À l’horizon 2050, le Maroc devra mobiliser quelque 78 milliards de dollars d’investissements pour faire face aux défis posés par le changement climatique. Cette enveloppe colossale, qui représente près de 60% du PIB national, constitue le prix à payer pour engager une transition verte à la hauteur des enjeux environnementaux, économiques et sociaux. Dans cette perspective, Bank Al-Maghrib s’attelle à jeter les bases d’une stratégie nationale de financement climatique, comme l’a rappelé à plusieurs reprises son gouverneur. Cette stratégie s’articulera notamment autour d’une taxonomie verte nationale, un outil que Abdellatif Jouahri juge indispensable pour «orienter les flux financiers vers des projets réellement durables et prévenir les risques de « green washing». Autrement dit, le Maroc ne se contente plus de promouvoir les investissements verts, mais amorce un véritable verdissement de sa politique monétaire. Une évolution que salue Abdelghani Youmni, économiste et expert en politiques publiques, pour qui cette orientation «donnera un signal fort de soutien à la finance verte pour accompagner la transition énergétique, l’attractivité des chaînes de valeur mondiales décarbonées».
La modération s’impose !
Dans son Policy Paper publié par le Policy Center for the New South, l’économiste Christian de Boissieu précise que les banques centrales peuvent soutenir la TEE, mais dans le strict respect de leur mandat premier, à savoir «la stabilité monétaire et financière». Le risque, selon lui, serait de dévoyer l’action monétaire si celle-ci devenait un outil direct de financement climatique, au détriment de la maîtrise de l’inflation et de l’équilibre financier.
BAM, par exemple, est en mesure de contribuer à la TEE via des instruments de marché, tels que les achats d’obligations vertes, les taux de refinancement préférentiels pour les crédits durables, la sélectivité des collatéraux en faveur d’actifs respectueux de l’environnement. Toutefois, une sélectivité excessive risquerait de fragmenter la politique monétaire et d’en altérer l’efficacité. Elle doit donc rester mesurée, notamment parce qu’en période de politique monétaire restrictive, «la marge de manœuvre est plus étroite pour favoriser les titres verts», apprend-on du rapport. Ce dernier rappelle l’expérience récente du quantitative easing qui montre que les phases expansives sont plus propices à ce type d’ajustement. En revanche, lorsque la banque centrale cherche à resserrer la liquidité, il devient plus difficile de recomposer un portefeuille favorable à la TEE sans compromettre la fluidité du marché.
Taxonomies hétérogènes
Un autre frein majeur réside dans l’absence d’un cadre homogène et stabilisé pour distinguer les activités vertes. Les taxonomies, ces systèmes de classification des investissements durables, restent hétérogènes, explique Christian de Boissieu. La régulation prudentielle est également à la traîne. Les risques climatiques, qu’ils soient physiques ou liés à la transition, «ne sont pas encore intégrés dans le calcul des ratios de solvabilité au sein du pilier I de Bâle III», note le policy paper. Pour l’heure, seules des obligations de transparence s’imposent via le pilier III, souvent qualifié de «droit mou». En Europe, ces exigences ont été transposées en droit dur, mais dans d’autres juridictions, l’application reste lacunaire. Une enquête citée dans le rapport montre que 63% des banques européennes respectent les obligations de reporting climatique du Comité de Bâle, contre seulement 25% des banques asiatiques, ce qui illustre le déséquilibre réglementaire entre régions.
Cette asymétrie se traduit également dans la gouvernance. Alors que de nombreux pays affirment leur volonté d’aligner les politiques monétaires avec les objectifs climatiques, les limites statutaires et politiques demeurent. Aux États-Unis, la FED a récemment quitté le réseau des banques centrales engagées dans le verdissement des systèmes financiers (NGFS), un geste lourd de conséquences qui interroge sur son indépendance réelle vis-à-vis du pouvoir exécutif. À l’inverse, l’Union Européenne, ou encore le Maroc, malgré leurs défis, avancent vers une intégration des critères climatiques dans la conduite monétaire. Les canaux d’action existent, mais doivent s’adapter à la conjoncture, recommande l’auteur.
