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Actu Maroc

Rétro-Verso : 16 mai 2003 ou l’histoire d’un trauma collectif devenu tournant politique décisif


Rédigé par Houda BELABD Mercredi 22 Mai 2024

Il y a 21 ans, précisément dans la soirée du 16 mai, à Casablanca, des kamikazes se sont fait exploser dans des points névralgiques de la ville qui les a vus naître ou qui les a vus grandir. Un événement sanglant qui a fait autant de mal que de peur et qui restera gravé dans la mémoire collective.



Dans la soirée de l’inoubliable 16 mai 2003, il n’y a pas eu un attentat suicidaire ou deux, mais cinq actes terroristes successifs qui ont été perpétrés par 14 kamikazes originaires du bidonville Sidi Moumen, membres de Assalafia Al Jihadia. Parmi les 14 terroristes qui avaient ciblé plusieurs sites de la Cité blanche, deux n’ont pas réussi à se faire exploser. Ces néophytes du terrorisme, embrigadés par des gourous de l’extrémisme, avaient visé un hôtel et un restaurant à la clientèle supposément occidentale, une pizzeria tenue par un marocain de confession juive, le bâtiment social de l'Alliance israélite, le cimetière juif de Casablanca, ainsi que le consulat de Belgique.  
 
Naguère inconnu au bataillon puis devenu super-célèbre sous le nom d'Abou Obeida, A. C., ancien commerçant originaire de Casablanca, a été identifié comme l’un des théoriciens de l'islamisme radical ayant dispensé des cours à de nombreux jeunes dans des maisons situées dans les quartiers les plus précaires de Casablanca, tels que Douar Skouila, Carrières Thomas, Sidi Moumen et Derb El Miter. De ces quartiers proviennent les « têtes d’affiche » d’« Assirat Al Moustakim » et d’« Assalafia Al Jihadia ».
 
 
Durant plusieurs mois, les appellations « Assirat Al Moustakim » et « Assalafia Al Jihadia » revenaient comme une ritournelle mélancolique dans les médias nationaux, audiovisuels comme écrits. Seulement voilà, le rôle du désigné A. C. dans le procès dit du 16 mai a été décisif pour le Maroc. En effet, quelques mois plus tard, A. C. déclarait devant la justice : "Le groupe Assirat al Moustakim existe et Z. M. en est l'émir". Ce fut le début de la fin pour la nébuleuse terroriste. Un carcan radical était délié, laissant la place à une nouvelle conception de la sécurité, saine et salutaire pour le Royaume du Maroc et ses frontières.
Bien qu'ils aient été dénommés en référence à des noms et des appellations inspirés de l'islam sunnite et coranique, les groupes Assirat al Moustakim et Salafiya Jihadiya sont des khawarij qui s'écartent de l'islam véritable, ont convenu tous les prédicateurs malékites qui ont suivi de très près ce sombre épisode.
 
Une lutte à manches retroussées
 
Afin que la démarche anti-terroriste, étayée par un travail de déconstruction de l'idéologie radicale, porte très vite ses fruits, il a fallu tenir compte des dimensions sociales, religieuses et économiques, et donner la priorité à l'anticipation plutôt qu'à l'action. Le Royaume est aujourd'hui un modèle en matière de lutte anti-terroriste et reconnu comme tel à l'échelle mondiale et continentale.

Suite aux actes terroristes de Casablanca du 16 mai 2003, le pays s'est engagé dans une réelle stratégie de lutte contre le terrorisme et l'extrémisme radical.

De fait, aujourd’hui les compétences marocaines sont très convoitées dans le cadre des opérations conjointes menées par le Maroc avec ses partenaires européens, et plus largement à l'échelle mondiale.
 
Depuis cette date fatidique, pas moins de 210 cellules terroristes ont été mises hors d'état de nuire par le Maroc. En 2015, la constitution du Bureau Central d'Investigations Judiciaires (BCIJ) a enrichi la riposte marocaine. L'expertise et le renseignement de la DGST (Direction générale de la surveillance du territoire) associés à la veille et à l'intervention du BCIJ permettent de garantir la sécurité et la stabilité globales du pays. La surveillance qu'ils exercent ne faiblit pas. Ils savent en effet que le Maroc n'est pas à l'abri du risque terroriste, du fait de sa position géopolitique unique sur la scène internationale, et en tant que porte d'entrée de l'Afrique.
 
Le tourisme, ce centre de gravité…
 
 
Au Maroc, depuis 2003, trois attaques terroristes de grande ampleur ont toutes visé le tourisme, l'un des principaux vecteurs de l'économie nationale.
 
