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Pourquoi les criquets pourraient nourrir l’Afrique.


Rédigé par Ahmed Hamdaoui le Vendredi 30 Avril 2021



Ahmed Hamdaoui Biologiste, expert en élevage des criquets
Ahmed Hamdaoui Biologiste, expert en élevage des criquets
Les insectes comestibles attirent de plus en plus l’attention des chercheurs et des organismes de nutrition humaine dans le Monde.

En effet, beaucoup d’insectes élevés dans un milieu sain peuvent être des aliments nutritifs complets pour les humains.

Dans la nature et particulièrement dans les régions chaudes et humides, les insectes sont connus pour servir d’aliments à beaucoup d’animaux terrestres ou marins.
L’Organisation des Nations Unis (FAO) a lancé un appel pour encourager la recherche sur l’utilisation des insectes dans l’alimentation humaine.

Alors que l’Asie est déjà bien avancée dans ce domaine, on assiste en Europe ces dernières années à la création de plusieurs entreprises et startups spécialisées dans l’élevage des insectes pour la production d’aliments riches en protéines.

En Belgique, en France et dans d’autres pays européens des nouvelles lois sont adoptées en rapport avec la sécurité alimentaire autorisant l’utilisation des insectes dans l’alimentation humaine.

L’apport nutritif de certains insectes comestibles peut parfois dépasser celui des viandes.

L’élevage de masse des insectes est beaucoup moins polluant pour les nappes et cause beaucoup moins d’effets de serre que les élevages des bovins et des ovins.
La consommation d’eau est aussi très faible dans les élevages des insectes.

L’utilisation des élevages traditionnels de bovins et des volailles cause beaucoup de problèmes sanitaires et ne pourra plus garantir la sécurité alimentaire sur terre dans les 40 ou 50 années à venir. Des solutions alternatives doivent être recherchées.

L’utilisation des insectes comestibles en élevage est une bonne solution, cependant, beaucoup de problèmes existent afin de rendre ces élevages suffisants pour nourrir tous les humains.

Parmi les insectes qu’on cherche à utiliser figurent les criquets. Deux espèces sont utilisées, le criquet pèlerin (schistocerca gregaria) et le criquet migrateur (locusta migratoria). Ces deux espèces sont plus connues comme étant des ravageurs redoutables pour l’agriculture humaine. En effet quand ils sont dans des conditions favorables, ces criquets deviennent grégaires, se multiplient beaucoup et forment des essaims formés de milliers d’insectes qui peuvent migrer loin à la recherche de nourriture. 

Les femelles adultes déposent leurs œufs dans un sol sableux et humide dans une chaleur de 30 °C à 40 °C. Une femelle dépose ses œufs dans un sac qui peut contenir 50 à 80 œufs.  

Dans sa vie (3 à 6 mois) une femelle peut pondre jusqu’à 3 fois selon les conditions climatiques. A 30 °C dans un sol humide les œufs peuvent éclore en 15 jours après la ponte. 
En un mois les larves peuvent passer de 2 ou 3 millimètres à 3 centimètres de long. Un insecte adulte pèse environ 2g et peut manger par jour plus que l’équivalent de son poids en végétaux. Certains pensent à tort, que ces insectes sont dangereux pour les humains et doivent être exterminés …

Par l’usage excessif de pesticides et par les changements climatiques, ces espèces de criquets qui vivent surtout dans le sahel africain sont menacées d’extinction. 

Avant de parler des possibles utilisations de ces criquets dans l’alimentation, je vais faire l’avocat de ces insectes malmenés et mal compris par les humains. En effet, ces criquets étaient présents sur terre certainement avant les humains. Ils sont même cités dans des livres saints. Ce qui est arrivé à ces criquets on peut le comparer à ce qui est arrivé aux indigènes qui vivaient en Amérique avant l’arrivée des actuels locataires de ces terres. 

Les criquets vivaient dans leurs biotopes naturels en harmonie avec la nature. En effet, ils permettent le renouvellement des feuillages des arbres et de beaucoup de végétaux. Ils servent d’aliment de choix pour beaucoup d’animaux rampants, volants ou marins. Quand ils meurent en masses, leur corps en dégradation se transforme en composte et fertilisant du sol. La carapace de ces insectes est riche en chitine qui en se dégradant libère des dérivés connus pour être des stimulants pour la défense et la croissance des végétaux.
En conclusion, ce n’est pas de la faute de ces insectes, si les humains sont venus planter des champs agricoles sur leurs biotopes ou sur leur passage.

Avant l’usage massif des pesticides, pendant les périodes d’invasions, les marocains les collectaient, les faisaient bouillir et les séchaient au soleil pour les stocker dans des sacs en toile pour les grignoter avec un peu de sel et de cumin. Excellente source de protéines et d’énergie pour ceux qui partaient travailler dans les champs.

Certaines populations africaines et dans le Golfe Arabique mangent parfois ces criquets crus et pensent qu’ils sont dotés de certaines vertus thérapeutiques.

Revenons maintenant aux recherches sur l’élevage de ces criquets pour l’alimentation.


Les insectes collectés dans la nature présentent des risques et même beaucoup de risques pour la santé. Par contre en élevage, on sait ce que ces insectes mangent et on les élève dans un environnement et des conditions propres, les insectes adultes utilisés pour la production d’aliments seront donc démunis de tout intron chimique ou produit toxique ou germe pathogène. 

Une expérience fructueuse de plus de 20 années dans l’élevage du criquet pèlerin à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech nous a permis de connaitre les avantages et les difficultés de l’élevage des criquets.