Benchmark international : ça marche, mais pas toujours…
Le refinancement vert, pratiqué par des banques centrales comme celles de Hongrie, du Japon ou de Chine, repose sur l’octroi de crédits à taux zéro ou préférentiels pour les projets à faible empreinte carbone. L’achat d’obligations vertes, que certains appellent «QE vert», permet aussi de faire pression sur les marchés en abaissant le coût du capital pour les entreprises engagées dans la transition. Le verdissement des collatéraux, enfin, consiste à conditionner les garanties acceptées par les banques centrales selon leur niveau de durabilité, ce qui encourage les émetteurs à améliorer leur transparence et leur performance ESG.
Mais tous ces instruments ne peuvent fonctionner pleinement que si les repères (taxonomies, données climatiques, notations extra-financières) sont robustes. Or, ces outils restent, selon le policy paper, en développement, parfois contestés, et doivent encore faire leurs preuves. Dans ce contexte, De Boissieu insiste sur la nécessité d’une coopération internationale renforcée, notamment à travers le réseau NGFS, malgré le retrait américain. Ce cadre multilatéral est indispensable pour partager les bonnes pratiques, harmoniser les approches et éviter une fragmentation des politiques climatiques au niveau financier.
Souhail AMRABI
3 questions à Abdelghani Youmni, économiste et expert en politiques publiques : « BAM pourrait contribuer à la création de portefeuilles verts d’actifs ou de réserves en obligations vertes souveraines »
- Comment Bank Al-Maghrib peut-elle intégrer activement les obligations vertes dans ses opérations monétaires?
Les obligations vertes financent les projets ayant un impact environnemental positif, leur volume est passé de 1.22 en 2011 à plus de 780 milliards de dollars en 2023. Le Maroc dispose du premier Fonds Capital Carbone Maroc (FCCM) en Afrique francophone avec un volume de plus de 300 millions de dirhams. Bank Al-Maghrib est suffisamment outillée en arsenaux juridiques et réglementaires pour jouer un rôle catalyseur dans le marché des obligations vertes en les intégrant dans les instruments de la politique monétaire. Le but étant de renforcer l’éligibilité au refinancement et jouer le rôle de collatéral pour des obligations vertes émises par des institutions bancaires ou des établissements ou entreprises publics marocains. BAM pourrait également contribuer à la création de portefeuilles verts d’actifs ou de réserves en obligations vertes souveraines. Cela donnera un signal fort de soutien à la finance verte pour accompagner la transition énergétique, l’attractivité des chaînes de valeurs mondiales décarbonées. Puis comme au sein de l’Union Européenne, verdir le bilan des banques de second rang et celui des entreprises pour faciliter leur convergence avec les critères de ECG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance).
- Quels outils de politique monétaire BAM peut-elle mobiliser pour soutenir la transition bas-carbone au Maroc?
Les outils de politique monétaire de BAM sont le taux directeur et la réserve obligatoire fortement corrélées au taux d’épargne et aux réserves de change. La prérogative principale de la banque centrale est la stabilité des prix. Cependant, elle reste un acteur majeur du développement économique et de la création de la croissance économique et de l’emploi. Dans le cas de la promotion de la finance verte, elle pourrait mettre en place un système incitatif de bonus-malus auprès des banques en récompensant celles qui investissent dans les green bonds (en leur offrant par exemple une diminution de l’exigence en fonds propres imposée par Bâle III) et en pénalisant celles qui financent les activités destructives de l’écosystème. Aussi, offrir aux banques des taux préférentiels pour les refinancements destinés à financer des projets bas carbone adossés à des obligations vertes. Et inclure des critères climatiques à l’instar de la BCE dans les stress tests et la supervision bancaire et orienter l’évaluation du risque bancaire vers une composante du risque climatique.
- Comment BAM peut-elle mieux accompagner la résilience climatique et le financement des risques liés aux catastrophes naturelles?
L’accompagnement de Bank Al-Maghrib en matière de résilience climatique et de financement des risques liés aux catastrophes naturelles peut s’articuler autour de plusieurs leviers, notamment le développement de produits assurantiels indexés sur les risques climatiques, la promotion de fonds souverains dédiés aux catastrophes, ainsi que l’élaboration d’une cartographie des vulnérabilités financières liées au climat.
