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Actu Maroc

Peines alternatives : Qui assurera la gestion des bracelets électroniques ? [INTÉGRAL]


Rédigé par Soufiane CHAHID Lundi 26 Juin 2023

La généralisation de la mise sous surveillance électronique des prévenus et condamnés sera un défi technique pour les autorités marocaines.



C’est une petite révolution dans le système judiciaire marocain. Après des années de tergiversations, le Conseil de gouvernement a enfin adopté le 8 juin dernier le projet de loi relatif aux peines alternatives. S’il arrive au bout du circuit législatif, le texte permettra à la fois de désengorger les prisons et de faciliter la réinsertion des personnes condamnées. En effet, ce projet de loi introduit des mesures punitives susceptibles de remplacer l’emprisonnement, dont la plus connue est le bracelet électronique.
 
Cette initiative gouvernementale bénéficie d’un large soutien dans le monde politique et la société civile. Si la pertinence de l’introduction des peines alternatives est indéniable, leur application risque d’être compliquée. C’est notamment le cas de la surveillance électronique, qui devrait mobiliser un large dispositif technique. GPS, géorepérage, capteurs de mouvement, cryptage et stockage des données… Tous ces éléments doivent être étudiés avant le déploiement final de cette mesure.
 
Territorialité des données
 
Les spécificités du marché de la surveillance électronique des prisonniers ne seront connues qu’après l’entrée en vigueur de la loi. Cependant, certaines entreprises du secteur ont d’ores et déjà exprimé leur intérêt pour la gestion du parc marocain des bracelets électroniques. D’après une source au sein du ministère de la Justice, le département a tenu une réunion avec cinq entreprises spécialisées afin de «cerner les différentes technologies proposées et déterminer les besoins spécifiques du Maroc». Selon la même source, «suite à cette réunion, un rapport technique et financier a été soumis aux autorités compétentes, en attendant l’adoption finale de la loi et la publication de l’appel d’offres».
 
Nous avons pu identifier trois des cinq entreprises présentes à cette réunion. Il s’agit de l’entreprise suisse Geosatis, de l’israélienne Elmo Tech et du groupe marocain Aba Technology. Joints par « L’Opinion », Geosatis et Aba Technology n’ont pas souhaité commenter cette information, tandis que Elmo Tech n’a pas donné suite à nos sollicitations.
 
D’après une source proche du dossier, le ministère de la Justice aurait établi comme préalable à toute candidature la territorialité des données. L’adjudicataire de ce marché devrait s’engager à héberger toutes les données relatives aux personnes sous surveillance électronique sur le sol marocain. Exit le Cloud, les serveurs devraient être installés au Maroc et obéir aux normes CNDP et au contrôle de la Direction Générale de la Sécurité des Systèmes d'Information (DGSSI).
 
Les prétendants
 
Aba Technology pourrait proposer une solution 100% marocaine, notamment à travers sa filiale Nextronic spécialisée dans les objets connectés. Si le groupe marocain obtient le marché, cela sera sa première expérience dans le domaine. Quant à Geosatis, elle s’est placée depuis une vingtaine d’années comme l’un des leaders du marché, grâce à ses bracelets innovants et de qualité supérieure. D’après la fiche technique, l’outil serait robuste et simple d’utilisation.
 
L’entreprise helvétique propose également un cryptage inviolable des données et un hébergement sur le sol marocain avec un degré élevé de protection. Geosatis possède d’ailleurs un bureau de représentation au Maroc. Enfin, Elmo Tech bénéficie aussi d’une solide expérience dans le domaine. L’entreprise israélienne gérait les bracelets électroniques en France jusqu’en 2009 et a été remplacée par son concurrent français Datacet.
 
Qui va payer ?
 
La question qui reste en suspens est celle du financement d’un tel système. “Dépendant de la qualité, le prix d’un bracelet électronique pourrait aller d’une vingtaine à plusieurs milliers de dollars”, nous explique une source proche du dossier. Il faut ajouter à cela le coût de la mise en place des centres de surveillance, des serveurs, le recrutement et la formation des agents. Enfin, la taille de la population à placer sous surveillance électronique est un facteur déterminant dans l’évaluation du budget.
 
Vu l’importance de la population carcérale au Maroc, le montant de la surveillance électronique pourrait dépasser les 100 millions de dirhams par an”, prédit un expert du domaine. Un coût qui reste cependant moins élevé pour le contribuable que celui de l’incarcération.
 
Selon nos informations, des prétendants au marché de la surveillance électronique au Maroc auraient proposé de faire payer au condamné ou au prévenu une partie ou la totalité du coût de la mise sous bracelet, à l’instar de ce qui se fait dans d’autres pays. “Cette question doit être tranchée lors de la discussion du texte réglementaire qui précisera les modalités de gestion de la surveillance électronique et les frais pouvant être imposés aux personnes concernées à cet égard”, nous explique le juriste Chakib El Khayari.
 
Soufiane CHAHID

3 questions à Chakib El Khayari « Je crois fermement que les peines alternatives peuvent aider à la réinsertion »

Le juriste Chakib El Khayari a répondu à nos questions concernant l’apport de la loi sur les peines alternatives ainsi que sur l’utilité et le coût de la surveillance électronique.
Le juriste Chakib El Khayari a répondu à nos questions concernant l’apport de la loi sur les peines alternatives ainsi que sur l’utilité et le coût de la surveillance électronique.
La loi sur les peines alternatives est-elle suffisante pour que notre système judiciaire soit moins punitif et plus garant des libertés ?
 