En Europe pour ceux qui font cet élevage, l’alimentation fournie aux criquets pose beaucoup de problèmes car ça leur coute très cher. Généralement sont utilisées des feuilles de choux ou de salade ou de blé ou d’orge après germination des graines. De plus pour les aliments achetés il est difficile de contrôler leur qualité.

Dans notre longue expérience d’élevage des criquets à Marrakech, nous avons opté pour l’utilisation de la luzerne pour nourrir nos insectes. Le climat de Marrakech s’y prête parfaitement bien, nous l’avions plantée sur un champ à proximité du laboratoire à la Faculté des Sciences Semlalia de Marrakech. 

Nos premiers travaux nous ont permis d’avoir des résultats publiés dans des journaux de Biochimie de haut niveau (travaux réalisés en étroite collaboration avec le laboratoire du Pr Arnold De Loof à l’Institut de Zoologie de l’Université catholique de Louvain de Flandre en Belgique). 

Forts de l’expertise acquise dans l’élevage du criquet pèlerin, nous avons ensuite lancé un projet d’élevage de masse pour production de farines alimentaires.
Avec l’aide des experts de l’OMPIC à Casablanca on a pu avoir un brevet national et un brevet international de notre système d’élevage pour production de farines alimentaires.
Pour le lancement du travail, les insectes nous ont été généreusement fournis par le Centre de Lutte Antiacridienne d’Ait Melloul à Agadir.

Nous avons réussi à garantir la pérennité d’un élevage de criquet pèlerin de haute qualité et peu couteux. Cependant, nous avons été confrontés à deux problèmes majeurs, le premier c’est la lourdeur du travail quasi quotidien avec un manque de personnel technique et le deuxième problème est le faible rendement quantitatif de production de farines.
Les moyens de laboratoire ne permettent pas de suivre l’extraordinaire potentiel de reproduction de l’insecte. 

Pour pouvoir utiliser les criquets dans l’alimentation humaine il faut beaucoup amplifier les volumes et les espaces de l’élevage dans des systèmes de doubles serres sécurisées sous éclairage solaire.

Malgré la chaleur dans les salles d’élevage, j’ai passé beaucoup de temps à observer avec admiration ces insectes. Ils vivent d’amour et de plantes fraiches. Ils créent la vie avec peu de choses. Ce sont de véritables machines de reproduction et des usines de fabrication des protéines qui ne coutent pas cher. Pour les criquets pèlerins en phase de maturité sexuelle les femelles sont verdâtres et plus grandes que les males qui deviennent jaunâtres. Vous ne trouverez pas un male seul ou une femelle seule s’ennuyant dans les cages et même dans la nature. Ils sont tous accouplés les males sont accrochés au-dessus des femelles avec les pattes arrière qui tremblent. Un spectacle de vie très beau à voir. 

Kenya, photo FAO
Kenya, photo FAO
Pour finir, je vous demande de me suivre dans un petit calcul, une fiction réalisable.

Supposons que nous n’avons que 100 femelles adultes de criquets pèlerins dans un système d’élevage et dans des conditions optimales de développement de l’insecte.

Si chaque femelle ne pond que 50 œufs par sac de ponte et ne pond que 2 fois. Au bout de 75 jours (2 mois et demi) de développement depuis leur naissance, elles vont donner naissance à 50 x 2 x 100 soit 10000 insectes. 

Si dans ces 10000 nouveaux nés il n’y a que 50% de femelles, on va donc avoir 5000 femelles.

Au bout de 75 jours de développement, ces 5000 femelles vont à leur tour donner 50 x 2 x 5000 soit 500000 insectes dont 250000 femelles. Ces 250000 femelles vont encore donner 25 Millions d’insectes au bout de 75 jours de développement.
Donc, partant de 100 femelles adultes, on obtient au bout de 225 jours soit 7 mois et demi, 25 Millions d’insectes ! … Au bout d’une année de développement 100 femelles de criquets pourraient donner naissance à l’équivalent de la population du Maroc ! …
Je sais que vous êtes effrayés par ces chiffres, mais soyons moins catastrophistes et voyons les choses autrement. Ces 25 Millions de criquets quand ils vont devenir adultes pèseront environ 2 grammes chacun, ce qui nous donne au total 50 Tonnes de matière comestible riche en protéines ! … 
Dans ce calcul nous ne sommes partis que de 100 femelles, en réalité dans un élevage moyen vous pouvez avoir plus de 1000 femelles, je vous laisse faire le calcul mais attention, ça donne le vertige.

Est-il possible de réaliser une telle production en élevage ?

C’est possible mais moyennant beaucoup de génie, beaucoup de travail et de sacrifices. Comme me l’a dit mon collègue le Professeur Arnold De Loof, l’élevage des criquets est un vrai travail de fermiers. Des fermes à criquets commencent à apparaitre, mais en Europe alors que les criquets sont africains … Est-ce normal ?

En Europe ça coute cher en alimentation et en énergie (chauffage et éclairage). En Afrique cet exploit peut être réalisé avec un cout plus faible et une grosse économie d’énergie grâce au soleil et à la chaleur africaine.

A travers ce papier j’adresse en réalité un business plan à tous les décideurs politiques et économiques africains. OUI, je suis convaincu que les criquets pourraient contribuer à la sécurité alimentaire du continent, il faut juste beaucoup de courage et d’audace. 

Les risques de fuites existeront toujours comme ils existent pour les centrales nucléaires.

A bon entendeur.



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