Développement durable : Une batterie de mesures pour s’aligner sur les objectifs
Pour s’aligner sur les objectifs de la politique climatique du Maroc, les régulateurs et les acteurs du secteur bancaire et financier ont élaboré avec l’accompagnement de Bank Al-Maghrib, dès 2016 en marge de la COP22, une batterie de mesures pour s’aligner sur les objectifs du développement durable, nous déclare Abdelghani Youmni, économiste et expert en politiques publiques.
BAM s’est engagée à étendre la gouvernance aux facteurs des risques socio-environnementaux (ECG), développer des instruments et des produits financiers durables, promouvoir l’inclusion financière, la transparence et la discipline de marché. Alors que de par le monde, du point du vue des opérateurs du système bancaire, les gouvernements, les marchés et leurs régulateurs ne traduisent pas encore en système de contraintes ou d’incitations l’utilisation des instruments de la finance verte. «Au Maroc, ces critiques ont pour argument l’inexistence à ce jour de véritable taxe carbone, quand bien même le système fiscal marocain prévoit une taxation implicite des émissions de CO2 (la TIC sur les produits énergétiques par exemple)», note Youmni qui liste une batterie de recommandations (Voir 3 questions à…).
BAM s’est engagée à étendre la gouvernance aux facteurs des risques socio-environnementaux (ECG), développer des instruments et des produits financiers durables, promouvoir l’inclusion financière, la transparence et la discipline de marché. Alors que de par le monde, du point du vue des opérateurs du système bancaire, les gouvernements, les marchés et leurs régulateurs ne traduisent pas encore en système de contraintes ou d’incitations l’utilisation des instruments de la finance verte. «Au Maroc, ces critiques ont pour argument l’inexistence à ce jour de véritable taxe carbone, quand bien même le système fiscal marocain prévoit une taxation implicite des émissions de CO2 (la TIC sur les produits énergétiques par exemple)», note Youmni qui liste une batterie de recommandations (Voir 3 questions à…).
TEE : Quel impact sur la stabilité financière ?
Les risques climatiques nés de la TEE sont regroupés en deux catégories. Les risques physiques correspondent aux dommages causés par des événements climatiques extrêmes tels que les ouragans, les sécheresses ou les inondations. Les risques de transition, quant à eux, désignent les perturbations économiques, technologiques, politiques et comportementales générées par la transition écologique. Ils peuvent entraîner des pertes importantes pour les acteurs économiques, malgré les opportunités qu’ils peuvent aussi créer.
Les banques centrales ont été sensibilisées à ces enjeux par leur responsabilité en matière de stabilité financière, un objectif renforcé à la suite de la crise de 2007-2008. Partout dans le monde, elles ont élargi leur mandat au-delà de la stabilité monétaire pour prévenir les risques systémiques liés aux défaillances du secteur financier. Elles doivent également gérer leurs propres expositions aux risques climatiques, leur portefeuille d’actifs étant vulnérable aux effets de la transition et aux événements extrêmes. Cela suppose un haut niveau de transparence, au même titre que celui exigé des banques ou des compagnies d’assurance. Face à ces défis, les banques centrales doivent, selon le policy brief, conjuguer réglementation prudentielle, supervision étroite des établissements et capacité à intervenir en tant que prêteur de dernier ressort en cas de crise systémique.
Les banques centrales ont été sensibilisées à ces enjeux par leur responsabilité en matière de stabilité financière, un objectif renforcé à la suite de la crise de 2007-2008. Partout dans le monde, elles ont élargi leur mandat au-delà de la stabilité monétaire pour prévenir les risques systémiques liés aux défaillances du secteur financier. Elles doivent également gérer leurs propres expositions aux risques climatiques, leur portefeuille d’actifs étant vulnérable aux effets de la transition et aux événements extrêmes. Cela suppose un haut niveau de transparence, au même titre que celui exigé des banques ou des compagnies d’assurance. Face à ces défis, les banques centrales doivent, selon le policy brief, conjuguer réglementation prudentielle, supervision étroite des établissements et capacité à intervenir en tant que prêteur de dernier ressort en cas de crise systémique.