Destination touristique de premier plan aux portes de l'Europe, le Maroc a vu affluer plus de 11 millions de touristes en 2017, ce qui a rapporté plus de 45 milliards de dirhams de recettes en devises.
 
À Casablanca, le 12 mars 2007, un attentat contre un cybercafé a fait un mort et quatre blessés. Une trentaine de personnes ont été interpellées et traduites devant les tribunaux de diverses villes marocaines.
 
La même année, le 14 avril, deux frères kamikazes ont fait détoner leurs ceintures d'explosifs devant un centre culturel américain au centre-ville de Casablanca.

Le 28 avril 2011, à Marrakech, un acte dénommé "attentat du café Argana" a causé la mort de 17 personnes et en a blessé 20 autres de diverses nationalités. A. A., de Safi, est à l'origine de l'attentat qui a eu lieu à Jamaâ El Fna, pôle touristique de la ville ocre, et est membre du mouvement salafiste marocain. Il a été condamné à la peine capitale.
 

Sécurité : Aux grands maux, les grands dispositifs

Au lendemain du 16 mai, une prise de conscience s'est opérée et une nouvelle approche de la sécurité a émergé, en dépit de toutes les embûches. Initialement axée sur l'impératif et la priorité de prévenir tout nouvel attentat, balayant sans nuance tous les dangers potentiels, cette démarche s'est peu à peu affinée pour donner naissance à une approche volontariste englobant tous les aspects du problème, sécuritaire bien sûr, mais aussi didactique, conceptuel et doctrinal entraînant une refonte des sphères religieuses et socio-économiques.
 
Au niveau politique, le courant des "éradicateurs" réclame l'éradication de toute expression de politique confessionnelle sur le territoire marocain. Une attitude que le gouvernement s'est bien gardé de suivre, lui préférant l'approche qui lui est caractéristique et qui fait de l'approche marocaine de la sécurité un modèle et une école à l'échelle internationale. 
 
Au terme des attentats, près de 1000 salafistes ont été sanctionnés par la justice, dont 17 à la peine de mort, une sentence qui n'a pas été exécutée depuis 1993.
 
Par la suite, le Maroc a accru ses dispositifs de sécurité et durci sa législation antiterroriste.
Cependant, l'infaillibilité et la perfectibilité des systèmes de sécurité sont des mythes coriaces, le pays a de nouveau été frappé par un odieux attentat à la bombe le 28 avril 2011 à Marrakech, haut lieu du tourisme, qui a fait 17 morts, dont des touristes venus des quatre coins du globe. Toutefois, l'affinement des techniques de sécurité a épargné au Maroc les violences liées aux groupes djihadistes, les services de sécurité maintenant une vigilance de chaque instant, menant régulièrement des raids anti-djihadistes et faisant capoter bien des projets d'attentat.
 
Le Bureau central d'investigations judiciaires (BCIJ), missionné pour lutter contre l'extrémisme islamiste, a démantelé "90 cellules terroristes" depuis sa création en 2015.
 
Ces interventions ont abouti à l'arrestation de plus de 1500 personnes, dont 35 mineurs et 14 femmes, selon le BCIJ.

 

Tragédie : Les oublier, c'est servir le terrorisme

Le Maroc a commémoré, il y a quelques jours, le 21ème anniversaire des attentats du 16 mai 2003, soit l’attentat le plus meurtrier de son Histoire. Ce jour-là, quatorze kamikazes marocains ont ciblé un restaurant appartenant à la mission espagnole, le bâtiment de l'alliance israélienne, le cimetière juif, le consulat de Belgique et un grand hôtel de la place casablancaise. Le triste bilan en a été des centaines de morts et de blessés. Aujourd'hui, un nombre non négligeable de victimes se retrouvent avec des handicaps visibles et permanents. Cet attentat aux relents d'apocalypse a été attribué à al-Qaïda.

Cette année encore, près d'une centaine de personnes, issues pour la plupart des familles de victimes se sont rassemblées devant la stèle commémorative de la place Mohammed V à Casablanca. Parmi ces personnes qui n'arrivent toujours pas à tourner cette page entachée de sang, il y a F., une victime qui a perdu un œil, l'odorat et la performance de l'un de ses deux tympans.

Souad Elkhammal, quant à elle, a perdu sa chair et son sang: son fils, mais aussi son compagnon de vie: son mari. Quelques mois après l'attentat, elle a décidé de prendre son mal en patience et de faire entendre sa voix pour sensibiliser les jeunes quant aux dégâts du fanatisme et de l'extrémisme. D'ailleurs, son association créée ad hoc n'a pas tardé à sortir des limbes. Connue sous l'appellation de l'Association marocaine des victimes du terrorisme, ses membres portent à bout de bras leur cause: celle de ne jamais cesser de rappeler les conséquences du terrorisme dans le monde en général et au Maroc, ce 16 mai-là, en particulier. Chaque année, la présidente rappelle à qui veut l'entendre qu'oublier la cause des victimes de cette nuit-là, serait une nouvelle victoire pour le terrorisme.
 