L'adoption de ce système ne signifie pas l'annulation des peines, car il s'agit également d'un système pénal. Il s'inscrit dans ce qu'on appelle la philosophie de l'humanisation de la peine, qui vise à rendre le système pénal plus respectueux de la dignité humaine et à garantir que les sanctions imposées aux accusés prennent en compte leur réinsertion sociale et leur réhabilitation, tout en évitant tout lien disproportionné entre la peine d'emprisonnement et l'acte qui a conduit à la condamnation. Cependant, si ce système exclut la privation de liberté par l'emprisonnement pour les crimes passibles d'une peine maximale de cinq ans, le projet de loi prévoit en revanche une autre mesure relativement similaire, à savoir la surveillance électronique, qui restreint partiellement la liberté de déplacement.
 
Pensez-vous que les peines alternatives pourraient faciliter la réinsertion des condamnés ?
 
Je crois fermement que les peines alternatives peuvent jouer un rôle crucial dans la réinsertion de certaines catégories de condamnés. Elles adoptent une approche axée sur la réhabilitation et la réintégration sociale, offrant ainsi aux condamnés la possibilité de purger leur peine tout en maintenant des liens avec la société. Cela leur permet de maintenir des relations familiales, de poursuivre leur éducation, d'acquérir des compétences professionnelles et de se préparer à une réintégration réussie dans la société. Les peines alternatives donnent également aux condamnés la chance de prendre une plus grande responsabilité pour leurs actes et de participer activement à leur propre réhabilitation.
 
Selon vous, le coût du bracelet électronique devrait-il être supporté par le condamné lui-même ?
 
Le problème soulevé concernant le cas du Maroc concerne la capacité financière de l'État à prendre en charge la surveillance électronique. Est-ce que cela constituera un obstacle à sa mise en œuvre ? Est-ce que les juges envisageront d'exclure cette mesure en raison de l'incapacité financière de l'État à la supporter ?  Et dans le cas où les individus seraient tenus de supporter financièrement cette mesure, comment pourrait-elle être appliquée pour ceux qui n'ont pas les moyens de le faire ? Ainsi, l'utilisation de la surveillance électronique ne serait accessible qu'aux personnes financièrement à l'aise. Ces questions doivent être discutées lors de l'examen du projet parlementaire.

Peines alternatives : Selon quelles conditions ?

Selon le projet de loi, le juge est autorisé à remplacer une peine de réclusion par une sanction alternative s’il le juge nécessaire ou s’il reçoit une demande de la part du Ministère public ou de l’avocat de la personne condamnée ou du tuteur légal en cas de mineur. Dans ce cas de figure, la demande doit être motivée, mentionner la peine originale et préciser la peine alternative requise et les engagements qui en résultent.
 
Les juges ne peuvent y avoir recours lorsqu’il s’agit d’infractions ou de crimes contre la sûreté de l’Etat, des actes terroristes, de détournement et dilapidation de fonds publics, d’abus de pouvoir et de corruption. Aussi est-il proscrit d’appliquer les peines alternatives en cas de blanchiment d’argent, trafic de drogue et de stupéfiants et d’exploitation sexuelle des mineurs et des personnes handicapées.
 
Si la personne condamnée manque à ses obligations, elle sera passible d’emprisonnement puisque, dans ce cas, la peine de réclusion est restaurée. Il est possible que le tribunal, s’il le juge nécessaire, ordonne une enquête sur la personne concernée, avant de prononcer les peines alternatives.

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Surpopulation carcérale : Des prisons au bord de l’étouffement

La surpopulation carcérale est un problème majeur du système pénitentiaire marocain. Selon le rapport d’activité de la DGAPR pour l’année 2022, le Maroc compte 97.204 prisonniers répartis dans 75 prisons. La capacité d'accueil de ces établissements ne dépassant pas les 53.956 places, le taux de surpopulation atteint les 180%. Selon la DGAPR, ce problème ne fera que s’accentuer dans les prochaines années, puisque le nombre de prisonniers devrait atteindre 104.061 à l'horizon 2026.
 
La majorité de cette population, soit 24%, est condamnée à des peines allant de 2 à 5 ans. 20% est condamnée à entre un à deux ans de prison ferme, 19% de 6 mois à une année et 10% à moins de 6 mois. Selon le projet de loi sur les peines alternatives, ces sanctions s’appliqueront aux personnes dont les peines sont inférieures à cinq ans, donc théoriquement à plus de 70% de la population carcérale marocaine.
 
Le rapport de la DGAPR note également qu’en 2022, le nombre total des détenus en préventive, c'est-à-dire des accusés attendant la fin de leur procès, se chiffre à 39.708 individus, soit 40,85% de la population carcérale. Cette mesure privative de liberté, censée être exceptionnelle, est devenue la règle dans le système pénal marocain. Un nombre phénoménal qui aggrave encore plus la crise au sein des prisons du Royaume. Ces personnes pourraient aussi être mises sous surveillance électronique, libérant des places dans les prisons marocaines et améliorant les conditions de détention des prisonniers.








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