.

Le 8 novembre 1942, en pleine Seconde Guerre mondiale, le Maroc est sous protectorat français lorsque les Anglo-Américains débarquent sur les plages atlantiques marocaines dans le cadre de l'opération Torch. Les Français libres mettent alors la main sur une administration coloniale française largement pétainiste et collaborationniste. Il va sans dire que cet épisode a réjoui les nationalistes marocains comme jamais auparavant, y voyant les prémices d’une nouvelle ère annoncée.
 
 

Education : Aux origines de l’enseignement bilingue…

Pour prendre le pouls du nationalisme marocain depuis sa naissance, il convient de faire un flash-back historique. Nous sommes en 1920. Le Maroc nationaliste est traversé par un mouvement de renouveau, né du rapprochement avec l'Occident tout en restant fidèle à ses idéaux. Il est confronté à un protectorat marqué par la personnalité du général Lyautey et à un autre versant du protectorat qui tend vers l'administration directe, sans que la ligne entre l'un à l'autre ne soit clairement marquée.
 
De 1920 à 1934, le nombre de bacheliers marocains ayant bénéficié d'une bourse en France s'élève à 53, selon plusieurs ouvrages d'histoire. «Dans les années 1920, plusieurs dizaines de pionniers, dont les fondateurs de l'Istiqlal comme Ahmed Balafrej, ont étudié en France. Puis, après 1945, plusieurs centaines d'élèves des écoles musulmanes et des lycées français du protectorat ont étudié en France », expliquait, il y a quelques mois au dictaphone de L'Opinion, Pierre Vermeren, historien et spécialiste de l'histoire du protectorat français au Maroc.
 
Une particularité importante, ajoute-t-il, c’est que «Paris était la destination rêvée, mais le protectorat a réparti les jeunes dans les provinces pour éviter la contagion des idées indépendantistes ». Moulay Hassan a fait des études de droit à Bordeaux. Puis la Maison du Maroc est construite à la Cité Universitaire de Paris, peu avant l'indépendance du Maroc.
 
Les jeunes diplômés de l'époque découvrent un Maroc qui semble renaître après la Première Guerre mondiale. Cependant, la décennie de forte croissance économique est interrompue par la crise financière des années 1930. L'intelligentsia nationale gagne la France, sous l'égide du Protectorat, mais avec une vision patriotique. Ces avant-gardistes partent donc acquérir un savoir-faire pour le plus grand bien de la mère-patrie.
 
On ne saurait cependant parler des années 1930 sans évoquer le Mouvement national naissant et l'un de ses initiateurs, Hassan El-Ouazzani. Le regretté Allal El Fassi, qui fut le porte-parole de ce mouvement, revint de France à Fès en 1934, où il prit part, au sein du Comité d'action marocain, à la mise au point du plan de réforme. Élu président du nouveau Parti national en 1937, il est exilé au Gabon peu après, mesure prise par le gouvernement français pour juguler les mouvements nationalistes marocains, et ce pendant neuf ans. Isolé du monde et de son peuple, sa voix est relayée par tous ceux qui s'imprégnaient de sa pensée, profondément ancrée dans les repères de la nation marocaine.

Diplomatie: Ahmed Balafrej ou le parcours d’un militant hors pair

Il y a 33 ans disparaissait Ahmed Balafrej, l'un des principaux protagonistes de la lutte, à bras le corps, pour l'indépendance du Maroc, fondateur de la première école marocaine bilingue non-coloniale,  protagoniste historique du Manifeste de l'Indépendance et premier Secrétaire général du Parti de l'Istiqlal. Il est aussi le fondateur et premier rédacteur en chef du quotidien Al Alam, médiateur emblématique de l'indépendance, premier chef de la diplomatie et président du Conseil du premier et unique gouvernement entièrement istiqlalien. Il est, en somme, l'un des architectes du Maroc moderne postcolonial.

Ceci étant, dès l'Indépendance du Royaume, il devient ipso facto son chef de la Diplomatie et donc, le fondateur de celle-ci. De ce fait, il a dissocié, le plus naturellement du monde, le MAE de toute influence du Quai d'Orsay suite à l’entrée en vigueur de la convention franco-marocaine du 20 mai 1956. Aussi, le regretté fut-il le déclencheur des négociations pour la libération de Tarfaya et le retour de Tanger à la souveraineté marocaine.

Plus diplomate et homme d'Etat que partisan, il s'est tenu à l'écart après avoir été président du Conseil en 1958, au moment des quelques tensions et frictions qui ont affecté le parti de l'Istiqlal après l'indépendance, heureusement temporaires.

Il quitte ses fonctions en 1972, ne laissant pas de témoignage ni de relation de première main sur son implication directe dans l'histoire du Maroc de son vivant.

À l'instar de nombre de ses pairs de l'époque, il garde intacte son aura, même lorsque l'opposition postcoloniale, selon ses écrits, a fait fi de sa longue lutte pour l'Indépendance du Maroc.

Nationalisme: Les écoles de la méritocratie

Les premiers bacheliers marocains partis poursuivre leurs études en France sont, bien entendu, d'anciens élèves des écoles nationalistes. Le Général Lyautey lui-même leur accordait son intérêt, car il souhaitait en faire "une élite capable de nous rejoindre et de former la substance vivante du personnel du protectorat", comme le mentionne sans broncher son neveu Pierre Lyautey, dans son ouvrage Lyautey l'Africain. Mais comme la présence française ne pouvait guère tirer parti de la double culture de ces Marocains, elle a aussitôt pris soin de leur coller les étiquettes de «fils de notables », d' « élite » et de « serviteurs de l'appareil d'État marocain ».

Les élèves les plus brillants et non les « mieux nés » sont envoyés dès 1914 au collège Moulay Idriss de Fès et au collège Moulay Youssef de Rabat, où un enseignement de double culture est prodigué. Ces deux établissements accueillent la plupart des premiers élèves arrivés en métropole. Curieusement, « c’est celui qui dit qui est » ! Créées par Lyautey pour offrir un enseignement exclusif aux enfants des familles bourgeoises, ces établissements ne préparent cependant pas au baccalauréat et n'offrent donc pas de perspectives professionnelles. Ce qui ne fut pas le cas des lycées français, qui devinrent au contraire le centre de toutes les attentions.

La conséquence de cette machination du Protectorat, c’est que des années durant, la frilosité des Marocains à l'égard de l'enseignement français s'estompe peu à peu, surtout dans les grandes villes. C'est ainsi que les jeunes élèves commencent à affluer vers les écoles, collèges et lycées français pour la simple raison qu'ils les préparent au baccalauréat et leur ouvrent les portes des universités et des grandes écoles de l’Hexagone. Toutefois ces établissements ne résonnaient pas assez en termes de méritocratie et n'accueillaient pas tous les Marocains, contrairement aux écoles nationalistes.








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