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Quand la Coopération se Fait Géopolitique : ce Que Signifie L’intérêt Français Pour Les Provinces du Sud


Rédigé par Saïd Tamsamani, analyste politique le Samedi 27 Septembre 2025


La visite protocolaire peut sembler, à première vue, n’être qu’un échange courtois entre administrations : Nizar Baraka reçoit Catherine Bonnaud, récemment nommée directrice de l’Agence française de développement (AFD) au Maroc, accompagnée de l’ambassadeur Christophe Lecourtier. Mais derrière ces salutations se dessinent des enjeux bien plus lourds — économiques, environnementaux et stratégiques — dont la portée dépasse largement les murs du ministère de l’Équipement et de l’Eau.



Nizar Baraka recevant Catherine Bonnaud
Nizar Baraka recevant Catherine Bonnaud
Que nous apprend cette rencontre ? D’abord une chose simple et importante : la France « s’intéresse » aux projets en cours dans les provinces du Sud, en particulier dans l’eau et les infrastructures. Ce n’est pas anodin. Dans un contexte régional remodelé par la compétition diplomatique, les crises migratoires, la course aux ressources naturelles et le défi climatique, l’attention d’un partenaire européen majeur pour des projets locaux devient un marqueur de reconnaissance et d’influence. Mais l’intérêt ne vaut que s’il se transforme en actions structurantes, inclusives et durables.
 
Sur le plan du développement, l’enjeu central est celui de l’eau et des infrastructures — deux vecteurs interdépendants. Les régions du Sud font face à des contraintes hydriques grandissantes et à des besoins d’équipements — routes, ports, réseaux énergétiques et logistiques — capables d’intégrer ces territoires à des chaînes de valeur nationales et transsahariennes. L’AFD, par son rôle de bailleur et d’expert technique, peut accélérer des projets qui répondent à la fois à la résilience climatique (gestion intégrée des ressources en eau, dessalement, réutilisation des eaux usées) et à l’attractivité économique (infrastructures portuaires, plateformes logistiques, services publics multisectoriels).
 
Le projet évoqué durant l’entretien — la création d’une Société régionale multiservices à Dakhla (SRM) — mérite une attention particulière. S’il est conduit avec rigueur, ce type d’instrument peut devenir un levier d’efficacité : regrouper des compétences, coordonner les investissements, professionnaliser la gestion des services publics et offrir un interlocuteur unique aux investisseurs. Mais il comporte aussi des risques : centralisation excessive, opacité de gouvernance, ou insuffisante intégration des acteurs locaux. La réussite de la SRM dépendra donc de sa conception institutionnelle : transparence, responsabilité, participation locale et mécanismes clairs d’évaluation des impacts sociaux et environnementaux.
 
Sur le plan diplomatique et stratégique, la présence active d’un acteur français traduit une double logique. Pour Paris, il s’agit d’affirmer une présence constructive et d’accompagner des processus de développement favorables à la stabilité régionale — stabilité qui a des retombées directes sur la sécurité, les migrations et les routes commerciales. Pour Rabat, c’est une opportunité de diversification des partenariats financiers et techniques, mais aussi une mise en visibilité internationale d’un programme lancé en 2015 sous le haut patronage royal, dont les résultats doivent désormais être démontrés sur le terrain.
 
Pour que cet intérêt se convertisse en progrès tangible, quelques priorités s’imposent : d’abord, piloter les projets selon des critères de durabilité environnementale et d’optimisation de l’usage de l’eau ; ensuite, privilégier les investissements créateurs d’emplois locaux et de montée en compétences — transfert technologique et formation professionnelle doivent accompagner l’entrée des capitaux ; enfin, instaurer des mécanismes de gouvernance qui associent clairement les collectivités locales, la société civile et les opérateurs économiques. Sans cela, les infrastructures resteront des symboles, et non des vecteurs de développement durable et partagé.
 
En définitive, la rencontre entre Baraka et la nouvelle directrice de l’AFD n’est pas seulement un signe de bonnes manières diplomatiques : c’est une fenêtre d’opportunité qui exige vision et prudence. La coopération internationale qui réussit n’est pas celle qui impose des modèles, mais celle qui renforce des capacités locales, protège les ressources et construit des ponts économiques durables. Si la France veut réellement jouer un rôle utile dans les provinces du Sud, elle doit lier son aide à des objectifs clairs de durabilité, de gouvernance et d’inclusion — et le Maroc, de son côté, doit transformer le capital diplomatique en projets qui profitent d’abord aux habitants de ces régions. Voilà l’enjeu majeur : que la diplomatie se traduise en bénéfices concrets, visibles et pérennes.
 



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