La vie de cette ancienne professeure d'histoire-géographie, mère de deux enfants, a été bouleversée dans la nuit du vendredi 16 mai 2003. Ce soir-là, son époux, un avocat de 49 ans, et son fils, un jeune adolescent de 17 ans, dînaient au restaurant La Casa España, dans le centre de Casablanca. Aux alentours de 22 heures, deux jeunes kamikazes ont investi cet établissement très animé et ont actionné leurs engins explosifs. Un bilan effroyable a été dressé : 22 morts et des dizaines de blessés. Le mari et le fils de Souad font partie des victimes.
 
 

Rétrospective : Ce 16 mai-là…

Le 16 mai 2003, des jeunes ayant subi le plus grand lavage de cerveau de l'Histoire du Royaume ont perpétré une série d'actes terroristes tous plus abjects et méprisables les uns que les autres : 14 kamikazes se sont fait exploser en cinq endroits différents de Casablanca. Au total, deux attentats ont fait près de 250 morts et 1500 blessés. Les deux catastrophes pourraient bien avoir un point commun : un réseau marocain lié à Al-Qaïda, mais surtout une jeunesse désespérée qui fait office de bras armé pour les terroristes. Une jeunesse déboussolée prête à basculer dans la violence pour tenter de faire entendre son lugubre message.

Là où le bât blesse c'est que ces 14 kamikazes ont un piètre point en commun et non des moindres: « Nous avons affaire à des jeunes de 19 à 26 ans, tous sont soit illettrés soit complètement analphabètes. Ce sont des individus qui vivent dans la pauvreté extrême et surtout dans la misère intellectuelle absolue », soutenait l'avocat El Mahfouz Billah qui a décidé de défendre le terroriste Mohammed El Omari qui n'est pas allé jusqu'au bout de cette expérience apocalyptique.

Sur les 14 kamikazes de l’inoubliable "16 mai", deux ne sont pas passés à l'acte. Ils ont, dans un premier temps, été détenus par la police marocaine avant d’être jugés et condamnés à mort.

La pauvreté dans tous les sens du terme. Voici ce qui a contribué à mener une jeunesse à la fleur de l'âme de se convertir en démons, en bombes humaines et en un souvenir atroce que d'aucuns n'arrivent toujours pas à s’en départir.
 

Film-documentaire : Les cavaliers de Satan

Le réalisateur Nabil Ayouch a signé, il y a belle lurette, un film choc sur l'enrôlement de jeunes marocains par des radicaux.
 
Rétrospective. Nous sommes en Juillet 1994, dans un bidonville de la Cité blanche du Royaume, des bambins sont en train de jouer au football. Ils courent après le ballon avec toute la fougue de la jeunesse. Avec toute l'innocence qui puisse exister, aussi. Sur la pelouse, une bagarre surgit. La tension entre les deux équipes explose comme une bombe que l'on allume. Un grand frère se mêle de la partie, fait tourner sa chaîne, menace et vocifère. Les gamins de l'autre côté sont perplexes. La violence brute les fait hésiter un tantinet. Un instant suffisant pour qu'ils battent en retraite. Quant à Yassine et Hamid, ils s'enfuient dare-dare au troisième galop. En riant, ils retournent à leur triste masure. Yassine et Hamid cherchent à survivre au jour le jour dans cet entourage minable avec leur famille en perdition. Le temps file. Hamid, l'aîné, sombre dans la petite délinquance et se retrouve en prison. Yassine, quant à lui, bidouille des motocyclettes dans un garage. A sa sortie de prison, Hamid revient au quartier. Il est devenu complètement méconnaissable. Son petit frère n'en croit pas ses yeux tant Hamid semble serein à l'intérieur. La réalité est tout autre. La haine du jeune homme a été édictée par les salafistes. Endoctriné par les radicaux, le jeune homme est mandaté pour recruter de jeunes kamikazes. Il a commencé par rallier son jeune frère à sa cause. Tous deux sont aspirés dans la vague abyssale du terrorisme.
 
Tout au long des « Chevaux de Dieu », la caméra volante, subtile et quasi documentaire de Nabil Ayouch remonte aux origines de l'enrôlement de ces jeunes.
A coups de messages subliminaux, le réalisateur saisit ce lent et irrémédiable glissement vers le fanatisme religieux et l'attentat-suicide du 16 mai 2003.








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